Quand naissent partis et syndicats, la période est dominée par les logiques délégataires. Un triptyque régit alors l’organisation sociale. Au sommet, l’État est censé incarner l’intérêt général. Les partis ont la charge de la médiation entre la société et l’État. Se substituant à l’ancienne médiation des notables ils participent à la politisation populaire. Les associations et les syndicats expriment quant à eux, les intérêts de groupes particuliers, qu’ils font valoir auprès des partis et de l’État[1]
Cette construction est aujourd’hui bousculée par la mondialisation, la réorganisation de la production, la transformation des identités professionnelles et sociales… L’identification entre État et l’intérêt collectif ne fonctionne plus si bien notamment lorsque les questions du « travail », de son organisation, de sa rémunération, de son contenu et de son sens, deviennent des enjeux d’intérêt général.
Poursuivre cette réflexion nous amène à la question de l’organisation de l’action collective aujourd’hui et aux problèmes de la formation de la volonté générale qui demeure le paradigme de la démocratie.
L’effacement des frontières entre la politique, l’économie et le social contraint à réarticuler action sur le concret et action sur le global. Il ne peut plus y avoir une démarche de spécialistes du global car on est face à une double inadéquation : les syndicats dans leur champ et les associations dans le leur se voient en permanence objecter les contraintes de l’économie ; les partis et l’État ne faisant qu’enregistrer la demande sociale sans être capable de la traiter globalement… De fait, le marché et/ou un pouvoir autoritaire apparaissent comme les deux seules réponses à une situation résultant de l’insuffisance de normes sociales ou de leur désorganisation.
La crise actuelle bouleverse la manière dont chacun – État, partis, mouvement social – doit penser sa fonction. Cela interdit de camper sur la distinction classique des rôles faisant du syndicalisme la simple « école d’apprentissage de la politique ».
Le souci d’indépendance syndicale n’est en rien de l’indifférence à la politique et à la citoyenneté. Ce qu’avait rappelé à Nantes le 49ème Congrès de la CGT alors que patronat et gouvernement tentaient de brouiller les cartes. Simplement ce qui fait la spécificité de l’intervention syndicale, réside dans cette relation intime entre le vécu des salariés et les propositions alternatives en construction.
Je ne crois pas à la fusion des organisations qui garderont des fonctions et des idées différentes. Mais je crois à la nécessité de formes nouvelles de mise en commun : les unes et les autres doivent participer à la définition des grandes perspectives sociales comme aux choix de gestion ainsi que le concevait le préambule de la constitution de 1945. Ce qui correspondrait par exemple à la mise sur pieds d’une démarche planificatrice inédite dans son champ et sa méthode.
Jean-Christophe Le Duigou
Économiste, syndicaliste
[1] Seul le courant du « syndicalisme révolutionnaire » défend une vision différente, non délégataire que l’on retrouve dans l’esprit même de la « Charte d’Amiens ».
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