Telle est la question…
« Et si on faisait un dossier sur la chanson engagée ?
– Super idée ! On part sur quoi ?
– Dans le dernier album de Grand Corps Malade, Gaël Faye et Ben Mazué, y’a une chanson…
– Et puis, Gauvain Sers…
– T’es sûr ? Je connais pas bien, mais je l’aurais pas classé là…
– Si, si, va écouter !
– Si tu le dis…
– Oubliez pas le Rap ! Y’a des morceaux géniaux !
– Oh, et les Fabulous Troubadours, vous connaissez ? »
Fragments de discussion préalable au sein du comité Culture de Cerises…
Mais voilà. Une fois entériné l’idée d’où partir ? Parce qu’on peut se poser la question : est-ce que finalement, la plupart des chansons ne sont pas engagées ? On peut penser à Jean Ferrat, mais aussi à Francesca Solleville, à Marc Ogeret, à Mouloudji. Un peu aussi à Sardou ou Philippe Clay (mais bon, à droite…). Et est-ce comparable à l’Internationale, au chant des Cerises ou des Partisans ? Qu’est-ce qui fait l’engagement ? Est-ce la chanson qui « classe » le chanteur, ou l’engagement du chanteur qui classe la chanson ?
Quand on hésite, une solution : le dictionnaire. Rien de concluant, à part sur Wikipédia. On peut critiquer, mais c’est souvent un bon point de départ. Et la distinction est intéressante : partant d’une vieille émission Vibrato de 2013 (toujours accessible), l’article fait la différence entre « chant engagé et chant révolté ». Pour qu’il y ait chant engagé, il faut que les thèmes lyriques soient associés à « une envie immédiate de changement social ou politique ». Le chant révolté, quant-à-lui, se contente de dénoncer une situation, sans pour autant essayer d’y apporter une solution.
Si on va plus loin, l’article classe la Marseillaise parmi les chants engagés. Chant de guerre au départ, chant des partisans de la Révolution, il devient en 1795 chant national. Mais on ne peut nier que la composante révolutionnaire de la Marseillaise ne soit plus aujourd’hui le chant révolutionnaire qu’elle a été. Reprise par les nationalistes, et boudée par de nombreux français (à part au foot), elle tend à représenter une soumission à l’ordre établi. Et rien n’empêche de penser que les petits nazillons du RN s’imaginent grands révolutionnaires quand ils entonnent l’hymne national… Ils ne revendiqueraient certainement pas le Chant des Partisans, en revanche. Mais « Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes » a-t-il le même sens chanté par l’Armée Rouge, par Camélia Jordana, ou repris par le collectif « Motivés ! » ou en manif ?
La notion semble mouvante en fonction de l’histoire, du groupe qui le revendique, des conditions…
Mais quid des chants révoltés ?
La chanson « La cause » de Grand Corps Malade, Ben Mazué et Gaël Faye met le doigt sur le problème. On demande de plus en plus aux chanteurs de « prendre position », de se « mettre tout un tas de bonnes causes en compétition », de choisir son candidat, mais tout en restant à sa place, parce qu’il faut « laisser parler ceux qui savent ».
Légitimes ou pas, les chanteurs ? Doit-on chanter seulement ce qu’on connaît ? Une chanson peut-elle vraiment « cracher des tempêtes, allumer des brasiers » ?
Elle peut, en tous cas, faire réfléchir.
Et c’est là toute la beauté de la condition d’artiste…
Alexandra Pichardie, Daniel Rome
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