Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Gratuité ? Seulement gratuité ? 

Je suis hésitant devant, non pas le concept mais le terme de « gratuité ». Il a le mérite d’être simple mais il peut donner le sentiment d’une bonne aubaine ou d’une certaine charité ou encore d’un rêve gentillet. Or tout ce qui se produit a un coût. Le problème est qui en assume le paiement. Se poser cette question entraîne un enchaînement de principes qui détricotent la normalité. C’est un enchaînement que nous allons voir.

Lors de l’électrification du pays, qui a payé les pylônes et les circuits d’alimentation ? Bien sûr les coûts sont compris dans l’usage ou les impôts mais l’usager n’est pas seul face à l’électrification du pays comme le client devant son épicier. Aujourd’hui on nous fait grand tapage pour l’installation des panneaux photovoltaïques mais là l’usager a tout à sa charge.  Où est passé le service au public ? Pourtant ici, c’est pour agir contre la pollution, donc pour un intérêt commun. Ce qui relève de l’intérêt commun renvoie à la collectivité et pas à la personne seule face à son créancier.  Il implique une solidarité de fait. Je n’ai plus d’enfants à l’Ecole je ne réclame pas que l’on me le déduise de mes impôts. Participent à l’éclairage public y compris celles et ceux qui se couchent tôt. Quand on va travailler, est-il normal que l’on paie son transport ? Il suffit de dire que l’on paie pour travailler pour avoir la réponse.

Quand on parle de valeur d’usage, il s’agit de valeur sociale au sens où c’est la société qui en bénéficie. Il ne s’agit pas d’un rapport individuel de gré à gré. C’est la société dans son fonctionnement qui sert de redistributrice des apports de l’activité de chacun/e.

On nous dit que toutes ces dépenses ne peuvent pas être à la charge de l’Etat comme si en parlant d’argent de l’Etat il s’agissait d’autre chose que des ressources des contribuables et du travail. Ce qui pose une question : dans la vie il est bien rare que l’on accepte de payer sans décider quoi. De là viennent alors bien des questions sur la notion d’Etat qui écrase celle de collectivité.

L’intérêt de se regrouper en société est d’assurer à chacun/e le vital. Déjà il y a l’Ecole, théoriquement la santé avec la Sécu… Le principe en est de chacun/e selon ses moyens à chacun/e selon ses besoins. Pourquoi pas le logement ? Et la nourriture de base ? La sécurité sociale alimentaire ? Prôner la gratuité n’est rien d’autre que de vouloir que la collectivité assume ses responsabilités envers elle-même. Plutôt que nos impôts aillent compenser les coûts de l’inflation pour les entreprises du CAC 40.

Poser en termes de réponses aux besoins, pousse à reconnaître à sa vraie valeur (au sens reconnaissance sociale) l’activité de chacun/e : le conducteur de bus, l’installateur de téléphone que font-ils si ce n’est d’être à la base de constitution de lien social ? On a pu voir il y a un an à quel point les éboueurs étaient des agents de santé publique. Nous ne sommes plus dans des rapports marchands mais dans la production de pouvoir être.

De fil en aiguille, la « gratuité » met en question la dissociation travail/hors travail. Plus précisément emploi/hors emploi. Des fonctions indispensables sont hors du temps d’emploi. Comment aborder l’apport social de l’activité aujourd’hui jugée de « loisir » ou « domestique » ? Elle n’apporte rien à la société ? Les congés payés et la qualité du travail ? Les congés maternité ? Un enseignant qui, le dimanche va au Théâtre, il se détend ou il travaille ? Il y a une unité de l’activité humaine à reconnaître.

Je redoute que d’en rester au mot « gratuité » occulte cet enchaînement de principes. Chacun/e appellera ça comme elle/ il le voudra, pour moi c’est du communisme.

Pierre  Zarka

Cet article fait partie du dossier :

Horizons d'émancipation

Le continent des gratuités

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