Avant toute chose permettez-moi de couper court à l’idée que les Français semblent indifférents à la situation politique. Au contraire les mouvements sociaux depuis les gilets jaunes et déjà avant démontrent une attention, une sensibilité aux évènements politiques qui se succèdent. Notre peuple est un peuple politisé. Il se passionne, il discute, il se dispute aussi sur chaque évènement. Nous venons de le vérifier avec récemment le vote de la loi immigration et ces jours-ci avec les conflits des agriculteurs, celui des cheminots et des personnels de santé. La bataille parlementaire sur la réforme des retraites a mobilisé des centaines de milliers de salariés, de retraités, de jeunes, preuve de l’engagement partisan. Ceci étant dit, nous percevons un décalage, un abîme, une contradiction entre d’une part cet appétit de débats, de confrontations, d’actions et le refus grandissant de participer aux élections institutionnelles, politiques ou syndicales. C’est un sujet préoccupant. J’y reviendrai dans la discussion.
La nomination du nouveau gouvernement traduit bien cette situation. Son désaveu immédiat, sa contestation générale ne sont pas le signe d’un mouvement d’humeur mais traduisent un ras le bol à l’égard d’une gouvernance qui ne répond pas aux attentes du pays, qui contrarie la majorité des citoyens, qui pénalise les gens en difficultés tout en privilégiant les intérêts des plus fortunés. Les citoyens ont acquis de l’expérience en plus de six ans. Macron peut parler, plus grand monde n’écoute. D’autant qu’il nous a habitué à faire le contraire de ses annonces. D’où la poursuite du mouvement des agriculteurs malgré les pressions de la FNSEA pour les inciter à stopper leur lutte. Gouverner à coups de 49/3 à répétitions indispose non seulement les opposants historiques mais aussi une majorité d’électeurs macronistes qui refusent l’effacement de l’Assemblée Nationale et le pouvoir ultra personnel du président. Je pense que le mouvement des gilets jaunes a été le premier coup de boutoir massif contre cette forme de présidentialisation du pays. Suivi du mouvement contre la retraite à 64 ans, des luttes climatiques et environnementales, des révoltes des jeunes des cités et des agriculteurs. Le pays s’oppose à cette politique et ce mouvement ne peut que grandir car la politique menée par Attal et son gouvernement va mécontenter d’autres catégories de travailleurs. Le problème étant la traduction politique. Le mouvement de politisation sociale va-t-il se poursuivre dans les urnes ?
Vous me demandez s’il faut déléguer sa confiance au système représentatif ? Ma réponse sera une réponse de normand. Non et Oui. Le système actuel ne répond plus aux aspirations. Des pans entiers de la société sont absents des lieux de décision, les lieux décisionnels sont éloignés de la population, les gens n’ont pas de prise sur les décisions qui les concernent. La démocratie est bafouée. Les assemblées élues ne sont pas respectées, pire elles sont ignorées, complètement écartées. Ce qui se passe à l’assemblée nationale en est la caricature. Mais peut-on éviter la représentativité ? Interminable questionnement ! Je crois difficile de s’en passer. Faudra bien trouver des formes nouvelles de participation, d’implication individuelle corrélées à la représentation des groupes, des forces agissantes. Élire des représentants, c’est toujours en dernier ressort ce qui traduit le niveau démocratique d’un pays. Un pays sans élection est une dictature ou un chaos régi par le droit du plus fort.
Ce qui est questionné, c’est le mode d’élection. Qui vote ? Comment on vote ? Quel type de vote ? Il est évident que l’on ne peut se satisfaire du vote d’une minorité comme nous le voyons en France aujourd’hui. En gros, les électeurs représentent les classes aisées. Les plus pauvres, les dominés, les déclassés sont souvent les plus abstentionnistes car ils se sentent comme abandonnés par la société. Pourtant c’est eux qui subissent le plus les réformes inégalitaires et qui devraient investir le combat démocratique électoral. Les gilets jaunes l’ont illustré. Pourtant les mêmes ont politisé au maximum leur action en s’en prenant directement au Président de la république, ciblant ainsi le principal responsable de leur situation. Problème, beaucoup d’entre eux se sont abstenus lors des élections présidentielles et législatives laissant ainsi Macron aux commandes du pays. Qu’est-ce qui cloche ? Les partis de la gauche, les syndicats n’ont pas pris la mesure de la détresse populaire, des colères qui montent, du feu qui couve. Depuis, ces partis courent après le mouvement social sans en faire partie. C’est un vrai problème. Mouvement social, mouvement syndical, partis politiques devraient agir de concert. Pour défendre les aspirations et pour porter des solutions aptes à coaguler l’action. Et le faire ensemble. Ce serait une première réponse positive je le crois.
Les partis sont-ils à bout de souffle ? Sous la forme partidaire, probablement. Sous la forme mouvement englobant les sensibilités, les individualités, je pense que leur rôle n’est pas terminé. L’aspiration autogestionnaire a beaucoup progressé durant ces décennies. Chacun d’entre nous souhaite se prendre en mains, s’approprier son cadre de vie, maîtriser davantage ses sentiments, son corps, ses pensées. Un mouvement tel que je le conçois doit pouvoir intégrer ce désir individuel avec la nécessité d’une action coordonnée, disciplinée, cohérente, efficace. Ce qui demande une immense liberté individuelle au sein du collectif. Ce n’est pas incompatible à condition qu’un effort d’éducation soit effectué dans le même temps. Le mouvement doit impulser les latéralités nécessaires pour regrouper des forces jusque là hostiles à l’embrigadement des partis. La forme parti me paraît trop rigide, verticale, centraliste pour assumer une telle façon de structurer l’organisation.
José Espinosa
Nous souhaitons prolonger le débat et lever
les obstacles au passage des luttes à la politique.
D’accord, pas d’accord, vous avez envie de réagir ?
Envoyez vos contributions à : contact@ceriseslacooperative.info
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie