Au milieu des collectifs organisant la mobilisation populaire et internationale contre le Lyon-Turin se trouve la fédération des syndicats SUD-Rail. Au premier abord, cela peut susciter quelques interrogations : un syndicat du secteur du ferroviaire s’oppose à un projet de nouvelle ligne (à grande vitesse) ? En fait, sur cette question des nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse, la fédération des syndicats SUD-Rail refuse de prendre une position générale, qui risquerait alors d’être dogmatique, et se prononce démocratiquement au cas par cas.
Concernant le Lyon-Turin, nous avons remarqué que les prévisions de trafics établies par les pro-ligne nouvelle, qui datent des années 90, ne cessent d’être contestées par des spécialistes de l’économie des transports. Dans notre volonté de transformation sociale, ce mégaprojet du BTP est aussi et surtout emblématique de notre économie, dite de libre-échange, qui met en concurrence non seulement les marchandises mais aussi les salarié.e.s entre eux/elles. Trop rarement, nous nous posons la question « mais quelles sont les marchandises qui passent la frontière ? ». Or, la réponse devrait nous emmener vers des revendications pour une relocalisation de l’économie régionale et nationale. La pertinence de certaines productions, et donc transport, doit aussi nous interroger.
Dans notre volonté syndicale de « double besogne », nous portons des revendications immédiates : un report modal des marchandises de la route vers le rail maintenant… et pas dans 20 ans, ce qui est la perspective de cette ligne nouvelle ! Si nous sortons les camions des vallées alpines, plus grand-chose ne va justifier la construction de onze tunnels entre la France et l’Italie et les désastres écologiques (destruction de terres agricoles, tarissement de sources, extraction de millions de déblais, …).
L’organisation syndicale SUD-Rail, et tout particulièrement son syndicat régional Alpes, ne cesse de proposer des alternatives pour un report modal massif, empruntant la ligne existante, organisé par l’entreprise publique SNCF et les cheminotes et cheminots. C’est techniquement possible, et nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises. Mais cela ne correspond pas à la doctrine portée par les défenseurs de ce projet inutile, avec en première ligne TELT (société chargée de la construction puis de la gestion du Lyon-Turin), qui est la poursuite de la privatisation du ferroviaire. Tout en spoliant l’argent public, la facture pour les citoyennes et citoyens s’élèverait à 30 milliards d’euros ; la gestion de la liaison ferroviaire Lyon-Turin serait gérée par TELT qui deviendra un concurrent de SNCF Réseau et dont le capital sera très rapidement ouvert.
Bref, le Lyon-Turin est l’un des symboles de ce monde ancien qui refuse de mourir. Ses promoteurs sacrifient l’environnement et les territoires au nom de la seule croissance des profits pour une minorité. Limitons le transport de marchandises à ce qui est socialement nécessaire, utilisons les infrastructures ferroviaires existantes, ce qui suppose de les améliorer et non de les détruire comme s’y attellent les pouvoirs publics depuis des décennies, cessons de faire des cadeaux aux patrons routiers qui détruisent l’environnement, les routes et le droit social… Un autre transport de marchandises est possible, sans inventer de grands projets inutiles détruisant la planète !
Julien Troccaz, cheminot à Chambéry et secrétaire fédéral SUD-Rail
1.Référence à la « double besogne » décrite dans la charte d’Amiens adoptée lors du congrès de la CGT de 1906 : en substance, la défense des intérêts immédiats des travailleurs et travailleuses alliée à la construction d’une société rompant avec le système capitaliste. A ce propos, voir notamment Les utopiques n°19 dont le dossier porte sur « pouvoirs, politique, mouvement social » (Editions Syllepse, printemps 2022).
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