Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Des nouveaux “je” aux “nous” inédits

La société contemporaine paraît de plus en plus fragmentée et individualisée.
Pour autant ne confondons-nous pas individualisme et processus d’individuation ?
Comment reconstruire un « nous » collectif qui n’efface pas les « je » individuels ?
N’y a-t-il pas déjà des « nous » prometteurs ?

Des nouveaux «je» aux «nous» inédits : quelles réponses aux impératifs actuels?

Nous sommes toutes et tous des êtres sociaux. Nous avons besoin de faire société pour être. Or, Selon les mots fameux de Margaret Thatcher « la société n’existe pas, il n’y a que des individus ». Depuis cinquante ans, ce dogme néolibéral a conduit à une désintégration des sociétés, une désagrégation des liens sociaux parfois historiques, et une atomisation des individus au bénéfice d’un individualisme consumériste. Mais il a généré aussi une multitude de contradictions qui lui sont inhérentes, celles qui aujourd’hui taraudent nos vies quotidiennes, grèvent nos espérances et obèrent les transformations nécessaires :

  • Un abandon de l’État social pour en faire uniquement un outil garant de l’ordre néolibéral face aux désordres qu’il génère lui-même à travers l’exacerbation des inégalités, la mise en concurrence généralisée et la guerre de toutes et tous contre chacun-e,
  • Une incapacité de ces États à être porteurs de réponses structurelles à la hauteur des enjeux et défis du réchauffement climatique, causé par nos modes de production et de consommation qu’ils continuent de soutenir au mépris des vivants et des écosystèmes, et au risque d’une extinction écologique,
  • Une défiance de plus en plus généralisée vis-à-vis des institutions réduites aux jeux de la représentation électorale rendant exsangue une prétention démocratique incapable d’assurer les droits qu’elles proclament pour une immense part des populations,
  • Un épuisement de la politique elle-même réduite toujours plus à une « offre » constituée d’en haut, par des minorités et totalement déconnectée et exclusive des subjectivités citoyennes,
  • Une souffrance grandissante des individus dans tous les milieux de travail soumis aux diktats du management, et dans tous les milieux de vie soumis à la marchandisation, desquels on exige toujours plus de responsabilité et d’implication, mais à qui on confisque toute possibilité de maîtrise réelle des finalités et du sens de ce qui advient, et on dénie toute compétence à être porteurs d’une alternative.

Très tôt les humains ont compris que, malgré des contraintes et conflits que cela pouvait comporter, il était infiniment plus aisé et donc souhaitable de (sur)vivre à plusieurs que seuls. Tout au long de l’histoire, les modes d’articulation entre les individus et les groupements humains qu’ils constituaient, ont été d’une grande diversité et donné lieu à des manières de faire et organiser les communautés et sociétés très différentes : avec plus ou moins de hiérarchie et de division sociale du travail, et des modes de gouvernementalité et façon de faire de la politique très variées.

L’expansion impérialiste de la révolution industrielle combinée avec le déploiement du capitalisme et l’affirmation des États-Nations, a conduit à une forme dominante de constitution des collectifs humains au détriment des individus et de leurs subjectivités. Cette logique s’est imposée dans l’ensemble des sphères de vie et de travail, partout et à toutes les échelles, y compris au sein d’organisations, partis et régimes politiques contestant le capitalisme en les anesthésiant puis stérilisant pour de bon.

Notre époque du néolibéralisme hégémonique dans un monde globalisé fait de la disjonction entre “je” et “nous” l’une des principales aliénations du système capitaliste et l’une des crises les plus structurelles des régimes “démocratiques” qui le perpétuent, mettant ainsi en danger les fondements mêmes de la reproduction sociale.

Cet antagonisme entre l’individualisme dominant, les besoins criants et insatisfaits, et les aspirations grandissantes à maîtriser pleinement son destin personnel et les destinées collectives ne devient-il pas d’autant plus explosive qu’elle est investie par des forces politiques et des idéologies aux réponses mortifères ? Ce grave danger ne nous presse-t-il pas de revisiter la dialectique je/nous de manière innovante pour défricher des modes inédits d’articulation et de constitution réciproque de ces deux ensembles plus pluriels que jamais ?

A nos yeux, face à cette situation deux prémisses fondamentales situent les enjeux stratégiques auxquels nous sommes confrontés :

  • On ne peut s’émanciper que par soi-même, mais on ne peut le faire que collectivement,
  • La véritable démocratie comme pouvoir du peuple par le peuple est un processus toujours finalisé mais jamais fini d’autogestion partout et d’autogouvernement à toutes les échelles,

Dès lors comment trouver individuellement et collectivement les capacités de (re)constituer des collectifs humains ouverts, inclusifs et créatifs selon des modalités d’association qui, enfin, non seulement n’effacent pas la pluralité des subjectivités singulières de chacune et de chacun mais les mobilisent pleinement comme autant de forces et de richesses sources d’intelligences collectives et d’agirs en commun ? Et quelles conditions réunir pour mettre en œuvre des autonomies solidaires et des coopérations autoorganisées comme des facteurs indispensables, à la fois distincts, inséparables et synergiques, de nouveaux commencements pour un bien-vivre ensemble soutenable et un devenir-en-commun vertueux ?

L’équipe de rédaction

Couleurs, espace, multitude, Mencoboni joue avec des formes abstraites multiples. A vous de jouer pour aller de la forme unique à la forme multiple et imaginer les liens entre le Je et le Nous.

Mencoboni, artiste français né à Guingamp, vit et travaille à Ivry sur Seine. https://mencoboni.com/

Image : ©https://mencoboni.com

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