Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


La Macronie, ou la mort de la rhétorique

« M. Véran, vous allez maintenant présenter votre exposé du Grand Oral. Êtes-vous prêt ? 

– Oui. Je vais expliquer pourquoi c’est mal de mettre la France à l’arrêt. »

Vous aussi  avez prêté une oreille un peu éberluée à ce morceau d’anthologie – ou de bravoure ! – que nous a servi Olivier Véran le 1r mars dernier ? Rappelez-vous. Ce discours prophétisait une catastrophe « écologique, agricole, sanitaire, voire humaine » si nous mettions la France à l’arrêt… 

Après profonde réflexion, et avoir envisagé diverses raisons à ce ratage monumental – rédaction sous acide ou par un stagiaire de troisième pistonné, pari entre potes « Cap de placer « papillomavirus » dans ton discours, Oliv’ ? », ou simple mépris pour les pauvres benêts que nous sommes …- je suis arrivée à une théorie. 

Ce discours édifiant n’arrive pas par hasard sur nos écrans.

C’est un aboutissement. La mise en pratique d’une conception glaçante de la rhétorique. 

« T’en penses quoi, toi du discours du petit Véran ? 

– Ben, sur la forme, il rafle tous les points. C’est organisé, structuré par l’anaphore « mettre la France à l’arrêt ». Un petit contresens sur « la France ». Pour lui, c’est juste son parti politique. Confusion très fréquente. Même le président l’a fait. 

Le champ lexical de la vitesse, d’un monde « en marche », court comme un fil d’Ariane. Une métaphore et un slogan. Le top de la rédaction publicitaire

Mais le fond ? 

– Le fond, tu sais bien, ça compte pas beaucoup… Il faut juste qu’on voie les « étoiles dans les yeux des candidats ». T’as compté les étoiles ?

Non, mais te bile pas. De toute façon, ils vont remonter sa note… »

Eh oui. Le problème, c’est le fond. Mais ça s’explique : leur référence, c’est la rhétorique d’extrême droite. 

Il y a quelques années, une étudiante m’avait expliqué qu’elle votait FN parce que « les autres », elle ne comprenait rien à ce qu’ils disaient. Or, si la simplification permet de gagner, pourquoi s’en priver ? Surtout quand on a une opinion très basse des interlocuteurs. Marine Le Pen ne perd pas d’électeurs, même lorsque ses arguments se limitent à des bruits de bouche. Alors, changement de technique : on vulgarise jusqu’à la vulgarité, des expressions obsolètes cachent le propos, on influenceurs, on sweat à capuche, on buzze pour ne pas disparaître. On joue de ce que Jakobson appelle « la fonction phatique du langage » : prolonger la communication entre le locuteur et le destinataire. Le niveau zéro du sens. 

En ce sens, ce discours est une apothéose.

Pendant une minute quarante, on s’attendait presque à voir débarquer la Cantatrice Chauve. Au  théâtre, on crierait au génie. « Une critique implicite de l’échec du langage, dans la veine de l’absurde, et au-delà, de la parole politique elle-même. Un jeu tout en retenue, robotique, qui dénonce le rôle de marionnettes interchangeables des acteurs politiques. Du grand art ! ». 

Mais vider le langage, Ionesco vous le dira, ouvre la voie au fascisme ; permet à la force brute des rhinocéros de prendre pied dans la réalité, de tout détruire sur son passage. Catastrophe sanitaire ? Olivier Véran a raison. Leur pandémie de rhinocérite a déjà piétiné la Rhétorique. Et la Démocratie. 

 Alexandra Pichardie

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