Le logement : part existentielle de nos vies, lieu stable (demeure !) de la sphère intime (chez soi !), adresse reconnue (résidence !) d’où nous déployons nos vies, relations et activités; lieu nodal renvoyant toujours à l’archétype de la maison (domicile ! du domus) où s’instaure une part essentielle de notre usage du monde (habitation !), et de notre usage de soi et rapport aux autres (foyer !), irréductible à un abri ou un toit, qui manque scandaleusement à beaucoup, et à l’agencement spatial d’une somme de fonctions indispensables!
Tissé de rapports (d’individus et de famille, de genre et de génération, de voisinage et de quartier, de cohabitants et de concitoyens.) il a été transformé en un véritable dispositif technique et technocratique, idéologique et politique, économique et financière, source d’émancipation et d’autonomie pour quelques-uns et d’aliénation et d’hétéronomie pour beaucoup autres.
La grave crise actuelle du logement, de l’immobilier et de la construction, avec des causes structurelles et conjoncturelles, spécifiques et communes, résulte de décisions et choix politiques impliquant tous les acteurs (gouvernements et collectivités, institutionnels et financiers, publics et privés, maîtres d’ouvrages et gestionnaires, concepteurs et constructeurs…). Dans un système capitaliste la crise du logement est inhérente à la domination du marché. Et le néolibéralisme se nourrit en permanence de la précarité et tensions qu’il génère.
Après la résorption de l’habitat insalubre durant les trente glorieuses par la construction des cités-dortoirs, depuis 50 ans a été promu une France propriétaire au détriment d’un habitat social décrié, dévalorisé, et sorti du droit commun dans les quartiers sensibles stigmatisés : tarir l’offre sociale (par définition accessible au 3/4 des ménages !), parquer prioritairement et massivement les plus pauvres, dénoncer la ghettoïsation résultante. Et appliquer la politique “de la ville”, à l’aide de l’argent public et avec l’injonction à la mixité sociale : démolir (non-sens écologique et violence symbolique), expulser (violence sociale et psychique) et remplacer en rentabilisant le sol libéré par de juteuses opérations de promotion !
Le logement social réduit à un garde-fou pour les relégués du marché, et au degré zéro d’un parcours résidentiel vers la propriété facteur d’ascension sociale, le risque des copropriétés dégradées par l’endettement des acquéreurs sur 20 à 30 ans face aux aléas et incertitudes des parcours de vie, la baisse qualitative des logements par leur transformation en un produit d’investissement et d’abattement fiscal, la financiarisation massive de la production du logement par les fonds d’investissement, le vol que constitue un loyer dans un bâtiment largement amorti depuis longtemps (soit une pure rente de situation sociale et spatiale!), généraliser une offre bas de gamme socialement accessible… c’est mutiler nos vies quotidiennes.
Reprendre notre maîtrise invite à nous réinventer individuellement et collectivement en réinventant nos logements selon la foisonnante diversité de nos modes d’habiter et usages à l’aune d’un bien vivre ensemble durable. Cela induit une remise en cause radicale de nos manières de voir et de nos façons de faire : jeu des acteurs au sein des divisions sociales du travail instituées (maîtres d’ouvrages, maîtrise d’œuvre, habitants…), finalités politiques et juridiques (statuts du sol, de l’immeuble, de la propriété, de l’occupant,), ainsi que modes de conception et de réalisation, de montage et de financement, d’administration et de gestion.
Un grand service public national et décentralisé du logement, proactif, hégémonique, dynamique, innovant, territorialisé et autogéré, de construction et surtout de rénovations continues, pourrait mobiliser l’ensemble des acteurs autour de solutions contextuelles sur mesures au service d’un objectif politique de premier ordre : le logement comme un bien commun singulier !
Comme le service public de l’éducation ou de la santé, et sur la base d’une cotisation, il garantirait un droit au logement concrètement assuré hors de la sphère marchande : un accès universel tout au long de la vie et quel que soit le lieu où on souhaite habiter à une offre d’excellence architecturale et environnementale, au diapason des aspirations et besoins évolutifs de nos vies.
Reste à savoir si un réalisme de repli et de régression jugera une telle politique utopique voire impossible, ou si au contraire un réalisme de combat et de progrès jugera une telle révolution d’accès au droit comme une bifurcation impérative, souhaitable et possible, et source de luttes aujourd’hui quasi inexistantes, et de mobilisations fédératrices pour une alternative en marche ici et maintenant.
Makan Rafatdjou
Quelques chiffres sur le logement en France
38 millions de logements ordinaires : 82% de résidences principales (en baisse), 10% de résidence secondaires (en hausse) et 8% de logements vacants (soit plus de 3 millions ! stable) ; 56% de logements individuels et 44% de logements collectifs ; 58% de propriétaires (+20% en 40 ans) et 40% de locataires (25% dans le privé, 15% dans le social)
Multipropriétés d’investissement spéculatif : 24% des ménages détiennent 70% des logements privés, et 3,5% des ménages en détiennent 50% !
330.000 sans domiciles fixes, dont 1/3 ont un emploi parfois en CDI ! 2,5 millions de ménages en attente de logement social, dans les zones tendues l’attente d’une proposition de grand logement peut durer 10 à 15 ans ! 4,1 millions de personnes en situation de mal-logement chronique, et 12,1 millions de personnes en situation de fragilité !
L’État ponctionne chaque année 1,5 milliard sur le budget imparti au logement social ! La production du logement est à son niveau le plus bas depuis 30 ans, mobilisant pour la première fois ensemble l’Union Social de l’Habitat, la Fédération des Promoteurs de France, et la Fédération Française du Bâtiment. Ce dernier, après les pertes de 20.000 emplois en 2022 et près de 80.000 en 2023 estime à plus de 200.000 les suppressions possibles en 2024.
Dans le cadre de l’objectif de Zéro Artificialisation Nette des sols pour 2050, on estime que de 70 à 80% du bâti de 2050 existe d’ores et déjà : l’enjeu est moins de construire du neuf que de rénover, dont le rythme nécessaire est estimé à 700.000 logements/an, nous en sommes autour de 40.000/an !
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