Depuis quelques temps une caractéristique nouvelle du cinéma français et des séries télévisées est le retour du monde du travail et de la question sociale comme personnage central du récit. Le plus remarquable est sans doute que le monde du travail n’y apparaît pas comme souffrant et victime, mais combattant, voulant prendre toute sa place pour maîtriser son sort, revendiquant avec une certaine fierté son identité. Et pour le moins attaché à sa dignité et son respect.
Comme spectateurs, on en retient un engagement de la part des professionnel·le·s concerné·e·s. Quatre regards sur ce « phénomène » qui ne peut qu’intéresser les lecteur·trice·s de Cerises.
Au CNAM, éminente institution, proche du monde du travail, des métiers et du « social », le laboratoire LISE a lancé un cycle CinéCNAM, qui projette en visio un film, pas forcément récent, suivi d’un débat. Une initiative qui rencontre un succès réel.
Sur Arte, dans la série « Salade grecque », Georges, le père de Wendy, meurt en laissant en héritage une propriété en Grèce à ses petits-enfants, Mia et Tom. Ce dernier part à Athènes retrouver sa sœur Mia qui vit là et découvre leur héritage : un immeuble désaffecté et délabré. La mini saga familiale qui se « brode » à partir de là pose en toile de fond les couches populaires de ce quartier athénien, la vie de ses habitant·e·s à travers les liens de Tom et compagnie avec elles et eux. La série plonge dans le social par le territoire et l’habitat. Mais dans cette immersion grecque s’illustre la volonté de s’en sortir, de ne pas se faire écraser, dans un sens de résister.
Toujours sur Arte, « le temps des ouvriers » de Stan Neumann propose une fresque presque digne d’un certain réalisme social(iste) et fort moderne. La classe ouvrière a-t-elle disparu, ou simplement changé de forme, de nom, de rêve ? Conciliant l’audace et la rigueur historique, l’humour et l’émotion, le détail signifiant et le souffle épique, Stan Neumann (Austerlitz – Lénine, Gorki La révolution à contre-temps) livre une relecture de trois cents ans d’histoire, qu’accompagne un commentaire dit par Bernard Lavilliers. Une très belle réalisation !
Sur France2 Akim Isker a réalisé un téléfilm de qualité, « A l’épreuve » dans lequel Ambre, 22 ans, en pleine procédure judiciaire contre ses parents qui veulent récupérer la garde de son fils, n’a pas d’autres choix pour s’en sortir que d’accepter le pire des boulots à ses yeux : éboueure. Elle se bat, femme, ouvrière, mère solo. Jusqu’où sera-t-elle prête à se salir les mains pour reconquérir son enfant ? Elle ne mesure pas ses efforts, la saleté à accepter ; le prix d’une dignité !
Hors écran, Pauline Bayle se lance dans l’adaptation et la mise en scène de Balzac, avec une empathie non condescendante et profondément respectueuse des personnages. Tous gens du peuple. Pauline Bayle « J’aspirais à appartenir au monde des illusions perdues ».
Et dans un environnement plutôt hostile, relevons que le cinéma « social » militant, ses festivals, résiste. Plus qu’un avatar, l’affirmation d’une (re)conquête ?
Patrick Vassallo
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