(cet article fait partie d’un dossier que vous retrouverez ICI)
Peu de syndicalistes font témoignage dans ce dossier ; pour autant, il serait sot de nier que le phénomène des « départs vers une autre vie » touche aussi les femmes et les hommes engagés.es depuis des années dans les organisations syndicales, sur leur lieu de travail et/ou d’habitation. Au-delà de ce constat, les syndicalistes sont interpellés par les raisons qui amènent à ces décisions. Ne le cachons pas, et cela apparait dans les exemples ici cités, il y a une dimension individuelle (individualiste ?) dans ces démarches : « j’ai besoin de vivre » ; « je » pouvant être le noyau familial proche. Une analyse trop rapide pourrait amener à conclure que le syndicalisme n’a que faire de ces « je », puisqu’il privilégie l’organisation collective des producteurs et productrices, en vue de leur émancipation sociale. Mais ce lien difficile entre le « je » et le « nous » n’est-il pas un des points de faiblesse d’une majeure partie du syndicalisme, qui oublie que le « nous », s’il a son existence propre, repose aussi sur une multitude de « je ».
Quitter son boulot pour mieux vivre. Voilà qui percute directement le syndicalisme. Celles et ceux qui font ces choix ne peuvent donc s’épanouir dans le travail. Bien sûr, cela renvoie à la notion de travaux socialement utiles ou non. Mais pas seulement : il existe plein de boulots entrant dans ce cadre qui n’en sont pas moins rébarbatifs, pénibles, peu intéressants, etc. Il serait faux de dire que le syndicalisme se désintéresse de ces aspects ; mais, indéniablement, tout est fait pour aller dans ce sens : c’est la mise en avant des Comités sociaux et économiques (CSE) au détriment des sections syndicales et des ex CHS-CT plus en phase avec le quotidien, individuel et collectif.
Une partie des « départs » se font vers une activité salariée ou assimilée. Associations, coopératives, une partie de l’auto-entrepreneuriat, voire de l’artisanat : autant de « statuts » qui échappent très largement au syndicalisme, et dont une part importante du mouvement syndical se désintéresse. Pourtant, et même si le terme peut effrayer des premiers et premières concernés.es : ne s’agit-il pas, en réalité, de prolétaires ? Tout comme il doit s’ouvrir pleinement aux mouvements spécifiques (féministes, écologistes, antiracistes, etc.), le syndicalisme doit s’adapter pour pouvoir organiser ces travailleuses et travailleurs. Rappelons que CGT signifie Confédération Générale du Travail : Un champ du Travail bien partiellement couvert par le syndicalisme…
Rompre avec l’activité professionnelle exercée dans l’espoir d’être (plus) libres illustre aussi l’incapacité à s’imposer collectivement, et donc individuellement, au sein de l’entreprise « traditionnelle ». L’esprit et les pratiques de résistances, de désobéissances, de créativité ne passent pas forcément par des « mots d’ordre » syndicaux mais par le « faire » ; reprendre plus de vigueur dans l’activité syndicale quotidienne, éviterait sans doute cette indéniable usure du syndicalisme.
Ces départs sont-ils des fuites ? Un aveu d’échec pour le syndicalisme ? Un peu de ça ; ni l’un ni l’autre, sans doute aussi. Plutôt que de vouloir caractériser ces choix, le syndicalisme a besoin de se réinventer, d’être totalement autonome dans le choix de ses priorités, de ses revendications et modes d’action, de s’adresser à toutes et tous, dans tout le monde du travail quel que soit son statut ou sa précarité. Alors, les syndicalistes seront en meilleure position pour explique que « changer de travail ne suffit pas à changer le travail ».
Christian Mahieux, Patrick Vassallo
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