La démocratie présente de multiples facettes selon qu’elle est représentative, populaire, participative, directe, chacun de ces qualificatifs exprimant une vision autant qu’une forme. La crise démocratique est aujourd’hui évidente, profonde, son issue incertaine. Il faudrait sans doute aussi parler de démocratie écologique ou climatique pour en indiquer un horizon. Horizon obscurci quand la démocratie dans les colonies a permis de bazarder les modalités traditionnelles d’organisation pour imposer l’ordre colonial. Par les armes au besoin, les missionnaires en complément.
Comment travailler le concept aujourd’hui en faisant l’impasse sur le fait que dans les quartiers populaires elle est synonyme de tasers et pas d’égalité, que pour bien des racisé·e·s et des peuples la démocratie est/était le cache sexe du (post)colonialisme ?
Quand la démocratie permet au fascisme d’arriver au pouvoir (mais c’était déjà vrai dans les année 1930), faut-il continuer d’utiliser une formulation dévoyée qui permet au grand État démocratique du Moyen-Orient de perpétrer un génocide ? A Erdogan de guerroyer contre les kurdes ? A Mumia Abu Jamal de pourrir depuis 42 ans dans une prison américaine ?
Comment accorder crédit à une notion qui couvre racismes et discriminations, quand elle ne les justifie pas ?
Je ne suis pas sûr qu’on puisse sauver le soldat démocratie…
Et comme l’alternative ne peut être ni un quelconque autoritarisme, ni un ordre divin, ni un populisme qui laisse la place belle aux dominations à l’œuvre, il nous faut bien examiner comment dépasser l’affaire.
L’autogestion, dans son entendement originel, a porté un élargissement du pouvoir par le peuple. Les expériences de la seconde moitié du XXe siècle (Yougoslavie, Tanzanie, …) ont le mérite des expériences, sans forcément ouvrir une solution. Pourtant dans le mouvement ouvrier, coopératif, associatif, l’autogestion, en particulier ses formes coopératives, a été un outil de luttes, d’appropriation du pouvoir par les intéressé·e·s. Son périmètre se limite-t-il à la gestion, d’une entreprise, d’une société, d’une association ? Le pouvoir d’agir (« empowerment ») lancé par des québécois a eu l’ambition de proposer un outil, qui se voulait d’émancipation.
Peut-on dès lors considérer qu’il nous faudrait dépasser le « concept » de démocratie en en gardant le meilleur pour dépasser le périmètre des pouvoirs et porter l’émancipation, en plus de l’autogestion, de l’autodétermination et mettre fin ainsi aux dominations ?
Dans les quartiers populaires, les initiatives autodéterminées, les solidarités organisées, qui ont connu une vraie extension depuis la période Covid, ne sont-elles pas l’expression de ce vouloir et les prémisses d’une auto-organisation sociétale ? Mais celle-ci doit-elle se limiter au local, au « près de soi » ? Les réflexions en cours dans le mouvement altermondialiste, l’appel récent (avec toutes ses limites) à rénover l’ONU font surgir ce besoin d’organiser autrement le fonctionnement mondial. Ambition vaine ?
Quartiers populaires ou racisé·e·s, si nous ne trouvons pas de réponses collectives, partagées, comment pourra-t-on regretter (ou contester) que des communautarismes, ou d’autres organisations plus ou moins obscures et immatérielles, occupent le terrain vacant et le vide de perspectives ?
Il n’y a, je crois, aucune fatalité à ce que les réseaux sociaux et la dématérialisation des communications n’offrent un boulevard qu’aux fausses nouvelles, aux influenceur·euse·s de tout acabit et aux manipulations les plus confuses.
Réinventer la démocratie suppose de tisser un nouveau rhizome avec les auto (gestion, détermination, organisation, etc.) qui ne soit ni la réplique des « dirigeants éclairés » de la république de Platon ni l’ombre portée de l’ordre colonial ou du patriarcat « gaulois ». Il y a des mines d’or dans les pratiques des quartiers populaires (mais pas que…), appuyons-nous dessus, menons autant de palabres qu’il ne sera utile, la principale opposition à la mafia en Sicile, c’est les coopératives paysannes . Des organisations remarquables redonnent dignité dans les bidonvilles de Buenos-Aires ou Medellín.
L’avenir crèvera de notre manque d’imagination.
Patrick Vassallo
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie