Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


Marx et Bakounine sont dans un bateau… Faut-il que l’un tombe à l’eau ?

Si on se contente du raccourci de l’histoire de la Première internationale limitant celle-ci à l’opposition entre Marx et Bakounine, on peut s’étonner que des libertaires se réfèrent aux travaux de Marx. Pourtant, ce n’est pas nouveau. En France par exemple, le courant communiste libertaire est organisé depuis des décennies. MCL, OCL, ORA, UTCL, AL[1], ont été actives durant le demi-siècle écoulé ; nombre d’animateurs et animatrices de collectifs syndicaux ayant mené d’importantes grèves, mais aussi d’associations de lutte, en étaient membres. Mais il est vrai que les deux références sont souvent opposées. Dans Affinités révolutionnaires. Nos étoiles rouges et noires[2], Olivier Besancenot et Michael Lowy, reprenaient à leur compte cette séparation, certes pour appeler à la dépasser. Or, il n’y a pas forcément d’un côté les marxiens que seraient les militant∙es du NPA et/ou trotskystes, du PCF ou ex-PCF, etc., de l’autre les libertaires, en mélangeant toutes celles et tous ceux qui se réfèrent à ce mot quelles que soient leurs principes et surtout leurs pratiques… ou absences de pratique. Cette présentation rappelle celle utilisée par des anarchistes qui mettent sur un même pied tous « les marxistes », tous et toutes assimilé∙es, pour résumer, aux méfaits du « socialisme réel » qui marqua nombre de pays durant le 20ème siècle.

Daniel Guérin[3] a beaucoup œuvré pour théoriser, divulguer mais aussi discuter le concept de marxisme libertaire. Le communisme libertaire s’enrichit de Marx : son insistance à affirmer que l’émancipation des travailleurs [et des travailleuses !] doit être l’œuvre des travailleurs [et des travailleuses] eux-mêmes ; le concept de l’aliénation ; l’analyse de la société capitaliste ; la dialectique historique matérialiste.

En janvier 2018, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Marx, Alternative libertaire publiait un dossier « Les libertaires et Marx » : « […] s’il y a un élément théorique commun au marxisme et à l’anarchisme, c’est bien l’analyse du capitalisme. […] Se dire “marxien”, et non “marxiste”, revient à adhérer à la méthode d’analyse de Marx ». […] « Marx a emprunté beaucoup aux écrits d’autres auteurs (Ricardo, Proudhon, Victor Considérant, Saint-Simon…). Son œuvre monumentale, Le Capital, condense tous ces apports, en portant l’analyse à un degré de rigueur et de clarté sans précédent. Il a dès lors été intégré au corpus théorique des divers courants du socialisme, y compris l’anarchisme. Évoquant, dans un manuscrit de 1870, le magnifique ouvrage sur le Capitalde Marx, Bakounine juge qu’ilaurait dû être traduit depuis longtemps en français, car aucun, que je sache, ne renferme une analyse aussi profonde, aussi lumineuse, aussi scientifique, aussi décisive, et, si je puis m’exprimer ainsi, aussi impitoyablement démasquante, de la formation du capital bourgeois et de l’exploitation systématique et cruelle que ce capital continue d’exercer sur le travail du prolétariat”. Mais la querelle historique entre Marx et Bakounine allait conduire la majorité des anarchistes des générations suivantes à jeter le bébé avec l’eau du bain. »

Le moins qu’on puisse dire est que du côté de la quasi-totalité des marxiens le bébé libertaire fut lui aussi jeter avec l’eau du bain, et souvent fort violemment. Il est des sujets de débat entre les cultures marxiennes et libertaires. Le rapport aux séquences électorales de la démocratie bourgeoise en est un, il n’est sans doute pas si clivant ; l’enjeu est autre, dans la définition de la société autogestionnaire que nous voulons, ce qui n’est pas sans effet sur les rapports à l’État, aux institutions représentatives qui cadrent la société actuelle, sur l’autonomie des mouvements sociaux, les rôles et pratiques des militant∙es révolutionnaires dans les mouvements de masse, sur la rupture avec la social-démocratie sous toutes ses formes (ce qui n’exclue pas l’unité d’action ponctuelle). Plein de thèmes à discuter si tant est que nous en ayons la volonté… et que nous souhaitions aussi que l’histoire aille dans ce sens !

Christian Mahieux

L’illustration en tête de l’article est extraite du site radix.red. Nos remerciements


[1] Pour la signification des sigles, voir la note à propos de Daniel Guérin.
[2] Éditions Mille et une nuits, 2014.
[3]  Voir sa bio dans le Maitron et le numéro spécial d’Alternative libertaire paru en 1998. Daniel Guérin participe à la création du Mouvement Communiste Libertaire en 1969, devenue Organisation Communiste Libertaire en 1971, puis il rejoint l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste en 1973. Il sera ensuite membre de l’Union des Travailleurs Communistes Libertaires. A la recherche d’un communisme libertaire publié en 1984 est l’actualisation de Pour un marxisme libertaire » de 1969, déjà repris de Jeunesse du socialisme libertaire édité en 1959. Pour le communisme libertaire, édité en 2003 par les éditions Spartacus, ce livre est toujours disponible aux éditions Spartacus.

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