Au-delà des tractations politiciennes, des magouilles, la lenteur et les difficultés à former un gouvernement en disent long sur la crise institutionnelle. Arrêtons-nous un instant sur ce mot « crise ». Il ne s’agit pas d’un mauvais moment à passer, comme une crise de foie. Pour la politique et la société, « crise » veut dire que cela ne peut pas continuer, ni rester en l’état, ni revenir en arrière. Situation difficile pour le pouvoir. Il fallait donc trouver qui allait s’y coller pour continuer une politique nettement rejetée par une majorité de femmes et d’hommes et de plus en plus perçue pour ce qu’elle est : au service des puissances financières au mépris de ce qui fait la vie.
L’expérience de la dernière décennie dit combien sous la déprime et l’attentisme du peuple couve le feu de la prochaine explosion. Elle dit aussi que ces explosions s’ouvrent de plus en plus sur la quête d’une autre conception de la société et sur la volonté de maitriser son devenir – à l’image du mouvement des Gilets Jaunes. Ce qui reste d’elles est qu’on ne peut être servi que par soi-même et qu’il faut bannir de son comportement toute délégation de confiance. Et nombre de commentateurs des médias, pourtant fidèlement du côté du manche, ont dit leur scepticisme devant chaque hypothèse de nouveau gouvernement. Il ne s’agit donc pas d’un moment anecdotique qui sera vite oublié.
D’où vient une telle situation ? Des mutations profondes animent un nombre de plus en plus important de personnes. Ce n’est pas un phénomène « jeune » mais générationnel. Les moins de 40 ans sont contemporains d’une distance critique vis-à-vis des principes d’autorité. Principes déjà mis en cause au travail, dans la vie familiale ou vis-à-vis des femmes. Cela se retrouve dans la vie sociale et politique : l’AG se substitue de plus en plus aux appareils ; quant à la sphère politique, cela se traduit par une distance vis-à-vis d’elle tant son héritage élitiste rebute. Héritage, où être guidé·e par des chefs que l’on choisit est assimilé à la démocratie et normalisé. La gauche n’est pas épargnée. Attention à ne pas mettre trop vite toutes les distances à l’égard de la politique sur le dos des notions « idéologie dominante » et « aliénation ». Le vote permet aux élites de se considérer comme légitimes par l’expression d’une allégeance du « simple » peuple. C’est le slogan de Thermidor : « le peuple est sacré ; tout doit se faire en son nom mais sans lui ». Voilà qui est de moins en moins supporté. D’autant que depuis 1981 ce qui en découle est loin d’être probant. La droite n’a pas le monopole des déceptions. La gauche y a toute sa part.
Désormais, les discours des partis tendent à ressembler à une animation devant une salle vide pour reprendre l’image de Vincent Tiberj dans son livre « droitisation française mythe et réalités ». Ces « désalignés » comme il les appelle, cherchent d’autres moyens que le vote pour s’exprimer, puisque la démocratie élective ne leur correspond plus.
Cet éloignement assumé des urnes n’est donc assimilable ni à de l’ignorance ni à du désintérêt. Dans le meilleur des cas il signifie « à quoi ça sert ? » et souvent « on ne m’aura plus, j’ai déjà donné ». Et cet éloignement est souvent le fait des plus ouverts sur les phénomènes nouveaux marquant l’évolution des rapports et enjeux sociaux. Au-delà du seul fait électoral nous assistons à l’obsolescence de tout ce qui ne prend pas en compte ces évolutions.
Le Nouveau Front Populaire est confronté à cette réalité. Compte tenu des espoirs qu’il peut susciter l’exigence est d’autant plus grande. Pour lui c’est un vrai défi. Est-il capable de rompre avec l’héritage élitiste et l’enfermement dans l’espace institutionnel ? Est-il capable d’interroger ce que doit devenir l’affrontement politique à partir de ce qui se transforme dans les comportements ? Et d’en appeler à l’initiative du mouvement populaire pour construire les solutions nécessaires ? Être à l’écoute c’est savoir entendre ce qui n’est pas toujours explicité par des mots et prendre les initiatives qui cristallisent les aspirations et leur donne réalité politique. Le débat autour du budget vient : sous l’impulsion du NFP et des diverses forces qui le compose, la question de « où prendre l’argent » sera-t-elle posée dans des assemblées locales ? Le pouvoir sent bien que la question taraude la population, faut-il en rester à amender ses propos ? D’autant que même si ce que prône Barnier effleure à peine le capital, un tabou vient de tomber : toucher aux fortunes et au capital ne ruinerait donc pas l’économie ?! D’où les réticences à droite. Comment s’engouffrer dans la brèche ? C’est qui le Nouveau Front Populaire ? Faut-il attendre encore les appareils pour dire ce que l’on veut ?
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