La coopérative de débats.

L’espace où vous avez la parole.

Journal de Jo, 2eme partie, L’Après

Jo est en Palestine depuis le 2 octobre. Elle poursuit l’envoi de son journal. Nous continuons à le partager. Sylvie Larue

L’après…

Journal, Palestine octobre 2023

Halhul, samedi 7 octobre 2023

Normalement, nous devions partir vers midi pour Ramallah. Hier nous avions fait nos lessives et commencé à ranger nos affaires : nous attendions juste que R. revienne de Jérusalem pour lui faire un petit coucou d’au revoir avant de filer vers le Nord. Le voilà qui débarque vers 8 h 30 : « Vous avez entendu les infos ? ». En chemin, il a appris par la radio que des roquettes étaient parties de Gaza, pas seulement un ou deux pétards comme ça arrive de temps à autre, mais des dizaines de bombes.
Surtout, il paraîtrait que des (dizaines ?) de combattants du Hamas aient été parachutés sur Ashkelon (la ville israélienne la plus proche) et que, peut-être même, ils aient réussi à sortir des voitures de la Bande de Gaza ! Incroyable ! Comment est-ce possible ? Chez les Palestiniens c’est la stupéfaction : faut-il vraiment y croire ? Ça paraît à tout le monde complètement fou ! « Mais pourquoi maintenant ? C’est pas les deux tués de Huwara qui ont déclenché ça… il y en avait déjà eu tellement avant ! ». Nous allumons la télé : images de tanks israéliens brûlés, voitures militaires capturées et ramenées à Gaza, des combattants qui ont réussi à pénétrer dans les colonies à proximité ! C’est encore plus gros que ce que tout le monde imaginait ! R : « Putain ! Ça va chier, Israël va réagir grave ! ». Brusquement, on entend des bruits de bombardements vers le Nord : 2, 3, 4, 5, 6, 7 ! Le téléphone de R. sonne : c’est un de ses fils qui l’appelle de Jérusalem, il a été réveillé par des bruits de bombes tombées près de Beit Safafa, le quartier palestinien de Jérusalem où ils habitent et qui est proche du mur et de la colonie de Gilo. Les rockets viennent de Gaza. « Je vais avoir du boulot !» : il est médecin. « Ça y est, ça commence ! Cette fois ça va être terrible, Israël ne peut pas laisser passer ça. Ils ont rappelé tous les réservistes. Vous voulez que je vous donne un conseil ? » nous dit son père « Je pense qu’il faut que vous rentriez en France ». R. appelle un Français qui est passé chez lui avant d’aller vers le Nord : « T’es
où ? ». « Au camp de Balata ». « Tu dégages, tu viens ici ou à Ramallah ou au moins dans Naplouse ville ». Et l’autre qui répond : « Je suis responsable de moi ». R. raccroche : « C’est sûr, ils vont commencer par s’attaquer aux camps ». Le téléphone sonne de nouveau : c’est son autre fils, en fin d’études de médecine, parti pour un stage en Italie, il devait revenir après-demain. « N’essaie pas de rentrer, file chez nos amis en France ». R. appelle sa femme : il pense qu’il vaut mieux ne pas sortir de
la maison.


Samedi, 10 h 30

A 10 h 30, on apprend par la radio israélienne que des combattants du Hamas ont pris près de cinquante otages. R. zappe d’une chaîne à l’autre : le gouverneur général de la région Sud aurait été tué et tous les prisonniers de la prison d’Ashkelon libérés, des combats auraient lieu en ce moment dans sept colonies autour de la Bande de Gaza. Ce n’est pas une petite attaque de rien du tout, c’est une opération d’envergure, sûrement préparée de longue date. Les télés arabes diffusent des images de la flotte aérienne du Hamas : des ULM ! Les tirs de roquettes c’était vraisemblablement pour faire diversion, l’attaque a eu lieu par la mer et les airs, avant de libérer le passage pour les voitures. Mais comment ont-ils bien pu prendre d’assaut si bien gardé d’ordinaire ? Israël a bloqué Jéricho et le pont Allenby vers la Jordanie, toutes les entrées de Jérusalem sont fermées, l’aéroport Ben Gourion aussi.
On téléphone à Ramallah : plus sage de ne pas se lancer sur les routes, les amis comprennent. Pour les cueillettes d’olives c’est foutu, jamais les copains ne pourront arriver jusqu’ici. Une image abominable à la télé : un soldat tué, ramené en voiture à Gaza, jeté au sol comme un vulgaire paquet et des mecs qui manifestent leur joie autour. R : « C’est dégueulasse ! Ce n’est pas suffisant de tuer, il faut faire ça ? ». Quels cons ! Sûr que ces images vont faire le tour des TV occidentales en boucle (lesquelles TV n’auront bien sûr jamais diffusé d’images du massacre à Jénine, ni des maisons, ni des champs d’oliviers brûlés, ni des déclarations des fascistes du gouvernement israélien prônant l’extermination des Arabes). « Des images comme ça, de Palestiniens tués, il y en a eu plein ici de diffusées par Israël, avec des mecs qui trônaient devant les cadavres, pourtant ce n’était pas des soldats mais des civils, parfois des femmes, des enfants. Ces images-là vous ne les avez jamais vues en
Europe. Mais ce n’est pas une raison pour faire pareil ».
Le téléphone de R. sonne sans arrêt. Les copains de la coopérative ont décidé de faire le plein de gasoil pour alimenter les groupes électrogènes : en cas de coupure d’électricité, il faut absolument que le boulot de pressage du raisin puisse continuer. Résistance.
Nous partons vers la coop. Les paysans affluent tous avec leurs productions : chacun sait bien qu’on ne va pas pouvoir continuer à circuler longtemps. Et merde, la pompe d’extraction du jus qui tombe en panne ! Les cageots de raisin s’accumulent devant la porte et les voitures chargées de grappes continuent à arriver, arriver ! C’est R. le spécialiste des machines : auscultation de la bête, réparation de fortune, il faut aller chercher des pièces de rechange. Quatre hélicoptères de combat passent sous nos yeux en rase motte en direction de Gaza. Un jeune de la coop de moins de trente ans les regarde et soupire : « J’en ai marre, marre de tout ça. Je veux juste la paix. Pour tout le monde. Pourquoi toujours des combats ? Des Palestiniens tués, des Israéliens tués, et donc encore des Palestiniens tués, encore, toujours… Il faut que ça finisse. Je prie, je prie tous les jours pour la paix ». « Mais il ne peut y avoir de paix sans justice, non ? ». « Non, évidemment ». Le jeune gars se lève en soupirant pour aller
donner un coup de main au déchargement des caisses de raisin.
Nous repartons chercher les pièces nécessaires à la réparation de la pompe, R. a mis la radio israélienne.


11 h 45, Netanyahou :

« Ne restez pas au travail, quittez votre bureau : c’est la guerre ».
Même discours de Mohamed Daif, un des leaders du Hamas. On a oublié d’acheter des bouteilles
d’eau, on s’arrête en chemin dans un bouiboui pour en prendre 16, de 2 litres. On ne sait jamais. A
Halhul, ils n’ont qu’une seule distribution d’eau par semaine pour remplir les citernes, si Israël décidait
de couper…Je me souviens des années 2 000, des distributions interrompues et des soldats qui tiraient
sur les citernes des toits pour empêcher la collecte des eaux de pluie.
Pendant que des tirs font rage à moins d’une heure d’ici, R. farfouille dans les étagères de son atelier
à la recherche du joint manquant et moi je caresse la petite chatte, installée sous le jasmin. Elle est
tranquille, elle ronronne, c’est une bonne maison ici. R : « Saloperies de clébards, ils ont dévoré tous
les chats du quartier, je les déteste ! ». Palestine.


14 h 30

On est dans l’atelier de R. avec des amis à lui, on boit du thé et on mange des Petits Sablés de Retz (marque Mont Saint Michel) et aussi des amandes salées amenées par un voisin. L’ordi diffuse les infos en boucle de la télé. On se force à plaisanter sur des conneries mais le cœur n’y est pas.« Vous êtes optimistes vous, les Français ? ». « Non, pas vraiment, et toi ? ». « Non ». Des messages commencent à arriver de la France : les copains sont inquiets. Ici, on attend. Tout est calme. Pour l’instant. Tout le monde a l’oreille tendue vers le ciel. On apprend vite à identifier les bruits : avions,
hélicos, bombardements, tirs à la mitraillette (avec toutes les variantes). Ordinairement, la grande avenue de Halhul qui va vers Hébron et qui passe devant l’atelier n’est qu’un gigantesque embouteillage enrobé de concerts de klaxons, cette après-midi peu de bruits et peu de voitures.
Chacun donne son avis. « Vous allez voir, on va revenir à la situation des années 2000 mais, pour une fois, Israël paie aussi, presqu’à égalité. A la fois on est contents et en même temps c’est triste la mort des êtres humains. Mais la communauté internationale n’a rien fait, elle a laissé Israël jouer avec le feu ! Et voilà maintenant où on en est ! ». R. propose d’aller sur une de ses parcelles située en hauteur : de là on voit Gaza, Ashkelon et la mer. On est à 60 km des combats : on voit les fumées qui obscurcissent le ciel, on a l’impression que c’est au-dessus de la ville israélienne. On entend résonner aussi le tremblement sourd des bombardements.
On sort la viande, les tomates, les oignons, les courgettes pour le barbecue. Opération com pour la famille et les amis : on fait quelques photos, ça ressemble à un tranquille repas dominical, on les enverra en France pour rassurer tout le monde. On a aussi fait des photos du petit âne qui attend tous les jours R. dans l’espoir qu’il lui ouvre la porte pour pouvoir aller se régaler des grappes de raisin tombées au sol, il a un regard doux, on dirait qu’il s’est maquillé les yeux avec du khôl. « C’est toujours
la nuit le pire pour les bombardements ». R. regarde son champ de vigne. « J’ai à peine ramassé 40 % de ma production. J’avais laissé les meilleurs raisins pour la fin, ceux qui se vendent cher et assurent le bénéfice de l’année. Et voilà, c’est foutu. Toute une année de travail pour rien ! ». Il marque un temps de pause et rajoute : « Vous voyez un peu comment on devient ? Je suis là à m’inquiéter pour quelques grappes, alors qu’en face il y a des gens qui perdent leur vie… C’est égoïste ».
Avant qu’on parte pour le « barbecue », on avait réussi à joindre C., le Français qui était à Balata. Il était allé voir « le chef du camp » ( ?!) qui lui avait dit de partir tout de suite vers le Sud ou au moins Ramallah. On lui avait dit la même chose à 9 heures du matin… à 15 h il prenait la route ! On savait que les colons avaient commencé à tirer sur toutes les voitures à plaques vertes, que bientôt les grandes routes seraient fermées par l’armée et qu’il ne resterait plus que les chemins de terre pour
se déplacer dans la nuit, avec tous les risques que ça comportait. La nuit tombe très tôt ici, R. est inquiet. Il n’arrête pas d’essayer d’appeler le mec qui ne répond pas. On décide de plier bagage : des fois qu’il nous attendrait devant la porte de la maison ! On arrive, personne. Il fait maintenant nuit noire et toujours impossible de le joindre. On appelle toutes les 10 minutes devant la télé allumée qui diffuse des images de guerre. Les avions qu’on a vus passer ont fait leur boulot : deux tours d’habitations d’une quinzaine d’étages (de celles qui ressemblent à nos HLM) explosées. Soit disant
des repères du Hamas : au moins 160 personnes tuées. Israël a déclenché l’opération baptisée « Les épées de fer ». Et toujours pas de nouvelles de C !

Les télés arabes diffusent et rediffusent et re-rediffusent des images de bombardements, de combats, de captures d’otages, de corps d’Israéliens tués, d’otages ligotés terrorisés (au début on voyait leurs visages puis ils les ont floutés). Shebabs masqués triomphants, mitraillettes à l’épaule, juchés sur des véhicules militaires pris à l’ennemi : alléluia, la solidarité des pays arabes, à ce prix-là, ça ne mange pas de pain ! « Vous vous rendez compte, ils ont pris en otage une vieille dame en fauteuil roulant ! Qu’est-ce qu’ils vont en faire ? Ils sont débiles ou quoi ? ». On apprendra plus tard que ce ne sont pas les combattants du Hamas qui l’ont kidnappée mais des gens de la population : quand le mur a été détruit, il y a eu une foule de personnes à se ruer dehors par la brèche. Depuis 2006, quasiment personne n’avait pu sortir de l’enclos (« la plus grande prison du monde à ciel ouvert », comme disaient les médias un tant soit peu sérieux), les bombardements avaient succédé aux bombardements (2006, 2014, 2016, 2021…) et lesmorts aux morts, pratiquement tous civils. Les mômes qui ont une vingtaine d’années aujourd’hui n’ont jamais rien connu d’autre et toutes les familles ont été touchées. Qui sème l’injustice récolte la
révolte, tôt ou tard. Voire pire.
De nouveau, tentative d’appel du Français en perdition : toujours rien. Une heure passe, une heure trente : il se décide finalement à décrocher ! « Tu es où ? ». « A Bethléem ». La voix a changé… elle est légèrement plus « fébrile » que ce matin ! « Le chauffeur ne veut pas aller plus loin ». « Mais, merde, on t’avait dit de partir ce matin ! Bon, on va essayer de te sortir de là mais tu gardes ton téléphone en main et tu décroches dès qu’on t’appelle. Passe-moi le chauffeur ». R. discute avec lui et lui demande de garder pour l’instant « le Français » dans sa bagnole. Appels tous azimuts pour tenter de trouver une solution ; ça y est, R. en a trouvé une : un gars de Halhul coincé à Bethléem, il connaît toutes les petites routes, il va se débrouiller pour ramener le mec ici. R. rappelle le Français… qui ne décroche toujours pas ! On se relaye à plusieurs pour l’appeler : toujours rien, ça tourne au gag ! R. a mémorisé le numéro du chauffeur qui, lui, répond immédiatement ; il lui explique le plan : « OK, pas de problème ». « Passe-moi le Français. Bon, alors, écoute, voilà comment on va faire… quand tu arrives à Halhul tu me dis à quel checkpoint tu es et je vais te chercher ». On est furax : s’approcher en pleine nuit d’un poste militaire, pour un Palestinien c’est hyper dangereux ! R. décide d’appeler la famille du Français pour les rassurer : il fait bien, à eux non plus il ne répondait pas ! Le téléphone sonne à nouveau, c’est le chauffeur : « Le gars d’Halhul est déjà parti, je fais quoi ? ». Il
aurait pu rajouter « du paquet », on éclate de rire et puis on réfléchit. Nous, on est pour l’hôtel : qu’il se démerde ! Mais R. ne veut pas, il se sent responsable du gars et veut le mettre en sécurité. « C. est sympa mais il ne se rend pas vraiment compte de la gravité de la situation, je préfère qu’il soit bien encadré par des Palestiniens ». Pour éviter de faire n’importe quoi ? Deheishe c’est la solution : il y a des copains là-bas et puis ce n’est pas loin. R. les appelle : « Mince, comment on va faire ? J’ai déjà seize Espagnols réfugiés chez moi. Bon, OK, OK, on va s’arranger. Je descends au bord de la route et j’attends ton homme ».

La télé nous apprend qu’il y a maintenant plus de 230 morts à Gaza mais pour
R. l’obsession c’est de mettre en sécurité le Français, il le rappelle mais l’autre ne répond toujours pas : on l’imagine tétanisé au fond du taxi. Cette fois on n’insiste pas, on va se caler avec le chauffeur directement. Trente minutes plus tard les copains de Deheisheh nous disent « Ça y est, c’est bon ». Ouf, on va pouvoir décompresser : combien d’heures passées à s’occuper d’un seul mec, censé être venu ici par solidarité avec les Palestiniens ?


Halhul, dimanche 8 octobre 2023

Cette nuit, les chiens ont été étrangement silencieux.
Couché à 2 h, R. s’est levé à 5. Il a fait le tour de la ville : toutes les entrées sont bouclées par des montagnes de terre déposées par l’armée israélienne. Côté palestinien : grève générale, pas un seul magasin d’ouvert. Réunion à la coop : « On fait quoi ? Presser le raisin c’est pas bien, c’est ne pas respecter le mot d’ordre. Ne pas presser, c’est pas bien, toute la récolte sera foutue. Surtout que le marché au gros est fermé et que, de toute façon, même s’il était ouvert, impossible de sortir le raisin de table de Halhul. En plus, on ne sait même pas si on a assez de bouteilles pour transformer tout leraisin en jus. C’est la merde ! ».


Dimanche, 12 h 30

Un énorme hélico tourne en rond au-dessus de la ville. Depuis ce matin, survol incessant d’avions. Au moins une grosse explosion entendue depuis Gaza. Quelques tirs du côté de la vieille ville d’Hébron. Barrière orange fermée au pont : on a bien fait d’aller acheter nos verres de collection avant-hier, humour palestinien.
14 h : 512 morts palestiniens, la radio israélienne en annonce 400 de son côté, du jamais vu depuis 73. Pour la population palestinienne, l’attaque d’hier était totalement inattendue : clairement, tout le monde était sidéré, même les militants qui sont toujours au fait de l’actualité et des débats qui traversent la société. Aujourd’hui il se dit qu’il y avait du tirage entre la direction politique du Hamas, qui voulait garder ses postes, et la branche armée et que les premiers non plus n’était pas au courant.
Que croire ? Les rumeurs les plus folles circulent, avant d’être contredites (comme la prise de la prison d’Ashkelon). Mais la réalité de ce qui s’est passé hier dépasse tellement toutes les plus folles fictions imaginées… L’enlèvement du soldat Shalit en 2006 avait valu « Les pluies d’été » sur Gaza, pour finalement, après des négociations obtenir sa libération contre 477 prisonniers palestiniens en octobre 2011. Mais jamais Israël n’avait connu une situation telle que celle d’aujourd’hui : on parle de plus de 100 otages et puis la Bande de Gaza est désormais ouverte. La donne a totalement changé : vis-à-vis de l’opinion publique israélienne, que va faire le gouvernement, déjà fortement contesté par les manifestations hebdomadaires ? Est-ce que la population israélienne va ouvrir les yeux, virer les fascistes au pouvoir et pousser à de véritables négociations ou bien est-ce que, au contraire, elle va resserrer les rangs autour de son gouvernement et le pousser à monter d’un cran encore vers
l’écrasement de la Palestine ? Tout le monde s’interroge dans les Territoires et est bien conscient qu’Israël n’a pas encore sorti toute sa puissance de feu. Et, avec ça (mais il fallait s’y attendre) le Hezbollah libanais qui a bombardé le secteur des fermes de Chebaa (appartenant au Liban mais « réquisitionné » par Israël) : la population israélienne du nord est invitée à descendre vers le Sud. La population palestinienne, quant à elle, est prise dans un étau, dépossédée de toutes les clés. Elle reste chez elle en attendant que le ciel lui tombe sur la tête d’un moment à l’autre. Pourtant, la solution est connue de tous : respect des résolutions de l’ONU et protection internationale. Mais, à Bruxelles, Ursula condamne fermement cette sauvage agression d’Israël et, à Paris, Macron affirme son total soutien au pays hébreu. Allez, on reprend la carte du plan de partage voté par les Nations Unies en
47 : c’est un petit minimum, vous ne trouvez pas ? Jérusalem, Bethléem, Hébron, Ashkelon, etc : c’était où ? On peut aussi consulter les multiples résolutions votées contre l’occupation, les transferts forcés de populations, la colonisation, pour le droit au retour, etc : pour quel effet ? L’Occident a fabriqué une bombe au Moyen Orient, l’a minutieusement graissée et joue maintenant les biches effarouchées. Pour quoi ? Se laver la conscience par rapport au génocide des Juifs commis par l’Europe
des collabos avec le nazisme ? Conserver coûte que coûte un pied sur la route du pétrole ? Ils sont où, finalement, les intérêts des Palestiniens comme des Israéliens ?
L’ambassade de France à Tel Aviv conseille à ses ressortissants de ne pas bouger et d’attendre (patiemment) que les vols reprennent. Ouf ! le pays des Lumières est à la hauteur !


Halhul, lundi 9 octobre 2023

Hier, j’ai passé toute la journée à répondre aux mails et à taper des textes pour la France. A part regarder la télé en boucle, apprendre qu’il y a de nouveaux morts à deux pas d’ici et être pendu au téléphone, il n’y a rien à faire. Aller aider à cueillir le raisin ? Pour quoi faire, on ne peut ni le presser ni le vendre comme raisin de table. Ah, si, nettoyer par terre, faire la vaisselle, boire un café, fumer une clope et reboire un café et… La seule chose qui peut être utile c’est d’ouvrir grand ses yeux et ses
oreilles et de faire sortir le bruit et les images enregistrés à l’extérieur du pays pour contrer la propagande de désinformation. Et puis, partager la vie des gens et, surtout, ne pas devenir un poids supplémentaire pour eux.
Nous avons appelé notre ami Michel Warschawski, grand militant israélien pour la défense des droits du peuple palestinien : « Le gouvernement a été totalement surpris, ils ont l’air de ne plus savoir où ils en sont. Bon, c’est déjà un bon point. Et puis il y a des otages, du jamais vu. Quel plan maintenant ? ».
En attendant, toute la soirée d’hier, toute la nuit et ce matin jusque vers 9 h 30, les bombardiers ont défilé de manière ininterrompue vers Gaza. Des affrontements ont eu lieu un peu partout dans les villes et les villages de Palestine et le terminal 3 de Ben Gourion a été bombardé. Les syndicats palestiniens ont saisi l’Organisation Internationale du Travail : de nombreux ouvriers palestiniens travaillant en Israël sont introuvables et ne répondent plus au téléphone. Il se dit que les chars sont entrés à Ramallah, vérification faite, non, mais ils encerclent totalement toute la ville, impossible d’entrer, impossible de sortir. Et toujours, toujours, ces bruits d’avions. Nous ne savons plus trop si nous avons dormi, ni combien de temps, les yeux de tous commencent à se creuser. Et toujours, toujours ces avions, ce matin c’est incessant. Jusqu’à hier, on les guettait, maintenant on guette les silences. Les chiens ont recommencé à hurler cette nuit mais maintenant ça ne nous gêne plus : on en
vient à ne souhaiter entendre qu’eux, comme une marque de normalité. Pas de cris d’enfants dans l’école d’à côté, toutes les écoles sont fermées, ici comme en Israël.
Tout à l’heure un voisin est passé (l’atelier de R. semble être devenu le bureau d’information de tout le quartier, enfin, plus exactement, de la gauche du quartier). Il nous a raconté que lundi dernier il avait téléphoné à un ami israélien, garagiste comme lui et habitant à Ashdod, pour lui souhaiter une bonne fête des Cabanes : « Ça va ? ». « Oui, ça va, tout est calme par ici ». Le gars l’a rappelé avant-hier de l’aéroport : « Je pars, je dégage, je quitte ce pays de merde ! Bonne chance à toi ». Il nous dit aussi qu’un monsieur du village de Sa’ïr a appelé l’employeur de son fils en Israël pour lui présenter ses condoléances face à ce qui se passait et lui demander de prendre soin de son fils. Le lendemain l’employeur l’a rappelé : « Tu peux venir le chercher, il est dans un sac ».
Cette nuit dix jeunes de Halhul ont été arrêtés. Aujourd’hui, l’armée a enlevé les tas de terre qu’elle avait mis devant les points d’accès pour ne laisser que les barrières oranges, fermées : plus facile si elle veut faire une entrée massive et rapide dans la ville.
Dans la Bande de Gaza, une école où les gens s’étaient réfugiés pour se protéger a été bombardée. J’imagine que ce soir on fera encore le compte d’autres horreurs commises, vu le nombre d’avions à être passés. L’organisation Médecins du monde a interpellé l’ONU pour demander qu’un couloir humanitaire soit ouvert vers Gaza afin d’acheminer médicaments et matériel médical et pouvoir aller soigner les blessés, ils ont aussi exigé que l’armée israélienne cesse de tirer sur le personnel médical.
On en saura plus aussi sur ce qui se passe en Cisjordanie : il n’y a certes pas eu de bombardements mais elle est entièrement bouclée, personne ne peut plus aller travailler à l’extérieur de sa ville de résidence (ni rentrer chez lui s’il se trouvait ailleurs), ni se rendre à l’hôpital ni à l’université. Cette nuitil y a eu dix jeunes de Halhul arrêtés et on a entendu des tirs. Apparemment, c’est un peu le même scénario sur toute la Cisjordanie. En Israël, c’est pas génial non plus : il y a eu des appels au meurtre lancés contre les citoyens palestiniens israéliens. Toutes les organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme viennent d’interpeller le Conseil de Sécurité








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