Grimper, faire des sommets, c’est un roman. On pense d’abord que c’est un défi avec soi-même : serai-je capable ? Raisonnable, on étudie le parcours, on évalue les difficultés et la météo, parce qu’il vaut mieux répondre à cette question avant de partir. Plus on monte moins il y a de vie autre que soi et celle de son compagnon ou de sa compagne à l’autre bout de la corde. Pas un animal, pas un oiseau, pas une plante, seulement la roche, la neige, la glace, le ciel. Les seuls bruits sont sa propre respiration -un vrai soufflet de forge- celui des crampons, du piolet dans la glace ou des pitons dans la roche (quand on en met) et de temps en temps, la voix de l’autre.
Mais on n’est pas seuls. On est avec la nature, avec les éléments.
Parlons de la glace et de la neige. On sait qu’il faut être soit revenus en bas soit installés en haut avant que le soleil ne commence à faire fondre les glaciers favorisant des chutes de séracs – blocs de glace et de roches accolées en suspend- pour celles et ceux qui n’ont pas de dictionnaire-. Ou que le réchauffement provoqué par un développement irresponsable n’accélère pas le phénomène. On fait donc un compte à rebours : être en sécurité à midi suppose de mettre x temps à grimper et/ou à redescendre et donc partir à telle heure de la nuit. Mais le contact avec la glace ce n’est pas comme avec un matériau inerte. C’est comme si elle nous renvoyait à quelque chose de vivant dont il faut tenir compte. On est continuellement en éveil, en réponse.
La paroi. Plus elle est raide plus en dessous c’est le vide. On s’en aperçoit en regardant ses pieds. Mais ne trichons pas, ce n’est pas vers le bas qu’on a les yeux fixés mais vers le haut- pas pour la gloire mais parce que l’issue est par là. Là aussi, en cherchant les aspérités et points d’appuis on est en dialogue constant avec l’élément. Un véritable lien se crée.
Lever du soleil. On part donc la nuit. La glace est noire -d’un noir luisant. En bas dans la vallée les première lueurs de l’aube apparaissent. Nous, on est encore dans la nuit. Puis, autour de nous une lueur jaune pâle commence à apparaître. Et le temps de relever la tête, la glace devient orange, puis rouge vif comme si elle prenait feu. Le tout en silence. Enfin tout rentre dans l’ordre : elle est blanche, le ciel est bleu – et nous, nous avons le souffle coupé.
Si un nuage vient à passer, c’est l’alerte : visibilité nulle, chute de température, on n’entend plus ce que dit l’autre au bout de la corde. On s’attache à la roche pour ne pas se perdre ni glisser, on se couvre, on ne bouge plus, on s’hydrate et…on attend que ça passe (d’où l’intérêt de bien prendre la météo la veille et qu’elle ne se trompe pas).
L’alpinisme n’est pas un sport de compétition même si on appelle cela une course. C’est du dépassement de soi. On ne peut ni tricher, ni protester. C’est entre moi et moi, même si nous sommes solidaires avec mes partenaires de cordée. Mais il y a autre chose. Avec la nature, il y a un rapport sensuel. On forme un couple, la montagne aussi nous fait. On a besoin que l’autre (la nature) soit en forme. Comme une histoire d’amour. Quand on revient comment ne pas être euphorique après ce qui a été une fête, malgré les (ou grâce aux) difficultés ?
Mais comment ne pas rager quand nous apprenons que tel glacier qu’on a autrefois grimpé recule et laisse la place à de la roche dénudée ; ou qu’on ne peut plus passer sur tel névé qui servait de pont de neige au-dessus d’une crevasse. C’est un peu de nous-même que l’on ampute.
Pierre Zarka
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