Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

LES PERSPECTIVES

La nécessité d’une refonte des pratiques militantes

Plusieurs intervenants appellent à repenser les modes d’action et d’organisation pour s’adapter à un contexte en mutation. L’objectif ne serait plus d’aménager le capitalisme, mais d’imaginer un modèle de société fondé sur des principes alternatifs, intégrant à la fois les impératifs écologiques et les enjeux de justice sociale et construire une nouvelle façon d’articuler individu et collectif.

Dominique Belougne : « Il nous faut aider à dégager ou à redonner au peuple, en tout cas aux acteurs humains et sociaux, l’envie de se réengager en politique, de se réengager dans le mouvement social, de se réengager dans la vie associative, de reconstruire une articulation dialectique entre l’émancipation individuelle de tous et de chacun. La notion de collectif, pendant trop longtemps a été utilisée comme enfermant la dimension individuelle ou la contraignant au lieu de lui permettre de se développer jusqu’au bout ».

D’autres pistes sont évoquées comme repolitiser la question du travail, en redonnant du sens aux collectifs de travail et en réhabilitant les luttes sociales. Pour Jean Marie Harribey il faut d’une part réhabiliter le travail, redéfinir ses finalités, lui redonner du sens, pour le dire tout simplement, parce que la protection des travailleurs et la protection du vivant sont les deux faces d’une même pièce. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui la question du post-capitalisme est enfin rouverte.

Nara Cladera poursuit : « Le syndicalisme est un outil très puissant, dans l’espace du travail, c’est un espace d’échange, un espace politique. Et parce qu’on a, dans les collectifs de travail, justement, l’analyse de notre propre travail et de ce qui est en train de se passer, inévitablement, c’est un espace politique où il se passe une réflexion collective.

Développer une alternative au modèle économique dominant, en intégrant la question écologique comme un enjeu central.

Josiane Zarka : « Il n’y a pas que le capitalisme qui fait système, il y a aussi les stratégies d’ensemble du mouvement progressiste, qu’elles soient syndicales, politiques, associatives. La plus grande urgence, avec la fin de ce compromis c’est de revoir dans leur cohérence l’ensemble des pratiques politiques. Et peut-être syndicales, traditionnelles, y compris la place des élus.

Pierre Zarka « Mesurons combien la vie politique et syndicale est en deçà de ce qui commence à germer, et combien le potentiel populaire est plus important qu’on ne le pense. Vouloir par exemple récupérer les 173 milliards d’impôts et du travail offerts aux entreprises du CAC 40 n’apparaît pas aujourd’hui comme un objectif pour répondre à des tas de revendications ».

Makan Rafatdjou : « La radicalité de l’alternative, c’est sortir de la colonisation par le capital, des imaginaires.  Aujourd’hui, dans l’ensemble des services publics, que ce soit l’éducation, la santé, le logement, l’énergie, etc., on doit se mobiliser pour rendre les gens autonomes et les impliquer dans la façon dont on les pense. C’est-à-dire que les services publics, ce sont des services que nous rendons à nous-mêmes. Ce n’est pas seulement d’autres qui nous le rendent à nous, ou la société extérieure à nous qui nous le rend.

Construire de nouvelles formes d’organisation et d’action, adaptées aux réalités actuelles et capables de mobiliser efficacement

Josiane Zarka : « S’il y avait une recommandation peut-être à faire et à réfléchir, c’est que les élus ne s’enferment plus dans les institutions, mais que le centre de gravité de leurs actions, c’est de se déplacer vers la mobilisation populaire. Les luttes doivent changer de nature, qu’elles soient politiques ou syndicales, et qu’elles s’attaquent plus directement, plus frontalement au cadre capitaliste. Il faut qu’on développe des luttes et des expérimentations qui ne cherchent plus seulement à faire pression sur le haut, mais qui cherchent directement à transformer la société, comme les coopératives, les Amap, les médias basiques ou même ce qui s’est fait plus récemment avec l’A69 »

Dominique Belougne : « Qui décide des contenus de la nouvelle société dans laquelle on a envie de vivre ? Moi je n’ai pas envie que ce soit une nouvelle élite, qualifiée de « révolutionnaire », d’ailleurs auto-déclarée « révolutionnaire », qui décide. Il faut découvrir ensemble ce qu’on va construire de commun, de nouveau, d’utile, et qui va répondre aux aspirations et aux attentes ».

Pierre Zarka : « Cela pose la question de notre regard sur le rôle du peuple dont quelqu’un a dit qu’il ne suffit pas qu’il proteste mais qu’il soit au niveau de la genèse des propositions et du post capitalisme. Je crois, et ça rejoint un peu d’une certaine manière ce que disait Jean Marie à propos du travail, qu’il y a quelque chose qui devrait nous interroger sur la manière dont on présente qui est porteur, qui est garant du devenir de la société.

Depuis le mouvement sur les retraites, les personnages principaux et ça continue dans l’esprit des gens, ont été les éboueurs, les raffineurs de pétrole, avec le covid, les soignants, ça a été les enseignants, les cheminots. Le monde du travail redevient indispensable. Alors il redevient indispensable pour le fonctionnement de la société, mais nous n’osons pas faire en sorte qu’ils deviennent indispensables pour le combat politique. Et quand je dis le combat politique, c’est pour la pensée politique, pour l’élaboration de solutions. Il y a des exemples qui ont été pris tout à l’heure en disant : il y a des initiatives ponctuelles de caractère autogestionnaire mais nous n’en faisons pas la règle générale et nous continuons à faire en sorte qu’on les considère comme des exceptions, de talent mais des exceptions ».

Christophe Courtin : « D’autant plus que le point commun de toutes nos luttes, ce sont les rapports de domination. On peut expliquer le capitalisme par les rapports de domination. Je pense que c’est vraiment un fil conducteur et ce qui me paraît une piste à creuser, pour agréger, pour donner un nouveau récit, à l’exemple des luttes féministes en général. Dans le sens où elles sont sur un avenir d’émancipation ».

Makan Rafatdjou : « Le capitalisme a anticipé à chaque fois les changements qu’il voulait. Et je pense que le mouvement ouvrier, pour aller vite, le mouvement d’émancipation, au-delà du grand récit, a besoin de cette capacité proactive. Et de la même façon dans le monde de travail, il faut bien entendu que les travailleurs puissent être maîtres de décisions dans le monde de travail, mais le monde de travail n’appartient pas qu’aux travailleurs, il appartient à l’ensemble des citoyens, sur les finalités de ce qu’on produit, sur les modalités de ce qu’on produit, etc.  Il faut le faire avec les travailleurs, mais c’est aussi une façon de sortir de la dichotomie entre travail et vie, entre sphère de travail et sphère de vie.  Et là-dessus aussi, le capital nous a enfermés dans son imaginaire ».

Pierre Zarka : « C’est une question de considérer que l’alpha et l’oméga de la construction politique, c’est le peuple. Qu’il faille que le peuple trouve des moyens de s’organiser collectivement, c’est une chose, mais ça ne passe pas forcément par la construction d’un appareil qui, à partir d’un moment, réclame qu’on lui délègue son savoir, son pouvoir, ses capacités de pensée, et on est dans de la verticalité. Et on voit bien que ça, ça ne marche plus ».

Du déjà là en Serbie…

Patrick Le Tréhondat : « C’est une leçon politique magistrale que nous a donné le mouvement étudiant le 9 mars, qui a fait une déclaration au peuple serbe, alors que c’est le mouvement étudiant qui a emmené la contestation depuis décembre 2024.  Le mouvement étudiant a déclaré qu’il ne pouvait pas diriger le pays, il ne pouvait pas construire l’alternative : nous sommes – dit-il – un secteur particulier de la population, nous sommes un secteur particulier de ce pays, et nous ne pouvons pas prétendre à diriger le mouvement de contestation. Vous, travailleurs, paysans, pharmaciens, chauffeurs de taxi, acteurs de théâtre, réunissez-vous dans vos AG, dressez vos revendications, décidez ce que vous voulez faire de la Serbie de demain. Mais nous, quoique nous sommes un mouvement puissant en Serbie, nous vous le disons tout de suite, nous ne dirigerons pas le mouvement de contestation ».

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