Les nombreux départs de salariés de tous niveaux qui quittent leurs entreprises pour d’autres activités constituent un fait de société qui interroge le monde du travail et devrait interroger syndicalisme et politique.
De quoi ces départs sont-ils le nom ? Un sentiment de révolte ? Un certain individualisme contemporain ? Un sentiment d’impuissance des salariés à avoir prise sur l’entreprise, son management, et ses finalités ? Une forme d’insubordination sociale ?
C’est en tout cas un sacré défi pour toutes celles et ceux qui veulent changer le travail et ne renoncent pas à renverser la table.
Quitter l’entreprise pour une autre vie
La donne du travail est profondément bouleversée : numérique, dématérialisation et extension de l’immatériel, précarisation générale, intensification… La pérennisation du chômage de masse demeure une arme redoutable contre les salaires globalement et de façon plus ciblée, parfois temporelle, contre les jeunes, les seniors, ou contre les droits, voire par bien des illégalités contre les procédures de solidarité acquises depuis des décennies.
La génération des babyboomers, aujourd’hui en retraite, pensait en termes de carrière, gardait une certaine fidélité à l’entreprise et revendiquait à travers les luttes notamment syndicales (mais pas seulement) l’amélioration des conditions de travail, le niveau des rémunérations, la nécessité et la reconnaissance d’un travail bien fait …
Les statistiques indiquent qu’un salarié sur deux souhaiterait quitter son entreprise. Pour 50% d’entre eux les motifs sont le niveau de leur rémunération ou le management, mais 50% le font pour donner du sens à leur vie et à leur travail, équilibrer leur vie de travail et leur vie personnelle, mettre en adéquation leurs vie professionnelle et leurs valeurs.
Des jeunes, diplômés, abandonnent en cours ou en fin d’étude (supérieures) pour aller à l’étranger, changer d’orientation ou tout simplement s’interroger sur leur présent. D’autres après de longues et souvent coûteuses études exercent quelques temps avant d’abandonner. Des quinqua se lassent de leur emploi et se réorientent vers un métier plus social, plus écocompatible, ou plus sobre. Là où l’action revendicative et le syndicalisme portaient des perspectives, de l’action collective, doit-on résumer certaines postures à « puisque ça ne me va pas, je ne me bats pas ; je m’en vais » ? Il est sans doute compliqué de sauver sa peau à plusieurs mais certains mouvements collectifs existent notamment aux E.U.
La pandémie a accéléré un phénomène de distanciation, de « disruption » entre certain.e.s actif.ve.s et leur travail, leur emploi, certain.e.s en profitant pour se mettre à distance de leur entreprise. Certes dans l’hôtellerie, la restauration, ou la santé, bas salaires et conditions de travail expliquent largement cette « désertion ».
Assiste-t-on à une sorte de rupture entre une partie du salariat et le travail ? Ou plutôt l’emploi ? Mais le phénomène est désormais d’une certaine ampleur. C’est cet écart, cette distanciation que Cerises propose d’interroger. Nous avons déjà abordé la question du travail (Cerises n°3) et interrogé des « utopies concrètes » (Cerises n°29).
Pour ce dossier, nous avons interwievé 8 « partants » de leur entreprise (sans aucune idée « d’échantillon représentatif »): 2 ont moins de 30 ans et cherchent leur voie entre passion, liberté, et retour dans leur région d’origine, 3 ont entre 30 et 40 ans, des niveaux d’études bac+3 à 5 et abandonnent des professions rémunératrices et valorisées mais stressantes, pour des activités plus conformes à leurs valeurs, notamment écologiques, et à leurs envies : quitter Paris, reprendre une ferme, ou un vignoble… « vivre plus simplement », « contre la société de consommation », « être en adéquation avec mes valeurs » car pour eux « tout est possible ». Enfin 3 interviewés ont entre 45 et 52 ans et des niveaux élevés de responsabilité et de rémunération, mais profitent d’un licenciement (et apprennent du confinement à la campagne) pour changer de vie du tout au tout, en diminuant leurs niveaux de vie mais en investissant dans un travail qui « ait du sens » pour eux… et « une vie riche ».
Ce défi au travail et aux cadres d’emploi recèle de nombreux paradoxes dans le rapport au territoire, la volonté d’appropriation et de maîtrise et les choix de vie, la carrière et le métier, les temporalités d’une vie, d’une production, d’une entreprise, le rapport à l’autre (genre, nationalité, identité, histoire) ou encore le droit du travail et le droit à la paresse.
Je travaille (ou je m’en déconnecte) ; nous y sommes (ou nous y allons), je me bats pour le changer ou je m’en barre pour en changer….. Paroles d’acteurs, tentatives d’y voir plus clair.
Bénédicte Goussault, Patrick Vassallo
LES ÉLÉMENTS DE CE DOSSIER
Vous trouverez ci-après l’énumération des articles et documents constituant ce dossier. Pour chacun, un lien, qui vous en permet la lecture intégrale.
Nous attendons vos réactions avec impatience.
Les témoignages
Océane, la vingtaine, voulait s’y retrouver dans son boulot. Après avoir réussi un master en Economie Sociale et solidaire, elle est recrutée sur 2 postes de développeuse qui la laisse insatisfaite. Elle quitte cette « carrière » qui l’attendait et l’Ile-de-France pour retrouver sa ville natale, Rennes, et la recherche d’un travail où s’épanouir et trouver ses valeurs (prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
Prendre la main sur son travail
La crise sanitaire a mis en évidence le fait que de plus en plus de salariés refusent une activité qu’ils considèrent insoutenable. Les raisons de ce refus sont multiples et méritent d’être étudiées. Certaines sont connues, par exemple les soignants, épuisés, écœurés, quittent un hôpital public menacé par le manque d’effectifs, par le manque de moyens et par des principes managériaux qui ignorent la réalité du travail. Les actualités dressent la liste des secteurs qui manquent de salariés, des mouvements revendicatifs ont lieu pour demander des augmentations de salaires. La question du pouvoir d’achat est certes une des raisons mise en avant pour expliciter la fuite qui semble se dessiner.(prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
Changer de travail, changer le travail
Peu de syndicalistes font témoignage dans ce dossier ; pour autant, il serait sot de nier que le phénomène des « départs vers une autre vie » touche aussi les femmes et les hommes engagés.es depuis des années dans les organisations syndicales, sur leur lieu de travail et/ou d’habitation. Au-delà de ce constat, les syndicalistes sont interpellés par les raisons qui amènent à ces décisions. Ne le cachons pas, et cela apparait dans les exemples ici cités, il y a une dimension individuelle (individualiste ?) dans ces démarches : « j’ai besoin de vivre » ; (prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
Fuite devant le travail ou retard de la politique et du syndicalisme?
Les témoignages de ce dossier disent la profondeur de la mise en question du travail. Déjà il y a quelques temps le phénomène « Uber » que le capitalisme a su récupérer- disait le refus d’avoir continuellement un chef et trop de contraintes sur le dos, thème récurrent dans les paroles rapportées ici. On voit que le départ massif de postes de travail correspond souvent à un rejet d’une absence de sens du travail voire d’une réalité jugée incompatible avec soi. Combien de personnes ont suivi une formation avec enthousiasme afin de s’accomplir dans un rôle social utile pour déchanter très vite ensuite ainsi que Cécile le dit ? (prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
États-Unis : “la grande démission est devenue une grande révolte”
C’est ainsi qu’Entrepeneur Europe, un site pro-business analysait récemment la vague de démissions, appelé la grande démission et qui a touché les États-Unis. Presque 5 millions d’Américain·es (3 % de la force de travail du pays) ont quitté leur emploi volontairement, principalement des employ é·es. Le même site articulait, intelligemment, ce phénomène aux grèves qui ont éclaté depuis octobre. Selon plusieurs enquêtes, les démissions touchent d’abord les employé·es âgé·es de 30 à 45 ans. Ces évasions du travail sont les plus nombreuses dans les secteurs du commerce, des transports et des services publics (notamment dans la santé), ainsi que des loisirs et de l’hôtellerie. (prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
2022 : Ne lâchons pas le travail
Le travail, grand absent de la campagne présidentielle ? On peut le craindre. La droite célèbre une soi-disant « valeur travail » réduite à la stigmatisation des chômeurs, tandis que la gauche et les écologistes ne parlent guère du travail ou se préparent à sa supposée disparition. Rien sur la qualité et de la soutenabilité du travail, professionnel ou domestique ! Pourtant le mal-travail, et les atteintes à la santé qui l’accompagnent, marquent profondément la situation actuelle. Soignant.es, enseignant.es, aides à domiciles, employé.es des restaurants, ouvrier.es du nettoyage, travailleur.ses sociales, animateurs périscolaires, et même des magistrat.es et des greffier.es fuient désormais un travail devenu insoutenable… (prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
Management et souffrance au travail
Le travail s’est beaucoup transformé depuis 30 ans et du coup le rapport au travail aussi. Il s’est fortement précarisé et beaucoup de statuts protecteurs ont subi de graves revers (fonctionnaires, cheminots, postiers, agents de l’énergie…). Nous avons vu apparaître l’ubérisation du travail avec le développement des plateformes qui ont eu pour effet de dégrader fortement le sens et les conditions du travail. Les plus touchés ont été les femmes et les jeunes. Les jeunes générations veulent penser de plus en plus leur travail dans une démarche d’utilité sociale et de cohérence personnelle entre la vie au travail et la vie hors travail. (prendre connaissance de la suite en cliquant sur le visuel ci-contre)
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