Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


A propos d’Annie Ernaux …

            « Passion simple », ce livre « au-delà », par lequel j’ai découvert Annie Ernaux, un récit totalement au cœur et profondément décalé, ce livre « comme un boomerang » dans la franchise de l’intime, du réel, de l’absolue nécessité d’une autre nature que celle de manger, boire et dormir. Toute son œuvre aura fonctionné comme un circuit imprimé générant sa dynamique des élans, des rêves, des désirs, des déprimes et des déconvenues. Que n’a-t-on écrit, comme si les récits de vie simple ne méritaient pas tel battage, manquaient de « fun », résonnaient gras comme un livre de Navel ou sentaient sale comme un Dickens ou un Steinbeck…

            On aime -ou pas- Ernaux. En plus elle s’engage. Et comme toutes ces artistes et écrivaines qui acquièrent un peu de notoriété, voici qu’une sorte d’illégitimité s’insinue dans la notoriété. Mal … ces femmes. Nous voici après le prix Nobel d’Annie Ernaux confrontés à de savantes controverses sur les « transfuges de classe ». Comme si d’elle ou d’Edouard Louis l’essentiel était là, et pas dans la teneur du récit, le contenu du roman, mais cette incertitude sur une crampe de l’auteur.e…

            Au fond se confirme ici que l’œuvre culturelle vaudrait parce qu’elle agrémente le réel d’une société écrasée par ses dominations et ses inégalités. Mais faire œuvre de ce réel-là : sacrilège !

            Le plus « transfuge » -et sans doute le plus vrai- dans les livres d’Annie Ernaux est de DIRE ces réalités, banales, routinières comme un RER, sublimées comme la passion amoureuse, dont l’ordre dominant entend surtout invisibiliser l’humanité, banaliser la violence, taire les résistances. Annie Ernaux -et d’autres- est la héraut de tant de héros du quotidien, humbles comme un jour sans pain, indicibles comme une « évidence ».

            Les histoires d’Annie Ernaux sont aussi nos histoires ; ou peuvent l’être. Avec une singularité bien à elle qu’Anas Allaïli, poète franco-palestinien (que Cerises la coopérative remercie d’avoir autorisé la publication de son texte) exprime si bien :

“On le voit, à travers une approche spécifique de la littérature, celle d’un texte nu et révélateur, qui ne recourt pas au mystère, qui ne cherche pas un modèle artistique, ne se concentre pas sur l’esthétique littéraire, ne se focalise pas sur l’imagination qui tisse l’histoire, et crée des personnages, des mondes et des évènements. La fonction de l’imagination ici est différente : il s’agit de récupérer, attraper des sentiments, les attraper avec des lames tranchantes, c’est-à-dire écrire de l’anatomie clinique. L’Académie Nobel montre donc son choix pour une forme de littérature de résistance, de nature personnelle, intime, multi-générationnelle, et multi- mémorielle. Loin de la multitude des mouvements artistiques mondiaux et de la diversité des doctrines qui oublient parfois le rôle essentiel de l’écriture, Annie Ernaux exprime directement les douleurs, les obsessions et les cauchemars de l’homme”.

Patrick Vassallo.   et Anas Allaïli

D’Anas Allaïli : « Étreintes tardives », éditions l’Harmattan

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