La coopérative de débats.

L’espace où vous avez la parole.

Tant que la paix règne encore.

people walking on street during daytime

Memo : Faut-il le rappeler, la droite et la gauche se sont constituées en France le 11 septembre 1789 lors d’une réunion de l’Assemblée Nationale, sur la question de savoir si le roi, alors encore vivant, pouvait avoir un droit de veto sur les décisions prises par la toute nouvelle assemblée. Pour favoriser le décompte des voix, les personnes favorables à ce veto se sont installées à droite de l’hémicycle et celles qui étaient contre se sont installées à gauche. Une confortable majorité a été en faveur d’un « veto partiel » plutôt qu’un « veto absolu », première victoire qui a permis le déploiement des idées révolutionnaires et la chute de l’absolutisme. Le 21 janvier 1793, le roi sera décapité.

Les valeurs à l’épreuve des eaux troubles de la droite.

Le régime républicain en France est né en 1792 et, après trois interruptions (1804/1848, 1852/1870, 1940/1944), l’avènement de la IVe République ( octobre1946) l’a remis une dernière fois au goût du jour, et durablement jusqu’à présent. Mais n’a-t-on pas entendu récemment quelques slogans d’extrême droite la remettre ouvertement en cause ? (1) N’est-on pas, dès lors, légitimes à demander des explications publiques à ces militants sur leurs motivations ?

En 1848, la première élection d’un chef de l’État au suffrage universel portait Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir, avec un mandat de quatre ans. En 1851, alors qu’il décide de fomenter un coup d’État pour diriger un empire, le système est remis en cause. Lorsqu’il a été décidé de rétablir la figure du président de la république, en 1875, les pouvoirs exorbitants qui lui ont été attribués étaient tels que le système n’a pas pu fonctionner. Depuis, son rôle a été réduit pour ne concerner que des prérogatives d’ordre secondaire. Sous la IIIe République, puis, au sortir de la guerre sous la IVe, elles se sont résumées essentiellement à un rôle protocolaire. Le parlement, avec ses 577 députés et le Sénat avec ses 348 sénateurs sont redevenus maître de la gouvernance du pays. Il faudra attendre 1958 pour voir le rôle du président de la république renforcé par la Ve, issue de la constitution mise en place par De Gaulle qui souhaitait redonner de larges pouvoirs au chef de l’État pour en assurer l’autorité, et par crainte de l’accession au pouvoir des communistes. C’est justement cet excès d’autorité qui sera dénoncé lors du référendum de 1969, l’obligeant à quitter ses fonctions de chef de l’État.
Avec une Ve République que De Gaulle s’était taillée à ses dimensions, l’absolutisme est revenu en force grâce à d’importants pouvoirs laissés aux mains du chef de l’État. Elle lui confère des prérogatives qui le placent en surplomb de l’Assemblée Nationale. Celles-ci prévoient qu’il incarne l’autorité de l’État, qu’il est l’arbitre qui assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État, qu’il veille au respect de la constitution, qu’il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités conclus par la France, qu’il négocie et ratifie aussi. Qu’il peut, à titre individuel, gracier des condamnés. C’est aussi le chef des armées et à ce titre, il est le seul détenteur du « feu nucléaire ». Il a un pouvoir de nomination pour certains emplois civils et militaires comme les préfets, les conseillers d’État, les ambassadeurs, les recteurs d’académie, les directeurs d’administration centrale, les magistrats de l’ordre judiciaire, les professeurs de l’enseignement supérieur, les officiers des armées de terres, de mer et de l’air. En sa qualité de chef de l’exécutif, il nomme le premier ministre, promulgue les lois, signe les ordonnances, préside le conseil des ministres, peut soumettre un projet de loi à référendum ou dissoudre l’Assemblée Nationale. Ces dernières dispositions le placent manifestement au-dessus de l’Assemblée Nationale et réintroduit ainsi sournoisement le droit de veto dont la société moderne avait réussi à se débarrasser. A nouveau, les pleins pouvoirs sont concentrés dans les mains d’une seule personne.
Tel qu’il est actuellement, le jeu électoral ne permet pas l’élection d’un programme politique bâti sur les aspirations d’un peuple, mais seulement l’élection d’une personne censée incarner « le meilleur » d’entre nous. L’importance donnée par De Gaulle au chef de l’État amène les électeurs à se focaliser sur le choix d’un candidat qui les incarnera, effaçant ainsi le rôle des élus de l’Assemblée Nationale. Ce « coup d’état permanent », dénoncé par Mitterrand, avant son élection, passe à la trappe les questions politiques au bénéfice d’un vedettariat des hommes politiques.
Pour la droite, ce système présentait un défaut de fonctionnement depuis sa création. Le jeu des mandats de différentes durées, entre celui du chef de l’Etat et ceux des députés, permettaient des périodes de cohabitation couplant un président issu d’un parti et une majorité de députés issus d’un autre, mettant ainsi à mal l’autorité et les pouvoirs du chef de l’État. Dans ce contexte de cohabitation, les lois adoptées n’étaient plus celles édictées par le chef de l’Etat, mais celles issues des débats d’une Assemblée Nationale qui était redevenue autonome. Aussi, la loi du 2 octobre 2000 a permis de réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans, l’alignant sur celui des députés. Quelques mois plus tard, la loi organique du 15 mai 2001 a calé les élections à la députation juste après celle du président, assurant plus sûrement au parti de ce dernier une représentation majoritaire à l’Assemblée Nationale grâce au crédit dont son parti bénéficiait à la suite de son élection aux présidentielles. Depuis De Gaulle, avec la maîtrise de l’élection du chef d’Etat et de celle de la députation, les présidents de la république de droite peuvent adopter une posture quasi royale leur permettant d’agir à leur guise, ce dont ils ne se sont pas privé. Une grande partie de la population se trouvant bernée par ce système, les gouvernants victorieux ont beau jeu de faire passer les contestations comme l’expression de mécontents « antirépublicains » et « antidémocratiques », discrédits sur lesquels ils s’appuient pour déployer contre eux toute la violence des organes répressifs d’État. Ainsi, comme l’avait déjà perçu Tocqueville en son temps, cette démocratie permet l’accession au pouvoir d’une minorité qui impose sa tyrannie aux autres. Tous les cinq ans, cette ritournelle bien huilée se reproduit sans bruit jusqu’à présent et le dernier élu en date, coche toutes les cases de cette supercherie.

Les perversions de la droite :

Ce jeu, et sa maîtrise par la droite, favorise l’imprégnation institutionnelle des valeurs de celle-ci, dont celle de la compétition. Il oblige les partis en lice à préparer « des bêtes de scène », des comédiens, plus que des politiciens responsables. Un jeu qui dessert beaucoup plus les partis de gauche, dès lors obligés de chercher parmi les leurs la personne qui sera « le meilleur » d’entre eux, provoquant tensions, jalousies, mégalomanie et culte de la personnalité. De plus, si cela favorise l’individualisme à l’intérieur des partis, cette tendance se retrouve aussi à l’extérieur, car les autres candidats des autres partis de gauche deviennent aussi des rivaux s’opposant entre-eux, au lieu d’élaborer des programmes communs regroupant l’ensemble de leurs familles politiques. Ces valeurs contrastent avec l’idéologie de gauche qui est animée par les valeurs du commun, du partage des idées, des pratiques et du pouvoir, le tout dans une horizontalité des relations, ce qu’essaye de retrouver la NUPES. Dans ce jeu trouble, la droite se sent d’autant plus à son aise que les débats de fond, qui pourraient la mettre à mal et qu’elle évite soigneusement, sont occultés par les débats d’égos. La maitrise de ce jeu lui donne accès, successivement et facilement, à l’élection de personnes issues de ses rangs, interdisant durablement à la population la possibilité d’un changement de régime. Toute contestation se trouve dès lors forclose, écrasée par les résultats donnés comme « démocratiques », alors qu’il n’en sont qu’une grimaçante caricature, donnant raison aux « enragés » de 68 qui avaient popularisé le slogan « élections piège à cons ». Dernier avatar de ce « coup d’Etat permanent », le passage en force de la loi sur la retraite à 64 ans qui s’est heurtée à toutes les instances dites « démocratiques », sans qu’aucunes d’elles n’ait été en capacité de la rejeter alors que plus de 70% de la population, dont 90% des actifs, n’en voulait pas.

À la fin de la période révolutionnaire, l’ordre marchand du capitalisme, se légitimant de l’intouchable propriété privée, impose son modèle social libéral grâce à des hommes d’État issus du sérail, qui ont toujours servi sa cause.
Or si l’idéologie capitaliste néolibéral relève clairement des valeurs de droite, elle a toujours cherché à les masquer derrière des discours démagogiques se réclamant d’une « protection des français » ou d’une nécessaire compétitivité économique. Ainsi, lequel de ces politiciens se permettrait ouvertement de remettre en cause des valeurs fondamentales comme la liberté, l’égalité ou la fraternité ? Aucun. Mais, tout en les glorifiant, tous cherchent insidieusement à les rogner par des restrictions législatives et financières liberticides et discriminantes, réduisant chaque jour un peu plus les droits des citoyens.
De plus, la droite se targue d’être à la pointe de l’économie qu’elle présente comme une science exacte alors qu’elle n’est qu’une science humaine inventée par l’hommes et à son service, et non l’inverse. Elle tente de fonder la légitimité de ses tendances contre-révolutionnaires cachées en s’appuyant sur cette pseudo science dont elle en détiendrait les clés. De fait, dans une société où chacun est plongé dans cette idéologie dès sa naissance et où l’accumulation de produits financiers est présentée comme la matrice et l’aboutissement de la réussite sociale, ceux qui suivent aveuglément ce modèle présenté comme vérité sont nombreux et issus de tous les milieux. Cette « prison mentale » est telle que ceux qui échouent à suivre cette voie peuvent se retrouver privés de tout, contraints à la mendicité, sans cerner les choix politiques qui les y mènent et qui leur permettraient de saisir qui sont les vrais responsables de leur déchéance. Ils meurent sans bruit, dans l’indifférence générale, avec le sentiment coupable de mériter leur sort. Est-ce vraiment ainsi que les hommes doivent vivre ?

L’Europe, au sein de laquelle la droite a solidement ancré son idéologie néolibérale, est un autre garde-fou du capitalisme, lui garantissant une pérennisation de son modèle. On avait déjà vu, en 2005, un déni manifeste de démocratie en France à la suite du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE), rejeté par les Français mais dont le résultat fut annulé et soumis pour validation au vote de l’Assemblée Nationale alors aux bottes de la présidence. Depuis, nous avons aussi vu avec l’exemple de la Grèce (2008/2009), comment l’Europe libérale et sa « troïka » (CE, BCE, FMI), peuvent faire bloc pour tordre économiquement le bras à tout État qui remettrait en cause son modèle. Loin de s’intéresser à la volonté de ces populations qui souffrent et qui cherchent à sortir de ce tyrannique paradigme, l’Europe ne leurs laissent aucune porte de sortie. Elle préfère, comme à son habitude, dérouler le tapis rouge à l’extrême droite qui ne remet jamais en cause le capitalisme, et qui sait l’imposer par la force et la terreur. A ces occasions, toute la faillibilité du système démocratique en vigueur, le contrôle qu’exerce sur lui les libéraux qui peuvent aller jusqu’à nier ses résultats pour imposer, par la ruse ou par la force, leur souveraine volonté, éclate alors au grand jour.
Un système qui tient toutes les promesses faites par Thiers lorsqu’il annonçait que peu lui importait « la nature du régime pourvu qu’il respecte les intérêts des possédants ». A ses pairs qui s’étonnèrent de le voir s’engager sur la voie du suffrage universel masculin, Thiers rétorqua : « outre que la demande est trop forte, 1830, 1848, 1871…, n’en avez-vous pas assez d’être pris par surprise ? Le droit de vote sera le moyen de prendre régulièrement le pouls des classes dangereuses… » (2). Il les rassura en affirmant que le futur président sera « un crétin que l’on mènera» dévoilant ainsi l’intention oligarchique du système. Il poursuivit en précisant que c’était aussi le moyen de dissocier les « élites républicaines  de ces classes dangereuses » (2). Le 13 novembre 1872 il déclara devant les députés : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ». Tout est dit. On voit aujourd’hui que cette prophétie est toujours appliquée à la lettre, réduisant tout espoir de changement par les urnes.
Actuellement, la montée de l’extrême droite en Europe montre que le modèle capitaliste néolibéral vacille sur sa base pseudo-démocratique et son accession au pouvoir en France ne tient plus qu’à un fil. A un moment où la façade de ce capitaliste néolibérale se fissure, on voit clairement les gouvernements occidentaux glisser un à un vers l’extrême droite. La Hongrie, la Pologne, l’Italie ont déjà cédés à cette tentation et les autres gouvernements d’Europe sont tous assiégés par elle ou contraint de gouverner avec elle. Malgré les leçons de l’histoire et les traces douloureuses de ces expériences qui se sont toujours révélées monstrueuses, elle continue à faire figure de refuge au capitalisme.

La fin d’un règne :

A l’heure où la planète est menacée par le débordement des activités humaines du modèle capitalisme, entrainant crise climatique et effondrement du vivant, il est temps de regarder la réalité en face et de retourner à la droite, non seulement la réalité de ses valeurs, mais aussi son incapacité structurelle à résoudre ces problèmes. Cette pensée, pleine de bon sens, résume à elle seule le problème : « comment penser une production infinie dans un monde fini ? » Le paradigme capitaliste, construit sur la course à la production infinie est donc, par nature, incompatible avec les mesures à prendre pour contrer ces menaces. Et sa forme néolibérale qui s’appuie sur un système de classe génère mécaniquement de nouvelles injustices sociales. Aussi cette crise majeure du capitalisme apporte-t-elle de l’eau au moulin de la gauche, car elle concerne l’ensemble des humains de la planète et la pérennité, à court terme, de notre espèce sur terre. Les valeurs qui s’en déduisent logiquement et qui émergent au sein des populations sont donc essentiellement humanistes et universalistes, valeurs indissociables l’une de l’autre.
Au fur et à mesure de l’inexorable avancée des changements climatiques et de l’urgence à les traiter, une prise de conscience des populations apparaît, surtout portée par la principale intéressée : la jeunesse. Cette crise pourrait bien être à l’origine de la chute du capitalisme dans un temps très court. Les phénomènes planétaires engendrés par le changement climatique et l’effondrement du vivant, que les dirigeants de la planète ne peuvent ni contrôler, ni endiguer, vont éroder la crédibilité de leur modèle au fur et à mesure qu’ils vont être submergés par la réalité des évènements liés à ce bouleversement d’ampleur mondiale. Il est fort à parier que la pression que les peuples vont exercer sur leur gouvernement respectif va aller croissant. Si la gauche veut jouer un rôle déterminant au plus fort de cette confrontation, elle doit s’emparer de cette problématique rapidement, préparer la transition et l’après capitalisme pour éviter un incontrôlable chaos engendré par une panique qui ne peut que s’intensifier.
L’accroissement des populations, qui fait aussi partie de l’idéologie productiviste du modèle capitaliste, se trouve de la même façon au cœur des questions écologiques. Une production infinie d’individus dans un monde fini s’applique aussi à notre espèce. Avec les valeurs qui sont les siennes, l’option de sortie de crise que la droite au pouvoir risque de choisir, pourraient être la réduction drastique de la population mondiale. L’idéologie de gauche reste le seul rempart pour agir efficacement avant que l’extrême droite ne prenne le relai des gouvernements en déroute et ne se lance dans des exterminations de masse, qui risquent d’être bien plus meurtrières que celles qu’elle a déjà pu produire jusqu’à présent.

Les valeurs en question :

Alors, la droite aurait-elle définitivement gagné ? Dans la course au pouvoir, oui, pour l’instant. Mais dans la course aux idées, non. Et c’est ce levier que nous devons actionner sans réserve.
Avec ses « droits de l’homme », la révolution française nous a légué un corpus idéologique qui oriente et imprègne en continu les esprits du monde entier grâce à son assise humaniste et universaliste. Tout individu sur terre est et ne peut que se sentir concerné par les valeurs que ces droits véhiculent. Nous les retrouvons solidement implantées au cœur des institutions internationales et dans la diplomatie du multilatéralisme.
L’article II des droits de l’homme reconnaît au peuple comme fondamental le droit, et même le devoir, de « résister à l’oppression » donnant ainsi toute légitimité à la contestation et au droit de manifester, droit qui est chaque jour de plus en plus remis en cause. Pour autant, les grands soulèvements qui se sont répétés en France de manière incessante depuis la révolution française, tels que : « les trois glorieuses », « le printemps des peuples », « la commune de Paris », « le Front populaire », « mai 68 », « les Gilets Jaunes », rappellent qu’un renversement des valeurs est toujours en cours et que la gauche a bien gagné la bataille des idées en les réaffirmant régulièrement avec le soutien des populations.
Outre le clivage entre les conservateurs, partisans de l’ordre ancien, et ceux favorables aux valeurs révolutionnaires, on voit clairement se dessiner l’armature intellectuelle de ces deux courants. D’un côté les tenants d’un ordre d’inspiration mystique et arbitraire, avec des pratiques verticales, rigides et autoritaires, animés par une idéologie individualiste agressive et fondamentalement inégalitaire, invoquant un idéal de compétition, de perfection et d’absolu. De l’autre, ceux d’un ordre d’inspiration déterministe, progressiste, prônant l’horizontalité des relations humaines, avec des rapports sociaux évolutifs et souples, construits sur une justice sociale axée sur une vision humaniste, fondamentalement égalitaire, solidaire, et de portée universelle. Nous avons là, en substance, les valeurs de base qui fondent ces deux courants et qui s’opposent continuellement dans les arcanes institutionnelles des pouvoirs et des contre-pouvoirs.
Si l’on admet ces valeurs comme celles qui traversent ces deux courants de pensée, on voit lesquelles sont majoritairement valorisées et lesquelles sont rejetées dans l’opinion publique. Aussi, la droite est adossée à un corpus idéologique dont les valeurs ne sont pas en phase avec celles dont le peuple aspire. Elles en sont précisément l’antithèse. Elle se doit donc de contourner cet obstacle par des postures démagogiques, des figures de rhétorique savamment travaillées, et doit se cacher en permanence derrière des pseudo-vérités économiques qu’elle érige en Bible, assortis d’une pédagogie de bonimenteur. Tous les jours et depuis plusieurs décennies, les choix financiers que nos dirigeants opèrent, sans oser l’assumer ouvertement, confirment une gestion d’étranglement des services publics pour les livrer au privé, au détriment de la qualité des services rendus, de celle des compétences et des accompagnements qui refoulent plutôt qu’ils n’accueillent. Pourtant, la population soutient les services publics qu’elle ne souhaite pas voir passer aux mains du privé. Dans le même temps, la montée en puissance d’une surveillance de masse de plus en plus agressive et intrusive, sous couvert de protectionnisme bien mal-approprié, montre la peur grandissante de la droite pour les « classes dangereuses » dont Thiers parlait.

Consistance et crédibilité :

Nous sommes tous portés par les valeurs qui nous animent et aucun groupement d’individus ne peut s’organiser en dehors des valeurs qu’ils ont en commun. Celles-ci sont obligatoirement au cœur des choix politiques. Elles sont le résultat des philosophies ou des religions auxquelles nous adhérons. Toutes les civilisations se sont construites de cette façon et la « décivilisation » terme qu’E. Macron empreinte à N. Elias sans en maitriser le sens, ne peut être entendu que comme une désaffection des valeurs jusque là portées par le groupe concerné. Il pointe des actes courants de délinquance, n’ayant aucun liens entre-eux, pour légitimer l’emploi de ce terme, mais ils ne sont en rien représentatifs de cette désaffection. L’abandon des valeurs sur lesquelles s’est édifiée une civilisation ne peut que conduire à sa chute. Les signes avant-coureurs d’une désaffection des valeurs sont d’un autre ordre que ce qu’imagine le Président de la République. Les idées novatrices et foisonnantes, en rupture avec l’ordre établi, qui ont précédées la révolution française nous en donne un aperçu. Actuellement, des manifestations de cet ordre apparaissent dans la multiplication des divers soulèvements et mouvements sociaux qui surgissent et convergent. En désertant les institutions et en remettant en cause la société dans son ensemble, le mouvement des Gilets Jaunes en a été une expression typique.
Pour que les choix politiques soient et restent cohérents avec les valeurs qui les ont fait naitre, ces dernières doivent être connues et reconnues par tous, transparentes et représentées dans toutes les structures institutionnelles, inscrites dans une constitution respectées et révisées que quand l’ensemble du groupe concernées en exprime démocratiquement le besoin. A défaut, les esprits les plus enclins à la perversion trouveront toujours le moyen de les maquiller pour en tirer avantage, comme la droite le fait depuis son origine, qu’elle soit légitimiste, orléaniste ou bonapartiste.

Avant de se frotter à ses valeurs, il conviendrait de faire le tour de celles qui fondent la gauche. Ne doit-elle pas commencer par lever les ambiguïtés qui existent au sein de sa propre constellation politique ? Est-elle consciente et unis autour des valeurs qu’elle défend ? Est-elle au clair sur l’existence et la reconnaissance de chacune d’elles, sur leur sens, leur importances, leur définitions  et leur mise en pratique ? C’est peu probable. Force est de constater que face à une droite en déroute, la gauche fait pâle figure. Certains prétendent toujours participer aux gouvernements successifs qu’ils dénoncent en prétendant les changer de l’intérieur… Est-ce encore crédible après plus d’un siècle de compromis ? Se revendiquant de gauche, certains, au sein du gouvernement, vont jusqu’à porter des projets de loi radicalement de droite et rejetée par l’ensemble de la population. N’est-ce pas une démonstration de trahison, plus que de compromission ?
La gauche se montre hésitante, incapable de se rassembler et de rester campée sur ses fondements. Elle aussi fait preuve d’une timidité maladive quand il s’agit d’aller débattre sur le fond. Elle manque de franchise, de sincérité et de rigueur au point de se confondre avec ses détracteurs. Elle apparait animée par une myriade de pensées hétéroclites, quelque fois hors-sol ou contradictoires et se montre elles aussi contaminées par les virus du vedettariat et de l’égo. Elle avance par soubresauts pulsionnels et maladroits, se noyant dans des dérives idéologiques parfois difficilement défendables. Ceci fait le lit des militants de droite qui dénoncent, sans opposition, une « cancel culture », un « droit-de-l’hommisme », un « humanitarisme » ainsi qu’un « wokisme » fourre-tout dont le but pervers est de retourner des valeurs vertueuses contre ceux qui les défendent. Tétanisée, par l’incertitude de ses positions la gauche semble plongée dans un doute profond. Pour retrouver ses esprits et pouvoir répondre clairement à cette simple question « qu’est-ce qu’être de gauche ? »  elle doit se recentrer sur les valeurs qui la définissent et faire le tri entre celles historiques qu’elle garde, celles qu’elle doit restaurer, et celles qu’elle estime nécessaire d’introduire dans son paysage idéologique.

A une époque où la paix règne encore, pourquoi ne pas reprendre les discours construits et rationnels qui ont permis aux révolutionnaires du siècle des lumières de renverser l’ancien régime avec l’adhésion de la population, en opposant la raison et l’éthique au mysticisme et à la morale ?
Mais actuellement, le militantisme de gauche n’a rien à envier au militantisme de droite, composé principalement de personnes animées par des convictions sans profondeur de champ. Le militantisme ne peut être efficace que quand il sait de quoi il parle, au risque de se résumer à des discours superficiels. Pour beaucoup, le statut de militant consiste à colporter des idées sans les avoir intégrées, ce qui limite leurs échanges, les poussent à esquiver les débats ou à verser dans l’agressivité à la moindre contrariété. Ce processus est aussi remarquable à droite qu’à gauche et l’une comme l’autre reste sur son « quand à soi », sans se risquer à éprouver ce qui fonde ses vérités par une confrontation verbale ou écrite. Pourquoi refuser l’échange des idées et de leurs valeurs ? Pourquoi la gauche ne prendrait-elle pas cette initiative, alors qu’elle devrait avoir beaucoup moins à perdre que la droite ? Dialoguer avec ceux qu’elle qualifie d’ennemis en temps de paix, est sans doute la seule façon de ne pas en arriver à cette extrémité radicale et dangereuse qui consiste à leur nier tout statut d’être humain. N’est-ce pas précisément un glissement idéologique qui revient traditionnellement à la droite plus qu’à la gauche ? La pente d’un clivage radical et définitif ne peut que nourrir un conflit qui va inexorablement vers le pire. Au pouvoir, et dans l’obligation de partager un quotidien, que fera la gauche de ceux de droite que le mépris et la haine aura galvanisée ? Doit-on aussi craindre le pire dans ce cas de figure ? Le 13 avril dernier, le journaliste Hugo Clément a participé à une soirée organisée par l’hebdomadaire de droite « Valeurs Actuelles » pour y parler écologie. Pourquoi la gauche et les écologistes lui en ont-ils tenu rigueur en le conspuant médiatiquement ? Y aurait-il un risque de contagion idéologique ? Ou peut-être y aurait-il un caractère inné plutôt qu’acquis qui fait la personne de droite ou de gauche ? Si la structure de pensée de droite, comme celle de gauche est bien la résultante d’une succession de croyances, de valeurs et de logiques, alors il est question d’aller débattre sur ce qui constitue ces dialectiques. A refouler la parole de la droite en la qualifiant d’inaudible, ne nous plaçons-nous pas aussi sur un terrain passablement raciste et anthropophobique ?

Conclusions :

La gauche doit assumer ses incompatibilités et dénoncer l’imposture de tous ceux qui se discréditent dans des jeux de spectacle et de pouvoir. Elle est l’incarnation, dans la continuité, de l’idéologie du siècle des lumières qui s’est imposée par la raison et l’humanité et, à ce titre, elle ne peut que se prévaloir de cette même raison humaine pour s’imposer aujourd’hui comme alternative. Raison dont le « bon sens » ne cède rien au « sens commun ». Raison qui suit et assume ses logiques, qui est capable de se réviser rationnellement et qui ne cède à aucune pression. Raison qui, face à la cupidité, la morale, la passion et la duplicité, doit pouvoir opposer une retenue, une éthique, une réflexion et une sincérité.
Les rhéteurs de droite ne savent pas de quoi ils parlent ou, quand ils le savent, ne peuvent que difficilement l’avouer sans se discréditer auprès de leurs public. Nul besoin de mépris, de rejet ou d’agressivité. Il est juste question de pousser ses contradicteurs dans leurs retranchements sur leurs crédos favoris, en leurs demandant de justifier leurs points de vue, avec leurs articulations, jusqu’aux valeurs sur lesquelles ils s’appuient. Sans surprises, les rhéteurs professionnels n’admettront jamais oralement leurs apories, par crainte que leur égo ou leurs ambitions en pâtissent. Mais cette façon a au moins le mérite de les percer à jour et de montrer à leurs publics la réalité de celui ou celle qui espère les séduire.
Dans cet exercice, le plus efficace reste l’échange écrit, car il permet de prendre le temps de comprendre ce qui se dit, de se pauser et de poser les bonnes questions, d’éprouver la raison de son interlocuteur argument par argument, en évitant les rhétoriques scabreuses, les diversions, les effets de manche et tous les artifices de la parole. L’écrit à aussi l’avantage de pouvoir être rendu public et de laisser des traces, autant de preuves de ce qui a été dit, pensé ou acté.
Si le renversement des valeurs qui est toujours à l’oeuvre a une chance d’aboutir, il ne peut véritablement opérer sa bascule qu’au prix d’un flux constant entre la forme et le fond dont l’objectif est de rendre visible et lisible les valeurs qui y circulent et les actes qu’elles requièrent. Il faut abandonner les discours courants, lieux communs superficiels et inachevés, stériles et contreproductifs, car c’est le lieu de prédilection de la droite. Par la généralisation des pratiques issues d’un « matérialisme dialectique », l’argumentaire de la gauche devrait être en mesure de faire rendre gorge les valeurs qui animent la droite qui, ainsi mises à nue, permettra à la population de faire, à l’avenir, des choix plus éclairés.

JBL

(1) L’Est Républicain du 14/05/23
(2) Cf P.ZARKA : « Un système à bout de souffle »

Photo by Barthelemy de Mazenod

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