Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Je et nous : à propos du processus d’individuation

Depuis maintenant plusieurs décennies, une petite musique se fait entendre : l’individualisme se développerait de plus en plus, en particulier dans la jeunesse, sur fond de dépolitisation et dans un contexte d’offensive néo-libérale, de concurrence de tou.te.s contre tou.te.s.

Pourtant, il existe d’autres projets collectifs et émancipateurs qui, depuis plusieurs années, mobilisent en particulier la jeunesse, sans le caractère global des anciennes références socialistes et communistes, mais aussi – et c’est tant mieux – sans la mystique du Parti ou du « Grand soir ». Il s’agit du projet d’une société féministe et non-patriarcale, et donc égalitaire et émancipée, ainsi que du projet d’une société écologique, et donc alternative au productivisme et au consumérisme généralisés, liés à la course au profit inhérente au capitalisme.

Avec les engagements dans le processus de révolution féministe mondiale et dans la lutte pour le climat, on est loin de l’individualisme reproché aux jeunes générations.

A l’origine d’un tel reproche, une confusion, très courante, est faite entre l’individualisme et le processus d’individuation. La proximité apparente entre l’un et l’autre est une chose, mais le contenu diffère radicalement.

Le premier tourne le dos aux solidarités et aux engagements citoyens et collectifs. Il est renforcé par l’idéologie du mérite républicain et du mythe de l’égalité des chances qui font croire qu’en dépit du contexte capitaliste, la réussite de toutes et tous est possible, ce qui par un glissement mécanique, rend les individus responsables de leur sort dès l’école, en niant ou en minimisant les causes sociales et sociologiques de leur situation. Du point de vue des solidarités et de l’émancipation, et à juste titre, l’individualisme a une connotation négative et régressive.

Mais le second a une autre histoire qui ne se confond pas avec l’individualisme. De quoi s’agit-il ?

L’individuation est ce processus d’autonomie des individus, qui mettent à distance – voire rejettent – toute structure autoritaire et verticale présente dans la société, de la famille à l’école, en passant par le fait religieux, la sphère du travail ou encore la vie des structures associatives, syndicales ou politiques. C’est ce qui a commencé à s’exprimer avec éclat dans différentes régions du monde, dans la grande vague de contestation culturelle et sociale, des décennies 1960 et 1970. C’est, dans son prolongement, l’une des racines de la crise multiforme que nous connaissons aujourd’hui, et de la recherche d’alternatives à l’ordre établi et aux structures et comportements autoritaires.

Ce dont il s’agit a donc peu à voir avec l’individualisme et une affirmation de soi, sous forme d’un “je” associé à un quelconque mépris du “nous”. Le fait de reconnaître la validité et le caractère émancipateur de l’individuation, en distinguant celle-ci de l’individualisme, peut précisément réconcilier l’individu et le collectif. En prenant ses affaires en mains, sous toutes les formes possibles, en inventant des engagements désirables, il est possible de concrétiser une perspective alternative. A  condition cependant que ces engagements soient libres et partagés, sans contrainte ni domination subies (ou imposées) qui font du “nous” un repoussoir.

Ainsi,  il n’y a pas de montée individualiste généralisée (même si le libéralisme et le consumérisme poussent à cela et le flattent) mais un processus complexe et potentiellement émancipateur qui, lui, permet de réconcilier le “je” et le “nous”.

Bruno Della sudda

Image : ©https://mencoboni.com

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Horizons d'émancipation

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