L’activité horticole qui pendant des siècles a fait la renommée de Montreuil a presque entièrement disparu aujourd’hui. Pourtant, ses traces ont fortement impacté l’urbanisation générale de la ville qui s’est glissée dans un parcellaire étroit de ruelles et de clos connus sous le nom de “murs à pêches”.
L’histoire de ces murs est celle d’une aventure sociale collective liée aux nouvelles tendances pour le goût du sucré et pour l’art des jardins apparues au 18e siècle. Époque à laquelle se dessine le modèle du potager et du clos à la Française. Les jardiniers, vignerons et paysans qui travaillent donc pour l’aristocratie parisienne vont découvrir ces pratiques nouvelles et les lancer à grande échelle sur Montreuil, où les carrières de plâtre et les sols de silex permettent de construire facilement des murs pour palisser les arbres.
C’est donc l’association de ces deux classes sociales, l’une qui désire, l’autre qui a des compétences, qui va donner naissance à la culture des fruits à Montreuil, dans un nouveau système d’optimisation des parcelles (fleurs, fruits, vigne). Ici, au fil des siècles, de grands jardiniers se disputent leurs recettes comme leurs méthodes de taille et rivalisent de concours en trophées qui bientôt feront la renommée de Montreuil dans toutes les cours d’Europe. Leurs pêches veloutés se vendent à prix d’or chez Fauchon, leur marquage au pochoir fait vibrer toutes les tables et les fruits comme les fleurs de Montreuil ont un carré réservé aux halles1. Mais bientôt viendront le chemin de fer, les fruits du Sud et la concurrence étrangère. Le système « à la Montreuil », devenu inadapté, cédera le pas à l’industrie, aux lotissements et aux grands ensembles.
Miraculeusement classé en terres agricoles sous le régime de Vichy, un îlot de jardins, principalement concentré au cœur du quartier Saint-Antoine, a échappé à l’urbanisation de la ville. Ces parcelles font aujourd’hui l’objet d’une multitude de réappropriations en vue de leur préservation. Artistes, jardiniers, maçons, maraîchers, éducateurs, militants, fleuristes, cherchent ensemble à faire vivre l’héritage du passé pour repenser des communs et inventer d’autres rapports à l’espace et au temps. À leur manière, ils font ainsi émerger de nouveaux mondes possibles, entre les strates d’une époque oubliée et les nouveaux enjeux politiques, sociaux et environnementaux que supposent les préoccupations écologiques de la ville contemporaine et les formes nouvelles d’habitabilité de nos territoires.
C’est à cette découverte de jardins enchantés et d’îlots résistants que nous convie l’exposition “Ru Gobetue, portraits de jardins résistants2”. Explorant la terre, les friches, les sentes, tantôt au ras du sol tantôt depuis les murs, les photographes font ressurgir le tracé supposé de l’ancien ru qui autrefois irriguait la terre, et en suivant son cours, ils nous proposent un cheminement fait d’images et de mots saisis au fil de l’eau, des paysages et des rencontres humaines. Ils remodèlent ainsi une mémoire collective faite de gestes et de savoir-faire anciens qui témoignent de la relation intime qui lie le patrimoine bâti des murs à pêches au territoire singulier de Montreuil et nous proposent un portrait sensible et poétique de cette constellation de jardins et d’acteurs engagés vers un avenir désirable.
Jean Noviel
- Voir Émile Zola, Le ventre de Paris
- Exposition “Ru Gobetue, Portraits de jardins résistants” sur une proposition de Vincent Fillon et Jean Noviel, jusqu’au 14 mai 2024, square patriarche, métro Mairie de Montreuil (puis lors du festival des Murs à pêches, du 16 au 19 mai 2024)
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