C’est peut-être l’une des caractéristiques essentielles de l’être humain que de produire des prothèses. Depuis la domestication du feu jusqu’à aujourd’hui l’I.A. (Intelligence Artificielle), nous avons multiplié et superposé les savoirs de production techniques et technologiques. Marx et Engels avaient déjà souligné cette particularité qui rendait l’être humain complètement dépendant de cette production exosomatique comme l’appellent certains.
Après la mécanisation, la robotisation et la numérisation, voici venu le temps de l’I.A., qu’on nous annonce, avec tambours et trompettes, pour nous faire miroiter une nouvelle source de bonheur. Mais, depuis la révolution industrielle, nous courons de promesses en promesses, vers un avenir censé nous libérer des servitudes de la vie, et nous nous retrouvons à chaque fois enfermés dans l’utilisation d’outils devenus indispensables pour exister, voire pour survivre, qui deviennent obsolètes régulièrement et qui nous maintiennent en constante servitude. Les rêves annoncés se transforment bien souvent en cauchemars, sauf pour ceux qui nous les vendent. Pourtant nous ne pouvons nier l’impact que toute cette progression technologique peut avoir dans notre quotidien et qui pourrait être effectivement plus bénéfique qu’aliénante. Imaginez une télévision qui ne soit pas un lieu de diffusion de marketing et de propagande d’Etat. Le problème ce ne sont pas les inventions, ni les inventeurs, ce sont ceux qui se les approprient pour leur plus grand bénéfice personnel. Les machines devaient libérer l’ouvrier d’une bonne partie de son temps de travail, mais les propriétaires des moyens de productions en ont décidé autrement et ses souffrances n’ont pas changées.
Alors voici que les technologies algorithmiques vont enfin venir changer notre vie. Ce n’est pas nouveau, voici déjà des années que l’I.A. est en marche. Ce qui est nouveau, c’est l’auto-alimentation des algorithmes avec une vitesse de calcul démultipliée, dans une base de données de plus en plus vaste. Ainsi nous voyons apparaître des robots séduisants, certains à visage humain, qui peuvent nous parler ou accomplir des tâches à notre place, mais il est intéressant de constater qu’on produit à côté, des robots spécialisés dans la surveillance de masse, les interventions policières et militaires.
Au-delà de cette bluffante apparence, il n’y a que du vide, ou presque. Ce qui est trompeur, c’est que dans cette course à l’I.A. on pense arriver à produire des copies d’êtres humains, qui plus est, surhumains… Mais l’être humain n’est pas une machine et son intelligence, pour peu qu’il en ait vraiment une, n’est pas artificielle. En ce qui le concerne, il n’existe pas de pensées ou d’actes qui ne s’origine d’émotions. L’idée, l’invention, l’innovation, les désirs, les envies, les joies, les tristesses, les angoisses, bref tout ce qui traverse la psyché humaine est parcouru d’émotions. Comment le penser d’une machine ? Et comment penser qu’un jour elle puisse en être dotée ? Certes, une superposition d’algorithmes se nourrissant d’une base de données recouvrant l’ensemble des productions humaines peut synthétiser une réponse à une question en quelques millièmes de nano secondes, mais cette réponse ne sera jamais que ce que les algorithmes auront trouvé de plus approprié dans la base de donnée. Aussi l’I.A. peut produire, par assemblage d »éléments, des images, des textes, des discours ou rechercher des articles de loi en lien avec une situation juridique, mais le produit final ne sera jamais que le résultat d’une synthèse de ce qui existe déjà dans la base de données étendue, mais forcément limitée. Certes, les chercheurs, payés pour équiper les androïdes de réactions humaines, vont créer des comportements imitant les émotions avec plus ou moins de talent. Mais cela ne marchera qu’avec ceux qui veulent y croire.
Stanley Kubrick s’était déjà intéressé à cette question en 1968 à travers son film « 2001 l’Odyssée de l’espace ». Il met en scène un vaisseau spatial « Discovery », qui fait route vers Jupiter et dont l’ordinateur de bord maîtrise la navigation. Mais, devant les réponses énigmatiques de l’ordinateur concernant l’objectif de la mission et les fausses informations qu’il émet, le commandant de bord décide, lors d’une discussion avec un de ses co-équipiers, de le déconnecter. Mais bien qu’ils se soient isolés pour échanger, l’ordinateur arrive à lire sur leurs lèvres et se « sent menacé ». Jusque-là, nous pouvons très bien imaginer qu’une telle situation puisse se produire. Mais la suite est peu probable. L’ordinateur ou, autrement dit : ceux qui l’ont conçu, ne peut calculer quelles vont être toutes les probabilités des réactions des personnages en présence, parce qu’il vont devenir inventif et l’être humain ne peut prédire une invention avant qu’elle ne se produise. Stanley Kubrick l’avait certainement déjà compris, son personnage parviendra à déconnecter l’ordinateur. L’I.A. ne peut penser le futur jusque dans l’infini de ses moindres détails et fonctionne avec aucune autre volonté que celle de ceux qui ont programmé ses algorithmes.
Et puisque ceux qui commandent ces programmes veulent nous vendre le nouveau rêve de l’I.A. pourquoi ne pas leur demander de poser à leurs créatures la question de savoir combien de temps il reste à vivre à l’humanité ? Si l’I.A. n’est pas programmée pour évincer cette question, elle devrait rendre une réponse suffisamment alarmante pour que ces marchands de sommeil ne puissent pas faire autrement que de se réveiller.
JBL
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