Les Français·e·s passent davantage de temps à faire le ménage qu’à gagner leur vie ! Le travail domestique (cuisine, ménage, courses, soins aux enfants, etc.) occupe environ 48 milliards d’heures chaque année contre 41 milliards consacrées au travail professionnel. Mais ces « services » ne sont pas reconnus comme travail, ni comptabilisés dans le PIB, alors qu’ils le seraient si nous les achetions, sous la forme d’heures de ménage ou de garde d’enfant. Pourtant, le temps passé à élever ses enfants, à s’occuper de sa famille est aussi essentiel au bien commun que le temps passé dans l’emploi en entreprise. L’universitaire féministe Sylvia Federici explique que « l’usine capitaliste ne peut fonctionner sans l’usine domestique, car c’est cette dernière qui permet de reproduire la force de travail ».
La normalité sociale ne reconnait comme valeur travail que les activités qui relèvent du rapport marchand, confondant ainsi travail et emploi. Cette séparation arbitraire des différents moments du parcours de vie et de travail d’une même personne permet à ceux qui détiennent l’argent et le pouvoir de ne pas reconnaitre et rémunérer le travail domestique, pourtant vital pour la société. Cette dissociation est possible car le travail domestique comme le bénévolat ou le travail non rémunéré des blogueurs(ses) sont ambivalents : ils participent à la fois du fonctionnement de la société et relèvent de valeurs « qui n’ont pas de prix » : l’amour, l’engagement, la passion. C’est pour cela que, le plus souvent, les personnes concernées ne songent même pas à demander reconnaissance et rétribution.
Dans son ouvrage récent « Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? » (2018) Maud Simonet sociologue chercheuse, montre comment le travail domestique constitue « la matrice d’analyse des nouvelles formes de travail gratuit ». Le néolibéralisme à la recherche de nouvelles sources de profits, s’appuie sur ces affects et dons de soi, qui caractérisent notamment le travail domestique, pour développer cette forme d’exploitation où le travail des intéressés n’est pas reconnu et est accaparé par des entreprises à but lucratif.
Dans les parcours vers l’emploi salarié, on observe de plus en plus de passage par le travail gratuit : celui des bénévoles, celui des allocataires en contrepartie des aides sociales, celui des stagiaires non rémunérés à qui on présente ces stages comme un « investissement » dans une future carrière ou celui des rédacteurs et rédactrices web pour lesquels les frontières entre le travail « pour soi » » et le travail « pour autrui » sont floues.
Cependant des luttes émergent pour faire reconnaître que toutes ces pratiques bénéficient à la collectivité et que le temps que l’on prend à son plaisir participe aussi de notre rôle pour faire fonctionner la société. C’est pourquoi il semble préférable de ne pas parler d’aliénation des intéressés mais d’appropriation de leur travail par des tiers en vue d’en tirer un profit privé. C’est ainsi que les blogueurs du journal en ligne Huffington Post, qui ont contribué gratuitement au fonctionnement du journal depuis sa création, ont demandé que leur activité soit reconnue comme travail et que leur soit rétrocédé un tiers du profit réalisé par l’entreprise.
Josiane Zarka
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