Cet article fait partie d’un dossier que nous consacrons à la pandémie et à ses conséquences, voir les autres éléments de ce dossier URGENCES SANITAIRES, SOCIALES ET POLITIQUES:
- Les profits ou la vie ! (de Sylvie Larue, Henri Mermé, Danielle Montel, Josiane Zarka)
- Élections municipales et coronavirus, de Christian Mahieux
- À propos de démocratie sanitaire, de Marcelle Fébreau
- Le capitalicène contre la vie, d’Alain Bertho
- Une urgence : changer de société, de Pierre Zarka
- Pandémie et Mondialisation, de Gus Massiah
- Le jour d’après : un enjeu politique fondamental, de Makan Rafatdjou
- Guadeloupe, entre Covid 19, colonialité, et situation hospitalière catastrophique, une interview d’Élie Domota
Sans oublier deux articles publiés fin mars :
- “Covid-19 : un virus très politique” de Patrick Silberstein
- “Sauver l’économie capitaliste ou sauver la planète” de Benoit Borrits
Face à la récession, quasiment tous les commentateurs médiatiques et politiques, y compris à gauche, s’accordent sur le mot d’ordre « sauver l’économie ». Celui-ci s’explique par les faillites probables d’entreprises dans les semaines et les mois qui viendront, faillites qui peuvent avoir des répercussions sur d’autres entreprises et provoquer des effets boule de neige. Panique à bord ! Mobilisation générale !
Paradoxalement, on interroge rarement ce qu’est l’entreprise, l’assimilant un peu trop facilement à la société de capitaux. Or une entreprise, c’est avant toute chose un collectif de travail qui réalise une production de biens et de services. La différence entre la valeur de cette production, d’une part, et les achats et l’usure des équipements, d’autre part, s’appelle la valeur ajoutée, celle que le travail a réalisée. Un indépendant ou une Scop sont des entreprises dans lesquelles les travailleurs-ses s’approprient la totalité de ce qu’ils ont produit.
Une société de capitaux est une forme particulière d’entreprise initiée, non par ses travailleurs-ses, mais par des investisseurs qui mettent à disposition de l’entreprise leur capital dans l’objectif de le valoriser. Cette valorisation est basée sur l’évaluation des flux de dividendes à venir et c’est pour pouvoir verser ces dividendes que la direction est aux ordres des actionnaires. Son rôle est de contenir la masse salariale dans la valeur ajoutée pour dégager un bénéfice.
Les institutions du salariat construites au XXe siècle ont codifié les rapports entre les travailleurs-ses et les propriétaires en instaurant la notion de cotisations sociales attachées au salaire, un droit spécifique du travail et des conventions collectives. Il s’agit de conquêtes sociales qui marquent une rupture par rapport à ce qu’a pu être le salariat au XIXe siècle qui s’apparentait plus à un simple contrat de louage temporaire de la force de travail.
Si la finalité de la société de capitaux est sa valorisation grâce aux versements de dividendes et que les profits en sont l’anticipation, on comprend que le combat pour le partage de la valeur ajoutée est essentiel pour les actionnaires. Le patronat ne cesse de se plaindre de la rigidité du droit du travail et des salaires : il souhaite, en cas de baisse de chiffre d’affaires, reporter le risque sur les travailleurs-ses en baissant les salaires et licenciant à moindre coût dès que cela est possible. Il souhaite revenir sur les institutions du salariat construites au XXe siècle en remettant en cause celles-ci et en recourant au maximum à la figure du travailleur indépendant.
À l’inverse, un-e salarié-e souhaite les meilleurs salaires possibles et que ceux-ci soient garantis dans le temps. Mais cette posture a une limite, celle où les sociétés de capitaux enchaînent pertes sur pertes au point où elles seront incapables d’assurer le paiement des salariés.es et des fournisseurs… Soyons clair, une telle situation est une bonne nouvelle, une victoire de la lutte de classes. Mais toute la question est de transformer l’essai, de faire que cette faillite de la société de capitaux n’emporte pas avec elle l’entreprise et pour cela, la réponse coule de source : que les actionnaires soient évincés et que les salarié.es soient désormais titulaires de l’intégralité de la valeur ajoutée.
Nous venons ici de décrire un scénario idéal – et à bien des égards irréel – dans lequel les salariés.es se sont retrouvés.es dans une position où ils ont su imposer leurs conditions au patronat. Avec la crise du Covid-19, nous nous trouvons dans une toute autre situation : les difficultés des sociétés de capitaux sont provoquées par une baisse de la production, une baisse de la valeur ajoutée.
On pourrait se satisfaire que les décisions du gouvernement tendent à protéger partiellement les salaires. Mais dans la réalité, l’État se substitue aux actionnaires dans leurs obligations de payer les cotisations sociales (21 milliards d’euros) et les indemnités du chômage partiel (8 milliards). Si les actionnaires ont failli dans leurs obligations, ils doivent partir et les entreprises devraient être immédiatement reprises pas les salariés.es.
Cette crise devrait logiquement ouvrir la perspective d’une économie enfin démocratisée et libérée du capital, une économie dans laquelle on pourrait travailler moins, pour moins de pollution et plus de temps libre. Au lieu de cela, cet argent public – qui est le nôtre – est utilisé pour maintenir les actionnaires en place, pour que demain tout reparte comme avant. Quelles initiatives politiques pour qu’il n’en soit pas ainsi ?
Benoit Borrits
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