Depuis des décennies, l’un après l’autre, les pays de la planète se convertissent au culte de la Gestion et à la religion du Management. Et l’on accorde à l’Entreprise – capitale initiale – une vénération semblable à l’hommage que l’on rend à une divinité. Cette Trinité (Entreprise-Gestion-Management) et les processions de discours qui l’accompagnent et que l’on délivre comme parole d’évangile, tendent au-dessus de chaque pays leurs rets, suscitant la ferveur et l’adhésion. L’Imperium d’aujourd’hui n’est pas la domination traditionnelle du Capital, celle qui se conjugue avec la réalité des rapports de force et l’affirmation de la puissance du Travail. Le Capital triomphant s’impose en tant que pouvoir suprême et intangible. Il projette ses tentacules fouillant dans les plis les plus intimes du monde. Le déploiement du Capital n’est pas seulement un étalement autour du globe, il s’incruste partout, jusque dans le rapport que chaque humain entretient avec lui-même. Nous sommes devenus non pas des capitalistes, mais le Capital personnifié… au profit de ceux qui en tirent les dividendes ! Nous croyons déployer un pouvoir d’agir, transformer le monde, mais c’est lui qui s’exprime à travers nos actes. La « main invisible » du Capital anime les pantins que nous sommes devenus et donne à nos gestes l’apparence de la vie. A la place du monde se dresse un théâtre d’ombres. Les personnages artificiels que nous sommes devenus sont grimés en individus souverains persuadés d’être libérés des grotesques entraves du passé. Et libérés du futur. Nous vivons d’ores et déjà la fin de temps – l’effondrement du « vieil » édifice social et institutionnel , la Parousie est celle de l’Humain, mini-Dieu-Entrepreneur. Fini la référence à l’égalité et à la lutte des classes ! Fini la politique ! Nous sommes tous des individus égaux devant la Concurrence universelle où la Corne d’abondance sera la rétribution des meilleurs d’entre nous élevés au statut d’icônes et source du Ruissellement qui fera le Bonheur de tous.
Mais la politique possède cette caractéristique remarquable qu’elle est vivante, c’est-à-dire qu’elle résiste à la Mort — ici, au Capital. « On n’arrête jamais la vie », écrivait Antonin Artaud. Quand la lutte des classes étouffe sous l’image de la réconciliation universelle agitée par le nouvel empire, alors elle se fraie un chemin, parfois de manière grimaçante. C’est pourquoi le dogmatisme de la théologie à l’oeuvre rappelle brutalement aux humains la suprême vérité : la lutte des classes n’existe pas ! La réalité doit se conformer à la Vérité. Comment ? Par l’intervention de la police comme force brute ou par la morale-religion — y compris la morale-de-l’absence-de-religion —, houlette destinée à faire revenir dans le troupeau ceux qui s’en écartent. Il nous faut oublier l’Etat de droit, mais aussi les réformes religieuses. L’Imperium s’entend très bien avec le dieu des traditionalistes de tous bords lorsque, pour l’essentiel, il sait tenir sa place. Les morales-religions, quand elles se persuadent que leur heure est arrivée, ne sont en réalité que les servantes d’une force qui sait que seule la politique est son ennemie mortelle. Dans cet artifice de monde, nous devons y témoigner, sous peine de châtiment, que l’espérance se réalise devant nos yeux. « N’attendez plus ! Engagez-vous ! » Tel pourrait être le crédo orwellien de notre temps. Il est donné urbi et orbi comme une bénédiction.
L’Imperium présume de sa force, cependant. La vie nous invite toujours à descendre de notre illusoire piédestal, à retrouver le sens de la terre. C’est là le premier pas dans le chemin qui « se fait en marchant » (Antonio Machado), celui de l’émancipation. Nombreux sont ceux qui l’empruntent déjà.
Sidi Mohammed Barkat
Paris le 20 décembre 2024
Image : ©https://mencoboni.com
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie