Sans doute portés par une volonté de mieux entendre ce qui lie la révolution française, les colonies, et l’abolition de l’esclavage, nombre de visiteurs auront eu le sentiment qu’on ne percevait pas bien, sous les plafonds du Panthéon, qu’il y a vraiment deux histoires qui se frottent l’une à l’autre.
Il y a l’histoire de la révolution française et l’histoire de l’abolition de l’esclavage.
Pour mesurer l’ampleur, l’audace, l’intelligence des combats anti-esclavagistes, il faut poser en premier lieu que la révolution de la métropole n’est pas à l’origine des révoltes d’esclaves. Elle n’a enclenché ni accéléré les révoltes des hommes, femmes et enfants, transformés en esclaves. Les travaux désormais très conséquents et nombreux qui ont pu montrer qu’où que-ce-soit sur la planète, mais notamment aussi dans les îles à sucre où la France avait ses colonies, la résistance à l’esclavage a le même âge que l’esclavage lui-même. Les révoltes serviles ne commencent pas le 14 juillet 1789, les suicides et les infanticides commencent souvent dès le bateau négrier, les maraudages sont absolument nécessaires aux esclaves qui fuient les plantations et vivent dans les parties les plus touffues et quasi inaccessibles des forêts coloniales. Aucune des sociétés coloniales n’a réussi à se préserver des révoltes d’esclaves récurrentes.
À visiter l’exposition on reste un peu sur sa faim. Les anti-esclavagistes de métropole, aussi courageux furent-ils, n’ont pas inventé les formes de résistances adaptées qui furent celle des esclaves. La maîtrise de l’environnement, la capacité à se nourrir, à chasser, à s’organiser en groupe – fussent-ils composés d’esclaves marrons venu de fermes éloignées les unes des autres – ont permis de placer les propriétaires d’esclaves dans une situation permanente de qui-vive.
Au sortir de l’exposition, on a bien raison d’être attentif : ce n’est pas la Révolution Française qui pousse Saint-Domingue à entamer une révolution qui aboutira à l’abolition. C’est en Guadeloupe le fondement révolutionnaire qui lui fait abolir provisoirement certes, mais abolir néanmoins l’esclavage. Cette dimension révolutionnaire, par exemple inexistante en Martinique, empêchera sur cette île-ci la prise de pouvoir des combattants de l’esclavage.
On sort de cette exposition avec un doute : il y a un trou dans le calendrier. Au Panthéon, on n’a pas célébré l’étape fondamentale qui aurait confirmé la dite fin de l’amnésie coloniale française. Tout comme nombre d’ouvrages scolaires, la république française a célébré en 1998 la seconde abolition de l’esclavage. Elle a oublié la première en ne célébrant pas le 14 février 1794 soit le 16 pluviôse an 2. À cette date la Convention vote de l’abolition de l’esclavage dans l’ensemble des colonies françaises. C’était non seulement l’esclavage qui était aboli mais les nouveaux citoyens de l’ensemble des colonies avaient désormais les mêmes droits que les anciens, et des députés nègres purent siéger à la convention. C’est une avancée inouïe, proprement impensable seulement quelques années plus tôt. Évidemment la Convention n’était pas totalement unanime quant aux décrets, mais le mouvement abolitionniste remportait la première victoire fondamentale et c’est ainsi que le 16 pluviôses an 2 est devenu une date majeure de l’histoire de la Révolution Française et de l’histoire de l’Humanité tout entière.
Catherine Destom Bottin
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