La coopérative de débats.

L’espace où vous avez la parole.

Un débat : Culture, luttes, émancipation

Les 5 février et 8 avril dernier le réseau AAAEF, l’équipe de rédaction de Cerises, et un groupe de militant.es du Npa avaient proposé de participer à une réflexion et des échanges sur le thème des mobilisations et des pratiques alternatives dans différents domaines, de l’antiracisme au féminisme en passant par le climat, la santé, l’activité des Gilets Jaunes ou encore les nouvelles pratiques citoyennes, marquées par l’auto-organisation et l’autogestion, dans les quartiers populaires de Marseille. Le dossier de Cerises du mois d’avril avait rendu compte des grands thèmes du débat.

Dans le prolongement de ces rencontres, des militant.es de la culture qui, pendant plusieurs mois, dans tout le pays, avaient occupé les théâtres, les opéras, les lieux culturels, ont accepté notre invitation à débattre de la dimension auto-organisée et autogestionnaire de cette lutte et des questions posées dans cette mobilisation sur les enjeux culturels pour la société que nous voulons.

Ces échanges ont fait l’objet du dossier de Cerises la coopérative de juillet 2021. Deux questions ont été posées aux invités. Vous trouvez ci-après leurs réponses en écrit et en vidéo.

Bruno Della Sudda

Présentation Bruno Della Sudda pour AAAEF

Animation Bénédicte Goussault pour Cerises, la Coopérative


Quelle est votre appréciation sur le mouvement en cours, ses origines, sa dimension auto-organisée et autogestionnaire et ses objectifs ? 

Magali Braconnot


Comédienne, organisatrice de festivals jeune public, occupante du théâtre du Merlan à Marseille, militante au SFA-CGT-Spectacle

Avec ce que vont nous rapporter les intervenantes et intervenants on devrait avoir une vision large de ce qui s’est passé pendant la lutte qui s’est menée dans ce secteur. Je suis comédienne et organisatrice de festivals pour le jeune public, j’appartiens au SFA le syndicat CGT des artistes. J’ai fait partie des occupantes et occupants du théâtre du Merlan à Marseille qu’on a commencé à occuper le 12 mars et où on est toujours présent.e.s même si ça a un peu baissé. On nous attendait plutôt au théâtre de la Criée qui est le lieu le plus connu et le plus symbolique de la ville et c’est un choix autre que nous avons fait en décidant d’aller dans les quartiers populaires. On a débarqué comédiennes et comédiens, technicien.nes et intermitent.es dans ce lieu qui est aussi une scène nationale pour montrer que la culture ce n’est pas forcement quelque chose d’élitiste ! Ce qui a été très intéressant c’est que nous n’étions pas seulement en lutte pour défendre nos intérêts personnels mais pour parler de tous les droits sociaux en général et même des questions de société. Ainsi notre première revendication ça a été la critique de la « réforme » de l’assurance chômage même si ça a été mal compris par le public et les médias. On a participé à toutes les manifs du moment contre le tout sécuritaire, le climat, la santé…

Ce qui m’a intéressé aussi c’est la façon dont on s’est organisé, de façon horizontale avec pas mal d’AG pour prendre les décisions et si j’avais vécu auparavant des choses comparables dans les mouvements alternatifs elles n’étaient pas forcément partagées dans ce secteur. Avec la volonté d’organiser la démocratie dans les lieux occupés ou pour prendre la parole pendant les réunions. La mise en œuvre de ces pratiques de type autogestionnaires n’allait pas de soi mais ça s’est retrouvé dans tous les lieux occupés et ça s’est aussi installé assez vite dans la coordination nationale. Ce qu’il faut aussi noter c’est la place importante prise par les femmes. Il y a eu la volonté que chacunes et chacuns trouvent sa place dans cette lutte et ça s’est retrouvé dans la charte qui a été adoptée au Merlan. Profitant d’un laps de temps disponible plus important que d’habitude nous avons mis en place des ateliers sur les droits sociaux, sur la façon de travailler différemment dans notre secteur et on a essayé d’établir des liens avec le quartier. Ce qui a en particulier été fait avec un lieu emblématique du XIV° arrondissement, l’ancien Mac Do, lieu récupéré et autogéré par ses salarié.es. Et ces relations durent. Il faut aussi noter que les occupant.es se sont « apprivoisé.es » avec la direction du théâtre et que des relations ont été établies en particulier un partage du planning pour l’occupation des lieux. Et il devrait y avoir des suites favorables en particulier dans le domaine de l’éducation populaire.


Laurent Eyraud-Chaume

Comédien, responsable d’une compagnie en milieu rural, militant au sein de « l’occupation itinérante 05 »

Je suis comédien dans les Hautes Alpes et responsable d’une compagnie. Par ailleurs je suis délégué régional du SYNAVI Syndicat National des arts vivants. On est entré dans la lutte un peu plus tard et on s’est interrogé sur l’intérêt d’occuper les grands lieux culturels alors que la plupart de celles et ceux qui sont en mouvement n’y travaillent presque jamais. Par ailleurs on est dans un département de montagne avec trois heures de voiture entre le nord et le sud et une vingtaine d’intermitent.es mobilisé.es. Aussi on a décidé de mettre en place une « occupation itinérante » qui a duré quelques semaines et s’est transformée en un mouvement diffus avec des actions coups de poing et des rencontres avec des élu.es. On a moins dormi dans les théâtres et je ne pourrai pas raconter autant de choses que Magali. Par contre ce que j’ai ressenti c’est un décalage avec les artistes et technicien.nes. En effet ce qui est apparu dès le premier jour c’est qu’il ne fallait pas que le mouvement soit refermé sur lui-même et se construise principalement sur les intérêts propres des interessé.es. Et pour un vieux militant comme moi ça m’apparaissait comme un frein pour la mobilisation. En effet on est en face de gens pour qui la crise du covid a entraîné une perte de leurs revenus. Ainsi lors de la première réunion un intermittent a indiqué qu’il n’avait eu que deux cachets depuis un an et demi, perdu 50 % de ses revenus et qu’il ne subsistait que grâce à l’intermittence. Il y a des gens qui en raison de la crise sanitaire ont des revenus de 800 à 900 euros par mois et qui proclament « attention il ne faut pas apparaître comme des privilégié.es ». L’idée s’est installée de façon insidieuse dans les têtes que nous serions quelque part des privilégié.es. Nous avons eu des débats entre nous sur cette chose là et sur la légitimité de lutter quand on gagne 1500 euros par mois. Et cela raconte quelque chose sur l’état de la société.

On a dormi dans des lieux d’éducation populaire, des lieux municipaux mais aussi dans le théâtre La Passerelle à Gap lieu où peu d’habitant.es ont l’habitude de rentrer et c’est aussi un paradoxe de la situation. Au début de la crise du covid il y avait un mouvement de solidarité envers les hauts lieux culturels et on s’est vite rendu compte qu’on oubliait toute une partie du secteur culturel. Que c’était de fait une solidarité à une décentralisation qui s’est faite de façon assez pyramidale avec des lieux où il peut certes se passer des choses intéressantes mais qui laisse de côté la banlieue et le monde rural. Et ceci avait pour conséquence que ça laissait de coté toute une partie du secteur culturel n’appartenant pas aux schémas dominants : les artistes et technicien.nes intervenant en prison, dans les centres sociaux, dans les écoles ou faisant du théâtre de rue. Et au bout d’un certain temps on a vu apparaître ces gens-là et c’est la précarité qui les a mis en mouvement. Cette disparité illustre ce qu’est la vie culturelle dans notre pays, et l’incompréhension de directeurs de théâtres proclamant leur solidarité et ayant pris en résidence des tas d’artistes mais qui laissent de côté plein d’autres.

Juste un dernier point. Parmi les textes qui sont sortis à la Criée il y en a un sur la propriété des théâtres et la réaction de celles et ceux occupant ceux-ci c’était de dire « les théâtres sont à nous ». Ça a un rapport avec notre débat sur l’autogestion, en effet pour pratiquer celle-ci il faut forcement être propriétaires des lieux. Et beaucoup de participante.es et en particulier dans les jeunes générations se sont rendu.es compte que ce n’était pas du tout le cas et qu’il n’y avait aucun pouvoir sur la façon dont ces outils étaient gérés. Et ce alors que celles et ceux qui y dormaient proclamaient « le théâtre c’est à nous ». Ceci ouvre une réflexion passionnante sur comment le monde culturel pourrait demain faire des théâtres des espaces communs. Certes il n’est pas du tout sûr que la plupart des directeurs soient super partants pour cela mais c’est un débat ouvert et une grande force de renouvellement.


Emmanuelle Gourvitch

Administratrice d’une compagnie et organisatrice d’un festival en PACA, présidente du SYNAVI

Je suis co-présidente du SYNAVI Syndicat national des arts vivants, syndicat des compagnies indépendantes, du tiers secteur, du spectacle vivant. Donc un syndicat d’employeurs mais depuis la crise du covid nous avons des positions extrêmement proches de celles des salariée.es et en particulier de celles de la CGT Spectacle. Et ce pour la raison que nos structures ont comme principale richesse leurs salarié.es. Nous nous reconnaissons non pas comme un service public mais comme défendant l’intérêt général dans une économie mixte, certaines de nos structures étant subventionnées et d’autres non, certaines étant sous forme d’associations d’autres de coopératives. Depuis le début du mouvement dans le secteur culturel notre revendication a été la nécessité d’un plan de relance fléché sur le salariat pour permettre aux interessé.es de travailler. En effet sans salarié.es il n’y a plus de compagnies, de projets, d’action culturelle et d’éducation populaire.

Pendant les occupations le SYNAVI était présent dans certains lieux mais pas forcément partout mais par contre les liens ont toujours été forts avec les occupant.es. Nous avons travaillé dans des ateliers de réflexion, participé à la rédaction de certains textes dont l’un en date de Mai dernier s’appelant « Du ruissellement à l’irrigation par la racine pour un nouveau paradigme de politique publique ». En effet la question du changement de paradigme est au cœur de ce mouvement d’occupations. Et c’est aussi pourquoi la question de la lutte contre le projet actuel de reforme de l’assurance chômage est si importante car elle touche un grand nombre de gens. Et il y une propagande mensongère de l’Etat sur l’aide qui serait apportée au secteur culturel qui est violente et qui vise à diviser les interessé.es. Et c’est ce qui se passe d’ailleurs dans toutes les luttes. Je ne pense pas que vivre avec 30 % de ses revenus et ne pas travailler pendant un an soit un privilège, que l’année blanche soit aussi un privilège. Un métier c’est un métier qu’on exerce, ce n’est pas de pouvoir bénéficier d’une année blanche et ça n’a rien à voir. Aujourd’hui nous sommes dans une sorte de contradiction entre la nécessité pour les compagnies et leurs salarié.es de retrouver le chemin des plateaux ou d’autres lieux et en même temps le sentiment qu’on a très peu gagné et qu’il faut continuer le combat. C’est toute la question actuelle : comment continuer le combat sans empêcher de travailler celles et ceux qui ont besoin de le faire.


Roxane Isnard

Comédienne, occupante du théâtre de la Criée à Marseille

Je suis comédienne et assistante metteuse en scène et je participe à l’occupation du théâtre de La Criée à Marseille. Au début il y avait beaucoup d’étudiant.es et certain.ne.s venaient de finir leurs études. On a été rejoint par des gens qui n’étaient pas du tout du milieu de la culture, des gens travaillant dans la restauration et des saisonnier.es notamment. Ce qui fait que les premières AG ont porté sur la fameuse question de la convergence des luttes. Ce qui a été très intéressant c’est que nous nous étions approprié.es un outil qui ne semblait pas être le nôtre et que c’était aussi le cas de la ville qui est devenue un espace marchandisé qui n’appartient plus aux citoyen.nes Ceci a été au centre de nos débats pour voir comment on pourrait reconstruire ce qui nous appartient. Ces débats nous en avons eu en AG mais aussi en ateliers et parfois en non-mixité. Et chaque question nous ramenait à comment agir en tant qu’occupant.es sur des tas de questions comme le sexisme, la réforme de l’hôpital public ou celle de l’assurance chômage. Et sur tous ces sujets se posait la question de l’autogestion, avec la recherche d’un système basé sur le roulement, refusant tout ce qui est pyramidal. Enfin pour ne pas reproduire tout ce que l’on vient de critiquer la seule façon d’agir c’est de mettre en œuvre des pratiques horizontales.

Par la suite on s’est posé la question de la rencontre avec les espaces qui étaient déjà mobilisées auparavant. Lors de l’occupation de la Criée c’était pour beaucoup leur première lutte et les 3/ 4 n’étaient pas syndiqué.es. Enfin s’est posée la possibilité de la rencontre entre celles et ceux qui ne sont pas forcément d’accord sur tout et ne le seront pas demain mais qui ont besoin de s’unir pour faire bouger les choses. C’est le cas pour les collectifs féministes, de lutte des sans-papiers, contre l’islamophobie, qui ne défendent pas forcément les mêmes revendications mais qui luttent en fait pour la même chose, contre le pouvoir d’État et qui peuvent arriver à travailler ensemble. Pour faire bouger les choses il faut aussi informer l’opinion publique car il n’y a pas que les occupations et qu’il faut continuer. J’ai l’espoir que la coordination des théâtres occupés aura un avenir et pourra se rapprocher des collectifs militants et des lieux autogérés existants.


Olivier Roussin

Technicien, coordination des intermittent.tes. et précaires de Bretagne, occupant du grand théâtre de Lorient

Je suis technicien, participe à la coordination des intermitent.es et précaires de Bretagne et suis occupant du grand théâtre de Lorient. La lutte a été à l’initiative de la CGT, de la CGT chômeurs et des Gilets Jaunes. L’organisation s’est très vite mise en place mais on est tombé dans quelque chose de très pyramidal et on a eu du mal à en sortir. En effet ce sont ceux qui ont l’habitude de ce genre de luttes, de prendre la parole, et de manager des équipes qui ont mis les choses en place. Et pour sortir de cela et arriver à quelque chose de beaucoup plus horizontal ça a été une lutte de tous les jours et c’est encore une lutte aujourd’hui. On a en effet tendance à revenir à ces travers comme dans une entreprise et c’est insupportable.

Assez vite nous avons pris contact avec l’ASBFM une fonderie qui travaille pour Renault et qui va fermer avec 200 personnes sur le carreau. On a participé à des manifestations avec eux. On a fait des émissions de télé au « Haut Parleur » avec au début des reportages trois fois par semaine. On a contacté les gens des hôpitaux, de l’éducation et même des chefs d’entreprise sont venus nous visiter. Enfin des brasseurs de bière qui ne travaillent que pour des festivals et sont en coopératives et qui nous ont expliqué comment ils fonctionnent. On a fait beaucoup de formation en particulier sur le plan technique pour faire fonctionner cette télé. Parmi la CGT chômeurs il y avait des gens qui ont travaillé à Pole Emploi et on a pu faire un gros boulot sur la « réforme » chômage. On a fait de l’animation, de la formation dans les quartiers même si le message que nous portions que nous n’étions pas là pour la réouverture des salles n’allait pas de soi. Ça a été aussi difficile à faire passer au sein du collectif alors qu’en fait ça ne concerne que peu les habitant.es. Ce théâtre très froid, très institutionnel récupère toutes les subventions et les petites compagnies n’y travaillent jamais. Seule.es les technicien.nes y travaillent de temps en en temps. Au début de l’occupation il y avait des représentations et nous étions soutenus par la direction mais du bout des lèvres. Car lorsqu’il a fallu faire des choses concrètes on a plus eu de soutien du tout. Pour ce qui et de l’autogestion on s’est organisé. Il y a toujours eu une quinzaine de personnes à dormir au théâtre, la nourriture était faite par un Food Truck car nous avions l’interdiction de manger dans le théâtre. Aujourd’hui la direction veut nous mettre dehors alors que soi-disant elle nous soutient. Il y a eu une visite de l’huissier pour une expulsion imminente et c’est en pleine négociation. Personnellement j’ai un peu lâché depuis huit jours et je ne suis plus sûr de ce qu’il s’y passe.


Laurent Voiturin

Comédien, délégué régional Bretagne du syndicat SFA-CGT-Spectacle

Je suis comédien en Bretagne et responsable régional du SFA CGT et j’ai eu trois cachets en un an. Je suis originaire du Morbihan mais j’ai participé à l’occupation à Rennes. Depuis six mois on faisait des manifestations dans divers villes de Bretagne mais c’était très difficile de mobiliser à Rennes. Quand le 4 Mars l’Odéon a été occupé, ça changé et il y a eu à Rennes d’abord l’occupation de l’Opéra qui était beaucoup mieux placé devant une grande place permettant l’organisation d’agora puis celle du TNB. La première partie a été riche en rencontres avec les gens de tous les secteurs d’activités. Notre première revendication portait sur la réforme de l’assurance chômage car nous sommes des travailleurs et des travailleuses précaires comme les autres et il ne faut se faire aucune illusion notre régime particulier est en danger. Et cette revendication a été partagée.

Pour répondre à la question posée, je pense qu’il faudrait faire preuve d’une grande modestie. Même s’il y a eu de l’enthousiasme, de la vigueur on n’a quand même pas réussi à mobiliser beaucoup la profession. Et c’est une sacrée question. En effet « l’année blanche » et sa prolongation faisaient que certain.nes n’avaient pas besoin de rentrer en lutte pour obtenir la prolongation de leurs indemnités. Et d’autres étaient dans le secteur subventionné où les spectacles ont continué. Par contre dans certains secteurs importants en Bretagne comme le théâtre de rue ou les fest noz les gens étaient très touchés, sans travail et vraiment en danger. Au total on n’a pas su mobiliser au-delà d’un cercle certes combatif mais ne représentant pas l’ensemble de la profession. Modestie aussi quant ’au contenu de ce que l’on a porté. On a fait le maximum, le thème de la réouverture des théâtres a été battu et re-battu et nous défendions un « plan de relance » en expliquant qu’il y avait une baisse de la masse salariale du secteur. Mais les media ont été très très lents à nous écouter et à consentir à ce que nous portions ce n’était pas avant tout la demande de réouverture des salles. A la CGT nous nous sommes retirés de l’occupation début Mai car il y avait trop de tensions internes et que l’énergie n’était plus présente. Ça n’a pas plu à certaines et certains et j’aurai envie de dire « tant pis » car ce n’était pas contre elles et eux que ça a été décidé.

Au total ce qui a été positif c’est que nous avons pu parler de l’assurance chômage qui était invisibilisée depuis 2019. Pendant que tout était fermé nous avons pu organiser des spectacles, rencontrer des cheminot.es, des travailleuses et travailleurs de l’éducation, de l‘animation, de la santé, des transports…. On a récréé une dynamique qui est très encourageante et réussi à amener avec la question de l’assurance chômage celle du salaire. Je rejoins totalement la camarade du SYNAVI lorsqu’elle explique que le salaire est la question moteur pour toutes nos compagnies. C’est cette perspective là qu’il faut absolument défendre. A la CGT on a la revendication du « nouveau statut du travailleur salarié » qui est une version du « salaire à vie » de Bernard Friot. Et c’est cette réflexion là que l’on a voulu porter.


Des réactions aux interventions

Jacques Thomas

Militant alternatif Côte d’Or

Bonjour à toutes et tous. Je vous voulais simplement apporter un petit témoignage, n’étant pas un professionnel de la culture, mais pour dire un petit peu ce qui s’est passé localement, je suis en Côte-d’Or. Il y a eu un lieu qui a été occupé, c’est le théâtre, ce qu’on appelle le Grand Théâtre, municipal, de Dijon. Donc deux petites remarques par rapport à ça, dans les derniers temps, dans les derniers jours, là, les intermittents qui occupent toujours le théâtre ont dû faire face à une agression, -dont on ne sait pas exactement qui est à l’origine, de cette agression ; les agresseurs ont tenté de pénétrer à l’intérieur du théâtre et ils n’y sont pas parvenus, donc ils se sont contentés d’arracher toutes les banderoles qui étaient à l’extérieur ; donc je voulais savoir s’il y avait eu ce type d’agression ailleurs. En tous cas, ça peut montrer que certains ont bien compris les enjeux de cette lutte des intermittents du spectacle. 2e remarque c’était justement qu’on a posé la question à certains moments dans les premières interventions de la convergence des luttes , est-ce qu’elle avait été permise ou pas dans ce mouvement ? moi j’ai le sentiment de ce que j’ai vu à Dijon que l’intégration de la lutte des intermittents dans l’ensemble du mouvement sociale s’est faite assez naturellement . C’est-à-dire qu’on a vu un certain nombre de mobilisations depuis le début du mouvement et à chaque fois il y a eu des manifestations, par exemple, à chaque fois, il y avait un arrêt sur la place du théâtre où la parole était donnée aux intermittents. Un autre exemple de cela, on est en train de préparer la mobilisation du 12 juin contre les idées de l’extrême-droite et bien il y aura une manifestation avec trois étapes, dont la 2e étape sera l’étape de la place du théâtre avec une prise de paroles des intermittents. Ça me semble important à signaler. Il me semble que cette intégration de la lutte des intermittents a été bien comprise localement. Dernière chose pour conclure, effectivement le mot d’ordre premier n’a pas la réouverture de salles, c’est très vite le problème de la réforme de l’assurance qui a été posé , qui a aidé justement à cette intégration de la lutte des intermittents dans le mouvement social. Mais je pense que nous avons lutté aussi pour la réouverture de la culture, d’une façon générale. Une culture pas forcément enfermée dans les lieux habituels mais le problème de la diffusion, des moyens d’expression de la culture a été posé mais ça je pense que ce sera le 2e débat.


Yves Fremion

Écrivain, animateur du SELF syndicat des écrivains de langue française

Merci de me donner la parole. Je suis écrivain, je suis un des animateurs du SELF syndicat des écrivains de langue française , je suis aussi -de manière plus politique- l’animateur de PEPS Culture qui est un groupe de réflexion créé par PEPS (PEPS pour ceux qui ne savent pas , c’est un jeune mouvement politique qui est à la fois écolo, autogestionnaire et plein d’autres choses et municipaliste) et je m’occupe d’un groupe de réflexion entre les membres de ce parti et les acteurs de la culture qui veulent bien discuter avec nous. Nous les écrivains, évidemment, on n’a pas de lieux à occuper ; alors on est quand même allé traîner sur les lieux occupés. Moi je vis une partie de l’année dans l’Aveyron ; j’ai la chance d’être très proche d’un lieu qui s’est bien battu , la Maison du Peuple de Milliau. Maison du Peuple il faut savoir que c’était une maison du peuple qui avait été transformée par les élus en simple salle de spectacle et depuis une centaine de jours, c’est redevenu une maison du peuple. C’est vraiment très très bien. Il y avait à peu près tout ce qu’il peut y avoir de précaires sur la région y est passée. J’ai eu aussi l’occasion à PEPS Culture de faire des interventions et à l’Odéon, aussi à participer à la 1e occupation à Avignon de la Fabrica. Tout cela pour dire le circuit. Je me fais quelques réflexions. Tout ce qui a été dit par les copains et les copines tout à l’heure je le partage parce que je l’ai aussi vu. J’ai été frappé à un moment, la 1e chose qui m’a frappée, à Avignon je m’attendais à une super mobilisation parce que, avec les gens du spectacle qu’il peut y avoir là-bas… ça a été une immense déception. On était plusieurs de PEPS on était 3 ou 4 et grosso modo on s’est aperçu que quand on est subventionné, on ferme sa gueule. C’est un truc que je retiens et qui m’a beaucoup évidemment déçu. Parce que je trouve que -au contraire- on aurait eu besoin des gens les plus émergents pour soutenir l’ensemble du mouvement. 2e chose que j’ai constaté aussi et qui a été dite tout à l’heure et que j’approuve c’est que partout les occupations ça s’est ouvert à l’ensemble des professions et à l’ensemble de ce qu’on peut appeler le précariat. Il y a des moments où ça a basculé un peu de l’autre côté ; il y a eu un moment où on ne parlait plus du tout des gens de la culture, comme si -d’ailleurs c’était un peu évoqué tout à l’heure- quelque part les gens de la culture se sentaient privilégiés par rapport à d’autres professions. Quand on connaît la précarité réelle dans ce pays, il n’y a pas de complexe à faire. Il n’y a pas de complexe à faire du tout là-dessus. Et je pense que moi mon combat dans cette petite période c’était vraiment de m’occuper de la lutte pour que la culture reprenne toute sa place, ou même trouve une place nouvelle dans la société, Je voudrais dire que, il faut imaginer que les écrivains à la différence des autres travailleurs dans le spectacle n’ont pas le … Je n’ai jamais autant travaillé que durant cette pandémie. Le travail que j’ai accumulé je l’ai fait évidemment sans un centime. J’ai fait le calcul d’ailleurs de mes revenus. J’ai la chance d’être retraité. Mais si j’ajoute les piges que j’ai fait dans la presse et mes droits d’auteur, sur l’année 2020, j’ai gagné 4000 € heureusement que j’étais retraité sinon je serai dans un carton sous le Pont-Neuf en train de tendre la main. Donc l’État s’est beaucoup vanté des aides qu’il apportait massivement aux artistes, à la culture, cet espèce de ruissellement de fric qu’il aurait lâché là-dessus. Faut savoir que pour les écrivains si vous êtes retraité vous n’avez rien, si vous êtes débutant vous n’avez rien, si vous n’avez rien gagné ou pas grand-chose, vous n’avez rien . Les associations ne sont pas aidées si elles sont en structures associatives. Bien que fiscalement on leur de payer des impôts comme les entreprises. Tout ce bilan, il faudra , je pense, à un moment réunir toutes nos expériences pour dresser le bilan de la période pandémique qui -vous l’avez peut-être remarqué- n’est pas tout à fait terminée. Enfin dans le monde de l’édition il faut savoir que -il y a deux choses- puisque tout le monde avait du temps libre, tout le monde a écrit des livres. Et par ailleurs les auteurs, eux, comme moi n’avaient pas grand-chose à fiche ont beaucoup écrit. Ce qui fait que les maisons d’édition n’arrivent plus à lire tous les manuscrits sous lesquels elles croulent . Et comme ils avaient décalé la plupart des livres pendant la période de pandémie qu’elles avaient commencé à publier maintenant. moi j’ai 4 livres qui doivent sortir à la rentrée. Pendant deux ans à mon avis c’est même pas la peine d’arriver avec des projets. Ou alors évidemment vous êtes une vedette du cinéma, ‘bankable’, ou politicien connu et vous arrivez avec vos mémoires que vous n’avez pas écrites, là peut-être on vous prendra. Tout le reste même si la pandémie s’arrête , nous pour deux ans on est plantés. Il faut savoir cela. Sans intermittence, je le précise. Nous l’année blanche c’est toutes les années. Donc voilà les quelques petites chose que je voulais dire et simplement, nous, le mot réouverture, nous, c’est quand est-ce qu’on réouvrira les maisons d’édition pour qu’on reprenne enfin non seulement notre travail -ça on ne l’a jamais abandonné- mais quand on reprendra la rémunération de notre travail.


Florian Baron

Musicien, occupant du TNB à Rennes

Bonjour, je suis musicien. J’ai participé aussi à l’occupation à Rennes. Je n’y étais pas au début et je n’y suis plus depuis quelques temps, mais il n’y a plus vraiment d’occupation c’est compliqué depuis qu’on s’est fait virer par les flics. Et du coup j’avais juste envie aussi de partager un petit bout de ressenti. Et de réagir à ce qu’a dit olivier et aussi Laurent. Sur les questions qui se posent : dans quelle mesure c’était de l’autogestion ? dans quelle mesure est-ce que c’était vraiment de l’occupation ? Parce que pour moi, on était limité dans des jauges. Je ne sais pas comment c’était dans chaque lieu ; on avait droit globalement à des jauges de 30 personnes et on s’est retrouvé en fait dans des négociations avec les directions des lieux qui nous accueillaient et dans ces négociations (c’était des réunions où on était plus ou moins et on de plus invités avec les directeurs) ils étaient plus ou moins rassurés de discuter avec des représentants syndicaux et d’avoir en face de lui des gens du métier. Et que nous à partir du moment où on était dans des revendications plus larges, et où on se revendiquait de faire de la politique vraiment, de pas juste être dans un mouvement syndical, et purement culturel, on se retrouvait à devoir accueillir seulement 30 personnes avec là-dedans des gens qui vont rassurer le directeur, donc il faut toujours des gens des syndicats qui sont là. Quand la CGT est partie, on a eu les flics qui nous ont viré trois jours après. Et puis en même temps si on veut intéresser les gens qu’on défend -parce que c’est vrai que la réforme de l’assurance chômage, c’est la 1e réforme qu’on voulait faire sauter, en tous cas c’est ça qu’on disait à Rennes, beaucoup. Eh bien forcément ça intéresse moins les gens de notre métier. Et puis on se rend bien compte qu’on a aussi des ambitions énormes, et qu’on a vraiment pas le poids politique pour revendiquer ça. Voilà finalement je suis un peu sur cet espèce de constat qu’effectivement ça crée des tensions en tant qu’ acteurs culturels de se poser dans des questions très larges. Et en même c’est vrai qu’il y a un espèce de complexe des privilèges parce que je pense qu’on avait aussi le rappel, j’avais très fort le souvenir de la loi Macron, qui était en même temps que le mouvement ‘Nuit Debout’ au moment où il y a eu un mouvement d’intermittents très fort qui ont réussi à obtenir une révision positive du statut à un moment où la loi travail est passée. Et nous à Rennes on a eu des occupations fortes , on a eu la salle de la Cité, qui fait suite à l’occupation de jour du TNB. Et voilà les membres de la culture ont été très présents dans la lutte commune mais quand ils ont eu la réponse à leurs revendications propres, les autres n’en n’ont pas eu et on s’est retrouvé un peu coincés avec ça. J’avais envie de rajouter un petit mot à ce qu’avait dit Laurent, vu qu’on était dans la même occupation et qu’on avait un point de vue très différent et dans une position différente. Moi je ne suis pas syndiqué, je suis un bébé dans ce monde-là et moi j’ai eu la sensation qu’effectivement on a eu un fonctionnement qui se voulait très accueillant et qui en fait il y avait beaucoup de décisions régaliennes qui étaient tenues par des gens qui juste connaissaient mieux les dossiers et qui étaient plus habitués à ça et qui n’étaient pas forcément à faire circuler toutes les infos et qui n’étaient à déléguer et ces négociations-là elles étaient faites aussi avec en face des directeurs de lieux qui sont -moi en tout cas de ma position à moi- j’ai l’impression que ce système-là est quand même très très flou. Comment sont attribuées les directions de théâtre subventionné ? A qui ? pourquoi ? J’ai l’impression qu’on vit dans un monde culturel qui est quand même très dépolitisé, où toutes les personnes qui sont un petit peu radicales sur le plan de la pensée politique se retrouvent soit embaumées et se retrouvent dans une position où ils ne vont plus pouvoir beaucoup s’exprimer parce que tout d’un coup ils deviennent l’interlocuteur du préfet et c’est eux qui doivent gérer le lieu ; soit au contraire ils sont foutus sur le côté, voilà j’ai cette sensation là qu’on s’est retrouvés dans des mouvement à plusieurs vitesses où ça a été assez difficile -pour moi en tout cas- de m’y retrouver et où j’ai eu la sensation que justement on avait un fonctionnement très pyramidal et que sur une occupation longue ça ne pouvait pas tenir parce que les gens qui prenaient beaucoup de responsabilités au bout d’un moment étaient épuisés. C’est pour cela qu’ils sont partis ; et c’est très compréhensible. Et Laurent n’est pas d’accord évidemment. Mais voilà, par contre j’ai vu qu’ils sont partis à un moment où il y a plein d’autres gens qui arrivaient. Et des gens de mouvances autonomes, notamment, qui font très peur à beaucoup de militants et que c’est juste après qu’il y a eu des agressions contre la CGT dans une manif et qu’il y avait des rumeurs qui disaient que c’était peut-être des anars qui avaient attaqué des machins. Ça pour moi c’est vraiment des réflexions de gens fatigués. Du coup ça me questionne beaucoup et ça m’a questionné beaucoup de lire le texte qu’avait écrit Mouawab là-dessus. Je me demande comment on fait pour faire ré-entrer de la politique dans nos mouvements aussi. Dans la culture.

(Plus loin, un droit de réponse pour Laurent Voiturin)


Martine Ritz

Comédienne, occupante de l’Opéra Graslin à Nantes, CGT-Spectacle

Je vous remercie. Je suis comédienne, je suis membre du syndicat français des artistes CGT. Et je vous parle de l’opéra Graslin, toujours occupé, à Nantes. Nous ici on a eu un mouvement très fort puisqu’on est encore là. Ça prouve qu’on s’est fortifié , on ne sait même plus à combien de jours on en est puisque c’est pas compliqué on a démarré le 10 mars. On a tenu 2 choses. Deux choses nous paraissaient essentielles dans le mouvement. Les revendications sectorielles, parce que tous les secteurs, on admire tous les secteurs quand on parle de convergence des luttes -c’est bien de ça dont on parle quand on dit convergence des luttes – on dit secteur important , il est important de converger avec les autres secteurs en lutte et les autres secteurs en lutte a priori ils sont en lutte sur leurs préoccupations sectorielles. Donc nous nous avons défendu nos préoccupations de secteur , d’intermittents, de financement de la culture, de nature de nos salaires, de rémunération du travail, les contrats ; on a fait du droit du travail ; on a fait comme l’a dit Laurent , on a parlé du salaire à vie. On a parlé du nouveau statut du travailleur salarié ; on a fait des soirées sur l’histoire des syndicats ; on a fait des soirées sur la lutte des classes ; donc on a fait de la politique. Extrêmement radicale. Et sectorielle. Et puis on tenait absolument à ce que ce soit très large. C’est-à)dire qu’elle englobe les préoccupations sociales, de travailleurs et travailleuses à emploi dit discontinu. Puisqu’on est dans une société où on a une véritable réflexion à avoir sur ce qu’on veut entre ce qui est de l’ordre de l’emploi et ce qui est de l’ordre du travail. Pour moi c’est une question politique contemporaine dont il faut se réemparer et c’est un petit peu ce dont a parlé le camarade auteur tout à l’heure ; c’est la dissociation entre ce qu’est le travail et comment ce travail-là est rémunéré et ça c’est la nature aujourd’hui d’une société qui parle d’emplois. Ici à Nantes les auteurs et autrices ont fait tout un tas de propositions ; il y a eu des groupes de travail là-dessus, c’est cette radicalité là -puisque tout à l’heure j’ai entendu le mot radicalité- qui fait que nous sommes toujours en occupation, que nous faisons le bras de fer encore avec la direction de l’opéra, et les programmateurs, qui sont des gens qui pensent des autres directeurs de lieux, parfois artistes, comme Wajdi Mouawad, dont la chronique ici n’a pas du tout été appréciée, puisqu’on l’a mise en balance avec d’autres écrits d’artistes extrêmement politiques également mais qui ne donnent pas de leçon de ce serait une occupation par rapport à une occupation en tant de guerre. On a trouvé ça d’une indécence absolue. Et donc nous avons ici la possibilité par la radicalité que nous avons eu dans notre engagement à la fois militant, syndical, autonome ou pas, d’ailleurs je ne sais pas -je ne suis pas très au fait là-dessus-, notre radicalité à nous c’était de dire nous faisons notre rapport de forces avec le gouvernement et nous en profitons pour mettre en jeu les questions de la culture qui ne sont pas récentes. Moi je suis suffisamment vieille professionnelle pour avoir eu une partie de carrière où toutes mes heures travaillées (répétition ou pas) étaient payées. Donc j’ai eu de nombreuses interventions sur ce terrain-là pour que la jeunesse qui a été, qui est, très présente dans l’occupation comprenne que la 1e radicalité c’est d’avoir un salaire émancipateur. Avec de la cotisation. Et un salaire qui corresponde à des compétences, ce qui n’est plus aujourd’hui du tout le cas . C’est ringard de parler de ça aujourd’hui. Et en même temps on a toute une jeunesse qui est complètement désaxée et qui ne sais plus ni ce qu’elle veut ni ce qu’elle vaut. Ni ce qu’elle a à réclamer. Donc on pourra y revenir si vous le souhaitez sur la question du salaire et dans le secteur culturel il semblerait que parce que nous faisons des métiers de passion, ces métiers ne doivent pas ou n’auraient pas à être rémunérés sur du 100% du travail. La radicalité ici pour nous ça a été aussi de mettre les programmateurs et donc les directeurs de lieux en question sur leur capacité à nous soutenir véritablement et non pas à faire juste des déclaration d’intention -je vous soutiens, je vous soutiens, je vous aime bien puisque je suis dans le même secteur que vous- mais bien d’y mettre les preuves. Et nous avons aujourd’hui dans tous les lieux qui ont été évacués, de nombreux lieux qui ont été évacués non pas par la police mais par les directions. Donc nous avons une question fondamentale de rapport hiérarchique dans notre secteur culturel mais on l’a oublié parce que comme on a oublié qu’on était des travailleurs on a oublié aussi qu’il y avait une hiérarchie avec des o et des gens qui décident si nous devons être programmés ou non suivant les lieux. Petit clin d’œil au camarade qui parlait d’Avignon ; à Avignon il y a énormément de travailleuses et travailleurs du spectacle mais un mois par an. Le reste de l’année il n’y a personne. 3000 travailleuses et travailleurs intra-muros pendant le Festival d’Avignon mais le reste de l’année je ne sais même pas si ça recouvre quelques centaines. Et je pense -pour terminer- que la vraie question du secteur culturel c’est comment ce secteur-là est à la fois un secteur qui est une sorte d’avant-garde de l’expérimentation de la discontinuité du travail, le mot privilège pour moi est un faux mot, on a une nouvelle nuit du 4 août à refaire parce que les intermittents ne sont pas du tout des gens privilégiés quand on sait qu’il n’y en a qu’un sur deux qui est indemnisé, Pour 2 artistes un seul est indemnisé, personnellement je ne pense que ce soit vraiment la définition du privilège, et la vraie question du financement, pour moi elle traverse l’idée qu’est-ce que la culture effectivement -et là c’est du côté du public- comment le public a besoin de ce que l’on met derrière le mot culture, le spectacle vivant n’étant qu’une des facettes culturelles, et 2° qu’est-ce que l’on fait vivre, qu’est-ce que l’on trouve tolérable pour les travailleuses et travailleurs de la culture qu’ils soient plasticiens, autrices, auteurs , artistes, techniciens, et suivant les secteurs, subventionné ou privé. Je termine en disant qu’aujourd’hui pour un travailleur du spectacle vivant qui reprend son activité, suivant les métiers il y en a trois, 4, 5, 6,7, 8, 9 ou 10 qui ne travaillent pas. Donc c’est ça la réalité aujourd’hui de la reprise et de la réouverture. Et non pas de la relance et c’est bien ça le problème.


(Droit de réponse à Florent Baron) Laurent Voiturin

Je ne sais pas si c’est bien nécessaire. Le vrai débat, je pense que c’est ça le gras de la question, la question de la direction pyramidale , ce que Florian a décrit comme une direction pyramidale, je te demande mais de quoi tu parles, Florian ? Les assemblées générales étaient souveraines, des commissions , tout était ouvert, il fallait venir travailler dedans. C’est tout, tu refusais de le faire mais ça c’est ton problème. Par contre l’antisyndicalisme qui est manifesté et qui est pratiqué par certaines et certains est facteur effectivement de beaucoup de tension et de beaucoup d’oppositions. Je sais que partout où ça a été dépassé, qu’on soit syndiqué ou qu’on soit pas syndiqué, c’est exemplaire. Il se fait un travail formidable. Tu évoques l’arrivée d’un groupe autonome, et le 1r mai à Paris a été extrêmement violent, je crois que ça a été également le cas à Nantes, à Lyon, il y a dans ce pays un sale parfum en la matière. En l’occurrence, le groupe auquel tu fais référence lui il se revendiquait d’une certaine violence en manifestation. Il avait eu maille à partir avec des camarades de la CGT précaires (mais bien sûr que oui, Florian, ça a été exprimé d’une façon très explicite en assemblée générale et ça n’a pas été démenti et non seulement pas démenti mais assumé par les gens qui étaient en face de lui. Pourquoi tu fais non comme ça). Donc leur sécurité n’était plus assumée. Voilà la raison de leur départ. Là je crois qu’il y a quelque chose qui est vraiment biaisé dans ton jugement. Et j’espère qu’un jour tu reviendras dessus.



En quoi ce mouvement porte-t-il une interrogation fondamentale sur les enjeux culturels, sur ce qu’est la culture, dans une perspective anticapitaliste et alternative ? 

Magali Braconnot

Comédienne, organisatrice de festivals jeune public, occupante du théâtre du Merlan à Marseille, militante au SFA-CGT-Spectacle

Je crois qu’il y a beaucoup de choses déjà qui ont été dites qui sont déjà dans ce thème-là, moi ce qui m’a semblé apparaître comme réalités mais on le savait déjà c’est à quel point un fossé s’était creusé ; il y a plusieurs réalités d’occupation, on a été dans plusieurs CDN, donc des centres dramatiques nationaux, des scènes nationales, des théâtres municipaux, et on a vu à quel point le fossé était creusé entre les directions, ceux qui sont permanents et les artistes qui passent pas forcément dans ces théâtres là mais qui font partie de la richesse culturelle dans le pays et qui vont dans les écoles, on en a parlé tout à l’heure, et si ça disparaissait, il n’y aurait pas la diversité culturelle qu’il y a dans ce pays-là. Ça met en lumière évidemment qu’il y a une culture élitiste et évidemment il y a beaucoup d’argent qui va dans les subventions pour certains lieux et que finalement on ne se comprend pas. C’est pas pour rien qu’on s’entend avec le SYNAVI et que nous on a été beaucoup en conflit avec le syndicat des directions. Qui ne comprenait pas ce qu’on faisait, pourquoi on élargissait la lutte, et qui disait que ce qui était important c’était de rouvrir les lieux, et pas d’avoir une action citoyenne en séparant comme s’il fallait que l’on sépare notre côté citoyen et notre profession. C’est aussi une vision de la culture qui est questionnée de cette façon-là. Et avec ce temps d’occupation ça fait presque 3 mois, on a vraiment pris le temps d’échanger, d’élaborer, de se questionner avec des ateliers sur qu’est-ce qu’on voulait justement ? De notre place d’artistes, et pas seulement d’artistes, d’intermittents, de précaires, de se dire finalement quelle culture on voulait, qu’est-ce qu’on englobe dans cette culture ? , comment on veut être professionnel, (Martine disait qu’est-ce qu’être professionnel dans la culture ?) et à qui on veut s’adresser, à quoi ça sert. Toutes ces questions-là ont été abordées et notamment on a eu des ateliers très riches (dont Emmanuel parlait), sur irriguer par la racine, se répandre partout et que ce soit pas 2% de la population qui y aille, s’autorise à aller dans des lieux qui ne sont pas accessibles à tout le monde. Ce temps d’échanges a été super important. Et moi ce qui m’a frappé c’est finalement la culture c’est quoi ? C’est aussi la réflexion qui fait que c’est pas que l’art, c’est surtout pas que l’art, c’est ce qui fait que l’on peut vivre ensemble. La culture n’est jamais neutre ; on est dans une culture néolibérale. Et nous on a envie que la culture ce soit autre chose. Que ce soit quelque chose qui soit plus porté vers l’éducation populaire, plus accessible, émancipatrice, et ça a un lien avec être citoyen . Moi ce qui m’a frappé, ça fait longtemps que je lutte et j’ai participé à plein de luttes et aujourd’hui il y a une culture commune autour du mot autogestion. Je n’ai jamais autant entendu le mot autogestion que dans ces occupations. Avant c’était un gros mot ; moi quand je parlais autogestion, je suis militante autogestionnaire depuis vachement longtemps, ça parlait à personne et aujourd’hui tout le monde revendique ça et on met un peu n’importe quoi dedans. Mais ça a à voir aussi comment on se réapproprie son outil de travail et ça ça a été quelque chose de très important dans les occupations de se dire finalement ces lieux sont à nous et puis on nous demande vraiment notre avis et là on a pu expérimenter comment on peut s’organiser dans ces lieux là et comment on a pu arracher de ce pouvoir là. Nous on a eu des rencontres assez passionnantes, je parlais tout à l’heure, du macDo qui a été transformé en centre social, qui va être racheté et qui finalement est un lieu autogestionnaire, on a été soutenus dans notre lutte par les Fralib, avec les thés 1336 qui eux ont récupéré leur entreprise et certains copains connaissent bien cette situation là et on a même été faire une manifestation à Carrefour Port-de-Bouc où ils sont entrain de lutter contre un nouveau système débile qui va faire qu’ils vont être loués et le projet de ces gens-là qui sont à la CGT et ça ne va pas de soi, c’est de dire nous on veut récupérer notre outil de travail, on veut récupérer Carrefour pour en faire un lieu autogéré. Moi j’avais entendu ça. Je trouve ça vachement intéressant que de plus en plus de travailleurs se disent « est-ce qu’on a besoin de ces directions, de ces patrons ? Est-ce qu’on peut pas, nous, se débrouiller pour travailler tous seuls ?». Et nous on est traversés par ça aussi. Je trouve que culturellement c’est super intéressant de se dire qu’on peut penser la société autrement. Et finalement la lutte quand elle est aussi longue, ça devient une occasion rêvée de tester des choses d’autogestion, et on se rend compte que finalement on sait plutôt bien faire. Et dans nos métiers (et il y aussi une question de s’organiser et nous c’est aussi parce qu’il y avait beaucoup de régisseurs, de spectacle, de festival) que finalement on a trouvé une fluidité de comment on s’organise pour arriver à mener la lutte et vivre ensemble parce que c’était tous les jours, c’était la nuit, des grosses équipes , c’est des mouvements d’expérimentation qui me semblent très formateurs, qui nous ont permis de réfléchir à quels autres modèles on peut mettre en place et quels paradigmes on peut imaginer.


Laurent Eyraud Chaume

Comédien, responsable d’une compagnie en milieu rural, militant au sein de « l’occupation itinérante 05 »

Merci Magali d’intervenir avant moi, ça permettra de pas redire et je suis tout à fait d’accord avec tout ce que tu as dit. Un petit mot par rapport à l’intervention de Martine tout à l’heure, et ça me permet d’introduire la suite. Je suis tout à fait d’accord avec la plupart de tout ce que tu as dit notamment pour qu’il y ait convergence des luttes il faut qu’il y ait luttes. Donc il faut travailler sur nos secteurs. Par contre le débat breton/breton qu’on a eu entre les occupants bretons finalement, raconte quelque chose qui nous traverse tous. On est dans une période où la désorganisation qui a commencé -on va dire- dans les années 80, là on touche à l’os. Concrètement je suis aussi adhérent au SFA, mais le SFA est quand même très affaibli, les organisations salariales sont très affaiblies et par ailleurs ce qui traverse la société (il faut être honnête là-dessus et humble) a été complètement changé. Quand Gérard Philipe crée le SFA et dit « comédien, c’est un métier et donc nous sommes des travailleurs, donc nous devons être défendus comme des travailleurs, c’était il y a 50-60 ans , aujourd’hui on est dans une société où tout a été un petit peu transformé et heureusement il y a des conquis grâce au SFA, grâce à ses luttes, mais moi je vais vous dire un truc un petit peu provoc, j’ai pas vraiment envie d’être salarié. Et j’ai pas envie d’être intermittent. Ça m’intéresse pas du tout. C’est pas mon projet. Après il se trouve que je me bagarre pour qu’on paie nos cotisations, pour qu’on ait des choses émancipatrices au travers de la mise en commun des moyens mais pour moi une vie émancipée et une vie salariée il y a quelque chose qui est de l’ordre de la contradiction. Et je pense que et la CGT et les artistes et les techniciens, etc. on n’est pas des intermittents (il y a un débat dans le chat en même temps) , je ne dis jamais que je suis intermittent. Pour moi c’est juste une condition technique ; je suis comédien ou conteur, ça dépend des moments, et voilà c’est ça mon métier. Il y en a d’autres qui sont régisseurs lumière. C’est pas mon métier, intermittent. Et salarié c’est pas non plus mon projet. Par contre on est percuté d’une manière profondément dialectique par ce qui traverse la société dans nos métiers et ce qui traverse la société de manière globale. On peut pas (c’est un peu jargonneux de dire ça) , le coronavirus il nous a mis face à des choses qu’évoquait un petit peu Magali, c’est-à-dire à quoi ça sert finalement le théâtre ? A quoi ça sert finalement de faire des spectacles ? qu’est-ce que ça veut dire être humain. On est dans des questions anthropologiques. Et la crise climatique nous met face à ces questions-là. Et les jeunes qui sont en train de rentrer dans la profession, les jeunes qui sortent des écoles de théâtre, ils ont plus envie de changer le monde que de devenir comédiens. Très sincèrement. Aujourd’hui le monde tel qu’il est, il est inacceptable. il est inacceptable et donc quand ils arrivent dans les luttes, la question de savoir s’il faut être payé chaque fois qu’on travaille, elle est pas toujours première même si -je suis d’accord avec toi- je fais tout pour payer toutes les heures. Mais je veux dire on est percuté par ces 2 choses-là en permanence. Et il faut qu’on arrive dans nos luttes à les articuler de manière dialectique c’est-à-dire comment le projet de société, d’une autre société nourrit nos luttes sociales et comment nos luttes sociales nourrissent notre projet de société. Et ce que je trouve fabuleux dans le spectacle, c’est fabuleusement absurde, comment on est impacté par le capitalisme sans en parler, en fait on croit que comme on est dans la culture, etc. toutes les logiques de marché ne nous concernent pas et donc on se retrouve dans des réunions -moi depuis que je suis responsable au SYNAVI c’est surréaliste- il faudrait tous qu’on se tape dans le dos et tu es avec un mec qui est directeur d’un lieu à 3 ou 4 millions de chiffre d’affaire mais comme il est dans la culture il doit te taper dans le dos pareil parce que c’est la culture ; c’est complètement dingue. Comme s’il n’y avait pas des enjeux de marchandisation des spectacles, cette espèce de lutte de chacun contre tous. Etc. et aussi de logique de marché, c’est aussi la tendance monopolistique du marché. Et aussi l’idée que bientôt il n’y en aura plus qu’un. C’est pour cela qu’il n’y a que le festival d’Avignon, parce que en fait c’est moins cher d’aller à Avignon que de faire 25 Avignons en même temps ; bref je vais très vite là-dessus. Et puis il y a un autre truc qui est fabuleux dans notre profession (et je vais dépasser mes 7 mn si je n’arrête pas) , il y a autre chose qui est fabuleux dans notre profession, il y a déjà des alternatives qui existent. Il y a du déjà là en permanence. Quand on parle de l’autogestion il y a beaucoup de compagnies qui expérimentent au quotidien ce que ça veut dire travailler ensemble. Qu’est-ce que ça veut dire la question de la gouvernance ? Qu’est-ce que ça veut dire se partager le travail ? Qu’est-ce que ça veut dire décider ensemble ? Il y a des milliers de personnes qui aujourd’hui -parfois sous des statuts juridiques pas terribles, des formes associatives pas très adaptées, etc.- mais qui sont déjà en train de construire autre chose. Et y compris dans leur relation au territoire. En ce moment la question qui se pose en politique c’est de dire par exemple un service public il serait public si tout le monde pouvait avoir un point de vue par exemple la Poste on voit bien que ça nous appartient pas mais sur un territoire on peut pas intervenir sur la Poste. Il y a des compagnies, de théâtre, il y a des lieux, des théâtres, des associations culturelles qui incluent les spectateurs dans leur manière de construire des projets sur le territoire, qui incluent comme des spectateurs ; et la question de qui est artiste, comment on est pratiquant, etc. et comment on construit cette démocratie, quelle est la place de chacun, elle existe déjà et elle n’est jamais racontée parce que la dépolitisation est telle qu’on ose pas dire que c’est une proposition autogestionnaire, anticapitaliste, je ne sais quel est le bon mot. Évidemment dans les dossiers de subvention on va pas dire on a un projet communiste pour le territoire ; bref. Mais sincèrement des fois c’est un peu ça qu’on essaie de construire, c’est du communisme de territoire grâce à la culture.


Emmanuelle Gourvitch

Administratrice d’une compagnie et organisatrice d’un festival en PACA, présidente du SYNAVI

Lors du premier confinement on s’en souvient tous , il était sans arrêt question du monde d’après, on ne parlait que de cela, cela allait être formidable et puis il a fini par se dessiner que le monde d’avant serait pire si on n’est pas vigilant maintenant ; nous on s’en est saisi parce que les structures que nous représentons qui travaillent sur des territoires et qui travaillent en proximité avec des habitants qui travaillent sur d’autres schémas que celui soit disant de l’excellence artistique façon de à travers un prisme . Or il y a toujours des gens qui proposent, un seul qui décide de qui pourra travailler ou pas travailler, cela a été l’occasion de remettre sur le tapis un certain nombre de propositions. Il va y avoir embouteillage partout, le théâtre et la culture en général n’ont pas besoin de lieux institutionnels pour exister, une façon d’être présent sur des territoires en proximité avec les habitants qui ne sont justement pas les publics. A partir du moment où il y a embouteillage, tant mieux, donc on joue partout ,il y a des productions, soutenons les pour qu’elles puissent exister partout dans des lieux qui ne sont pas forcément dédié au théâtre et on s’apercevra qu’on n’a pas besoin de faire du théâtre pour faire du théâtre ou de faire de la musique pour faire de la musique ; on peut envisager que d’autres types d’échanges avec des populations, des habitant,s des citoyens pour exprimer ces choses-là. Et sur la question de l’autogestion, elle est fondamentale, ce sont pour la plupart des lieux largement subventionnés qui n’ont pas à être confisqués comme ils le sont parce qu’il y a de la confiscation. Il y a des propositions d’amap culturelle : on est allé jusqu’à faire des propositions de tirages au sort en matière de financement comme en matière de programmation quand on va présenter ça au ministère ça fait plouf mais quelle autre façon, en quoi ce serait dangereux ou déraisonnable, il y a des critères pour financer tel ou tel projet, il y a une partie de ces financements qui sont proposées au tirage au sort sur des structures qui respecteraient un certain nombre de critères : ça permettrait une relève, ça permettrait de financer des gens qui ne sont pas forcément repérés notamment dans le spectacle vivant , c’est ce système de réseau dont on vous explique que c’est une chose formidable. C’est formidable pour les gens qui sont dedans mais tous ceux qui sont dehors tous ceux qui n’en sont pas et qui ne sont nulle part ,quand j’ai commencé à travailler, il y avait beaucoup d’espace et de lieux intermédiaires, on pouvait travailler jouer, proposer des projets mais cela se réduit à cause de consortiums de théâtres qui ferment pour être complètement phagocytés par la scène labellisée d’à côté mais ce que cela produit, c’est beaucoup moins d’interlocuteurs et de sensibilité : sur Aix-Marseille il y a un directeur qui est à la tête de 5 théâtres quand on n’est pas dans ses petits papiers, il n’y a pas beaucoup d’espace pour jouer ; c’est totalement impensable au lieu de penser galerie marchande, on ferait mieux de penser commerce de proximité, espace de proximité, à travailler autrement dans des espaces pas forcément dédiés et là la question de la fréquentation se poserait autrement, la question de la fréquentation du public et du nombre de spectateurs a à voir avec cette interdiction qui se fait pour soi même d’entrer dans certains lieux , la fréquentation au quotidien c’est une piste de travail à envisager.


Roxane Isnard

Comédienne, occupante du théâtre de la Criée à Marseille

Je me reconnais dans ce qui a été dit par les copains, je rajouterais ce qui m’a beaucoup choqué a été ce qui a été la position des directeurs et des directrices chez nous Sacha Makaief, on a eu beaucoup de réunions elle avait un cœur cela s’est vu dans le texte qu’elle a signé, de séparer du politique, on va bouger la programmation pour que vous transformiez ça en quelque chose d’artistique, vous allez en faire quelque chose, mais artistique c’est politique, tu n’as pas besoin de faire une résidence à la criée pour que ça devienne quelque chose, cela en dit long c’est vraiment dangereux , les artistes qui ont tant d’argent et tant de places dans les médias. Ce sont les seuls noms potentiellement connus par les gens qui vont pas beaucoup au théâtre, qui tiennent un discours comme celui-ci, artistique ne doit pas être politique. Par rapport au texte de Mouawad j’étais choqué qu’on partage son opinion c’était très grave et très violent et pourtant j’ai aimé ses spectacles ;et par rapport à l’occupation cela nous a remis dans : qui sont les artistes de la criée ? On est allé voir des gens dans Marseille, on leur posait des Questions sur la Criée : c’était la criée n’est pas fait pour nous, elle ne nous ressemble pas, c’était vraiment violent, on a essayé de parler de cela avec la direction, on nous a toujours répondu, vous ne vous rendez pas compte du travail qui est fait pour aller auprès des populations, c’est les Saint-Sauveur vers les petites gens et le mot populaire comme le mot politique perd de son sens et de sa racine et il est méprisé ; j’ai l’impression que se réapproprier nos lieux de travail, c’est aussi se réapproprier la culture comme un espace de rencontre aussi bête et naïf, et je crois que cela puisse paraître on n’a pas besoin des patrons, on n’a pas besoin non plus des artistes qui savent poète et qui est sur la place publique, je crois vraiment à ça, je crois que c’est vraiment dangereux, que les programmateurs se disent missionnés, ils ne reconnaissent pas qu’ils sont des patrons, c’est ne pas reconnaître que ces espaces n’appartiennent pas du tout aux artistes.


Olivier Roussin

Technicien, coordination des intermittent.tes. et précaires de Bretagne, occupant du grand théâtre de Lorient

Je voulais préciser quant à l’organisation pyramidale à Lorient au théâtre de Lorient c’est plus dû à des personnalités qu’à des organisations. On nous a demandé de dégager depuis le 19 mai parce que la compagnie du directeur du théâtre devait jouer, ils avaient programmé au mois de juin, donc alors qu’on fait des Agora plusieurs fois dans la semaine, qu’il y a des concerts sur le parvis, et du coup on leur a proposé plutôt que de fermer, de rester et de récupérer leur subvention et continuer à programmer tout l’été sur le parvis cela a été refusé. Du coup tant pis toutes les structures dans la musique ou dans le théâtre, toutes ces grosses structures, par exemple le festival des Vieilles Charrues en Bretagne, embauche beaucoup de gens sur une petite semaine pour programmer des choses très concentrées, ça permet de vendre beaucoup à côté de la culture, beaucoup de bières, beaucoup d’entre cartes publicitaires et tout cela tout ce pognon part dans des cachets hallucinants que tout ce pognon soit réparti sur tout le territoire la Bretagne, qu’il puisse faire des choses toute l’année de façon récurrente, qu’il ne faille pas faire des centaines de bornes ou prendre un avion pour venir. L’année dernière c’était Céline Dion aux Vieilles Charrues c’est quoi l’intérêt ? Dans le théâtre ou dans la musique tous ces organismes servent de filtre de ce qui est bien ou pas bien ; il faut absolument qu’on récupère tout cette organisation et qu’on fasse ensemble et qu’on décide ensemble de ce qu’on fait et comment et à l’intention de qui.


Laurent Voiturin

Comédien, délégué régional Bretagne du syndicat SFA-CGT-Spectacle

J’ai discuté 3 fois avec le directeur du TNB , il en avait rien à foutre du mouvement mis en scène pendant qu’on était là, on ne vit pas dans le même monde, il a la main sur tout, il est inatteignable et à travers ce que l’on peut entendre de Macha, de Mouawad ou d’autres, il y a une sorte de croyance en la transcendance de ce qui se passe sur scène comme si c’était plus puissant que tous les mouvements sociaux qu’on a pu menés et qui eux sont extrêmement réels ; une croyance délirante de la part d’un certain nombre de directeurs dans la toute puissance de leur parole c’est quelque chose qu’il va falloir attaquer fort ;le rapport de domination qu’on identifie là, il est terrifiant, il est dégueulasse, il faut relocaliser nos activités artistiques, elles nous appartiennent et le bras de fer qu’on a commencé à amorcer avec ses occupations, ces maisons nous appartiennent avec des financements publics nous devons rentrer dans les conseils d’administration en tant qu’acteur en tant que technicien nous avons notre mot à dire là-dedans ; il y a aussi un tas de scènes qui sont sur nos territoires qu’il faut développer dans les quartiers avec des artistes ; j’ai envie de lutter pour cela, je ne veux pas me placer en victime, mais promouvoir des dispositifs qui permettraient cela, la question du travail que nous fournissons n’a rien à voir avec le cachet qui ne correspond pas à la quantité de travail mais il y a une déconnexion entre la quantité de travail et la quantité de salaire, là on attaque le capital, le capitalisme ,chacun met sa propre définition mais la correspondance entre la quantité de travail fourni et le salaire c’est un des piliers du capitalisme , il faut l’attaquer, le marché du travail ce qu’ils mettent en place pour s’émanciper, je parle juste du spectacle vivant que je connais, on a un rôle à jouer pour mettre en lumière et donner l’exemple avec des pratiques qui seraient plus localisée plus vertueuses sur le plan écologique, sur le plan social avec un salaire en fonction de notre compétence, le cachet est peut être le moyen, l’intermittence est aussi un autre moyen, on a un terrain d’expérimentation qui nous permet d’avancer là dessus voilà pour l’anti capitalisme.


Des réactions aux interventions

Daniel Rome

Membre de l’équipe de Cerises, la Coopérative

Plusieurs interventions m’ont interpellé parce qu’elle font écho avec le métier que je fais : je suis enseignant. C’est le rapport entre le travail et l’emploi. Je veux dire par là que quand on est enseignant, est-ce que, par exemple, quand un prof de français lit un roman, c’est du loisir ou c’est du travail? Et donc, on pourrait, comme ça multiplier les exemples sur le rapport entre emploi et travail et le temps de travail, et comment penser le rapport au travail, et comment penser notre implication de tous les jours. Donc il me semble effectivement qu’il faut travailler à rompre avec ça. Et l’ancien statut des intermittents du spectacle essayait de poser le problème de permettre aux gens qui travaillent dans le monde du spectacle et de la création de pouvoir avoir un revenu décent, même si ce n’est pas toujours le cas.

Deuxième question, et là je m’adresse à tous les gens qui sont dans le monde du spectacle, j’aimerais qu’on approfondisse la question de l’autogestion. Qu’est-ce que l’autogestion? Parce qu’il y a eu des tentatives; moi j’habite un département (la Seine-saint-Denis) où il y a beaucoup de théâtres : il y a le théâtre de la Commune, il y a le nouveau théâtre de Montreuil, il y a Bobigny, je ne vais pas tous les citer… mais le résultat avec au départ plein de bonnes intentions notamment de Jack Ralite et de Didier Besace pour le Théâtre de la Commune, c’est que le public qui venait et qui fréquentait le théâtre, c’était un public qui avait un certain capital culturel et un certain capital financier, en tous cas qui était capable de prendre un abonnement, et une grande partie de la population d’Aubervilliers échappait complètement à cette volonté de rendre accessible le théâtre au plus grand nombre.

Donc, je crois qu’il y a une réflexion à mener.

Troisième chose : quand on parle d’éducation populaire, à la fois ce mot m’intéresse, mais il m’irrite aussi un peu parce que “éducation populaire” ça veut dire qu’il y a des gens qui savent et d’autres qui ne sauraient pas, à qui on va expliquer la bonne parole. Et je crois que le plus pauvre des plus pauvres, il a aussi un imaginaire, il a aussi une sensibilité, il est capable d’apprécier un tableau, une pièce de théâtre ou une œuvre musicale et qu’il n’y a pas besoin de l’éduquer. Mais il y a à trouver et réfléchir collectivement comment rendre accessible au plus grand nombre l’acces à cette culture. Je suis allé fréquemment en Italie : l’opéra est populaire. En France il est l’affaire d’une petite minorité, extrêmement friquée. Et prendre une place à l’Opéra, c’est entre 60 et 95€ voire 125€ quand on veut être en bas près de la scène. Donc il y a une vraie réflexion à avoir.

Et, enfin, dernière chose qui a été soulevée tout à l’heure. Je n’ai pas forcément la réponse, mais l’autre jour sur France Culture, il y avait tout un débat sur ce qu’a fait Jack Lang, en tant que Ministre de la Culture et le financement des théâtres nationaux et la manière dont les directeurs de théâtre sont nommés et les choix qu’ils font. Alors, effectivement quand on a de l’argent public, on n’ose pas trop critiquer celui qui vous finance. Donc voilà qui pase la question de l’autonomie des lieux culturels et qui pose plus largement la question de l’autogestion. Parce que comment faire en sorte de mettre en œuvre toute une politique d’accès au plus grand nombre? Alors, par exemple, j’habite Montreuil; le nouveau théâtre de Montreuil qui a fait tout un travail depuis des années avec Mathieu Bauer auprès de tous les scolaires, collèges et lycées, ce qui a permis  un grand nombre de lycéens de découvrir le théâtre. Mais ce sont des choses qui sont vraiment parcellaires, ponctuelles… Et, en même temps quand on se promène dans le pays, il y a des tas d’endroits où il y a plein d’initiative qui se font, culturelles, diverses et variées, dans le domaine du théâtre, dans l’accès au cinéma, dans des lieux reculés de province. Moi, je suis allé au fin fond du Doub et il y avait une association qui avait créé un centre culturel : une fois pas mois, il y avait un débat philo,  ou ils passaient un film, ils invitaient une troupe de théâtre, etc, pour rendre accessible la culture au plus grand nombre.

Je finis. Ma question est à tous les gens qui sont là… Tout à l’heure, Laurent est intervenu, mais ce qu’il a dit ne m’a pas convaincu. Il a posé des questions intéressantes, hein! Mais comment penser l’autogestion dans le secteur culturel?


Martine Ritz

Comédienne, occupante de l’Opéra Graslin à Nantes, CGT-Spectacle

Je ne sais pas si je vais répondre à la question. J’ai envie de resituer, moi, le secteur dans lequel on est, entre deux choses : le capitalisme d’un côté et ce dont tu viens de parler Daniel, que moi j’intitule “la Cour de Versailles” avec les petits marquis qui ont besoin de séduire le Prince, soit l’institution collective et territoriale, etc; parce que une des problématiques aujourd’hui, c’est que la culture est financée comme le reste des entreprises de ce pays, comme ce à quoi les citoyens ont eux-mêmes à faire face, c’est la notion du “projet”. Le capitalisme, pour moi, aujourd’hui, il est d’abord défini par cette notion-là : il faut avoir un “projet”. Un projet de vie, un projet de retraite, un projet de création, un projet de spectacle, un projet immobilier. Donc, le capitalisme, c’est bien celui qui décide, c’est bien le système qui décide de comment notre vie doit s’articuler. L’autogestion, je ne sais pas à quoi elle peut ressembler dans notre secteur culturel. Mais, en tous cas, le décisionnaire, c’est celui qui est détenteur de l’outil de travail, qui décide de qui travaille dans l’outil de travail et à quel taux on travaille dans l’outil de travail. Ça c’est la définition basique de n’importe quel travailleur.

A partir du moment où on occupe son entreprise, ce qui a été notre cas, même si l’entreprise ne tournait pas vis-à-vis du public, mais tournait (moi j’ai occupé et j’occupe encore l’opéra de Nantes) il y a du travail qui se fait à l’opéra de Nantes depuis le 10 mars : des captations, des répétitions… Donc, l’outil de travail est en état de marche. Le public n’y est reçu que depuis le 19 mai, mais l’outil de travail, lui, fonctionne. Les occupations, ben, bien sûr qu’elles ont posé la question de l’autogestion, comme dans n’importe quelle entreprise. Chez Lip, la question s’est posée, parce que les travailleuses et les travailleurs ont fait grève et qu’ils ont occupé leur usine.

Donc, moi je trouve que le mouvement qu’on a traversé, il remet les travailleuses et les travailleurs de la culture en face du fait qu’ils sont des travailleuses et des travailleurs.

Petite page d’histoire : l’intermittence a été inventée, non pas par les salariés, mais par les patrons du cinéma qui avaient besoin de leurs techniciens lumière pendant leurs productions de cinéma. Ils s’apercevaient que “production de cinéma”, puis “plus de travail”… ben, qu’est-ce qu’ils faisaient les électros? Ils allaient bosser dans le bâtiment. Et quand on voulait refaire une production de cinéma, on n’avait pas les travailleurs formés comme il le fallait. Donc, n’oublions jamais ça : l’intermittence est capitaliste. Contrairement, et là, je réponds à Laurent Eyraud, le salaire est émancipateur, le salaire est communiste. Et le coronavirus et la crise sanitaire nous ont montré que le statut le plus protecteur, c’était celui de la fonction publique, c’est-à-dire les salariés qui ont un salaire à vie. Puis, le statut de salarié. Puis, nous, nous sommes des salariés à emplois discontinus ; nous avons été moins bien protégés que les salariés en CDI, puis nous avons été encore moins bien protégés; nous avons été mieux protégés que les auto-entrepreneurs ou que les gens qui n’avaient pas de salaire. Donc, la notion de salaire, pour moi est totalement émancipatrice, surtout dans des moments où on s’aperçoit que l’on a déconnecté le travail de l’emploi. Donc, moi je suis pour le salaire attaché à la personne. C’est-à-dire que je pense que si, dans nos secteurs, nous avions des salaires attachés à nos personnes, nous serions libres vis-à-vis des directeurs et directrices qui ne sont jamais, eux-mêmes, que des salariés ou que des gens co-optés… Ce ne sont peut-être pas des petits marquis, eux, ce sont des petits barons. Nous avons comme ça toute une hiérarchie très… royaliste dans un système qui se prétend républicain. Pourquoi? Tout simplement parce que… (et nous en sommes nous-mêmes les auto-fabricants, nous les artistes et techniciens du spectacle vivant). Tout à l’heure Laurent Voiturin a parlé d’humilité. Moi je voudrais qu’on soit très humble dans le spectacle vivant, parce que seul moins de 10% de la population pousse une porte d’un lieu culturel. C’est-à-dire que ce n’est pas seulement les revenus financiers, mais ce dont tu as parlé Daniel : le capital culturel. Ici à l’opéra, pendant l’occupation, moi, le dimanche, je faisais “visite”, j’étais guide conférencière pour les gens qui n’avaient jamais mis le pied dans l’opéra et qui disait, c’est peut-être la seule fois où je vais pouvoir y entrer.

Donc, dans notre secteur, l’exigence artistique (et nous y contribuons chaque fois que nous disons que nous sommes artistes avant de nous penser travailleuses et travailleurs) l’exigence artistique a remplacé l’exigence sociale. Pour moi, on est libre de créer quand on est libre dans sa tête sur le plan financier et économique. Et moi j’ai rencontré dans cette occupation, énormément de jeunes qui sont prêts à être pizzaïolo, et comédien et musiciens le reste du temps et qui disent, “de toutes façons, cette belle manière que le capitalisme nous a mis dans le crâne : de toutes façons, je n’aurai pas de retraite, de toutes façons, je n’aurai pas de salaire, de toutes façons je ne gagnerai pas ma vie en étant comédien ou musicien, de toutes façons on ne me déclarera pas, de toutes façons, ce que vous avez vécu, n’est pas possible, vous les vieux. Et moi je dis que ce qui est moderne, c’est de revendiquer le statut, un statut équivalent à celui de la fonction publique, c’est-à-dire le salaire à vie de Bernard Friot ou la déclinaison du nouveau statut du travailleur salarié. Parce que, en dehors de ça nous serons libres d’en chier, qu’on soit artiste et prêt à mettre son imagination en action.

Et je terminerai en disant (c’est une des choses qui a fait crever les professionnels du spectacle) c’est le moment où on a déconnecté les espaces de travail et où chacun a travaillé dans sa cuisine, dans son garage, dans le hangar qu’on voulait bien prêter pour la compagnie, alors, y’a jamais eu autant de compagnies qu’en ce moment, parce que pour chaque projet nait une compagnie, qui n’est pas forcément, d’ailleurs, employeuse, mais qui est d’abord au service d’un projet artistique.

Ça arrive extrêmement souvent. Moi je siège, à la région, au comité technique des Pays de la Loire, je peux vous dire qu’il y a des compagnies qui ne savent même pas ce que c’est qu’une convention collective.

Donc, je ne sais pas si c’est émancipateur mais en tous cas j’ai la faiblesse de penser que le droit du travail protège le faible par rapport au plus gros.

Je terminerai en disant que notre éco-système est un éco-système appuyé sur 97% de micro-entreprises où il n’y a même pas un permanent. 97%! Cet éco-système est donc extrêmement fragile et il ne peut pas reposer sur l’intermittence. Parce que l’intermittence sans contrat de travail, c’est ce dont rêve le MEDEF. C’est-à-dire une caisse où on mutualiserait la misère. L’intermittence est appuyée sur le salaire et les artistes et les techniciens, depuis plus de 20 ans ont perdu l’idée que leur contrat de travail leur permettait d’avoir l’indemnisation et la protection du chômage qui a été gagnée par la sécurité sociale et nos prédecesseurs dont nous sommes héritiers qui ont inventé la sécurité sociale.

Donc moi je suis pour qu’on se remette des choses basiques dans la tête, c’est-à-dire le “déjà-là” communiste parce que le capitalisme a un seul ennemi le communisme. Le reste c’est du pipeau.


Benoît Borrits

Animateur de l’association “Autogestion”

 Je suis content d’être parmi vous parce que je ne connais pas très bien la problématique des artistes et j’ai entendu beaucoup de choses intéressantes notamment sur ce mouvement. De ce que je comprends de ces occupations on s’aperçoit qu’elles ont eu lieu, j’ai entendu une personne dire oui mais cela n’a pas emmené l’ensemble de la profession ce qui est effectivement un problème et ensuite c’est la question du lien avec les usagers, c’est le fameux débat du théâtre de Marseille La Criée qui n’est pas du tout populaire.

Je voudrais amener une petite réflexion sur comment on sort de cette marginalité parce que je crois que c’est la question essentielle qui nous est posée aujourd’hui. Une question qui revient sans cesse en boucle dans tous les métiers artistiques c’est la question du revenu ou la question du salaire, il y a des divergences, tout le monde n’est pas tout à fait d’accord. Je voudrais contredire ce que vient de dire Martine sur la question du salaire à vie de Bernard Friot comme solution. J’entends en permanence des gens qui disent c’est facile, c’est le salaire à vie, je vous invite à lire Bernard Friot dans son dernier livre d’interview avec Judith Bernard. Il dit une chose très intéressante il dit le salaire à vie à la qualification ça se construit, la grande question est comment il se construit et il faut répondre à cette question et je vais tenter d’y répondre et la deuxième chose qu’il explique, il ne suffit pas de dire tout le monde va être payé avec des grades, autant dans la fonction publique cela marche bien parce qu’on est dans une économie non marchande, autant en économie marchande, ça coince et c’est là qu’il arrive avec cette espèce de notion de convention salariale de la valeur qui finalement dit ce qu’on achète, on se fiche de savoir la qualité, la seule chose qu’on estime se sont les grades garant de la valeur et il dit une chose très intéressante dans ce livre il dit la bourgeoisie a mis des siècles pour imposer cette convention n’imaginons pas que nous mettrons moins que des siècles à le mettre en place. Alors là j’ai un petit problème, il y en a certains qui ont faim dans cette société et il y a un petit réchauffement climatique qui dit que peut-être dans 50 ans on sera cramé donc je crois qu’il nous faut des solutions rapides, c’est la raison pour laquelle j’ai une proposition un petit peu temporaire intermédiaire quelque chose qui est aujourd’hui entendable dans la population et comme on cherche à faire des coalitions majoritaire, c’est ça qui est important c’est de dire qu’une partie de notre économie doit être mise en hors marché c’est-à-dire si je prends la proposition de salaire à la qualification de Bernard Friot, faisons le premier niveau parce que c’est de l’universalité, tout le monde est d’accord avec cela, donc réalisons le en mettant systématiquement hors marché une partie de la production de façon à garantir à toutes les personnes qui sont en activité, un salaire minimum ou un revenu minimum, ce n’est pas un revenu universel, c’est bien quelque chose qui est extrait de la production, distribué de façon strictement égalitaire entre les personnes ça je pense que c’est quelque chose qui est entendable qui va être discuté. Peut-être certains vont dire que c’est trop le salaire minimum, d’autres vont dire on va remonter le salaire minimum mais engageons cette situation, et je pense que cela changerait bien la vie de nombreux artistes qui se situent comme salariés dans l’intermittence ou qu’ils se situent comme indépendant et indépendante. Un revenu qui est garanti parce que nous travaillons, parce que nous nous affirmons comme producteur et nous faisons le lien avec les artisans, nous faisons le lien avec les agriculteurs, nous faisons le lien avec les chômeuses et les chômeurs qui ont beaucoup de mal à accéder à l’emploi aujourd’hui parce que la garantie du revenu mutualisé au sein de l’ensemble des entreprises n’existe pas c’est un point qui est important et à partir de là, je tire un deuxième fil : avec qui on va discuter ? On va discuter avec des gens qui sont à la fois producteurs et usagers c’est cela qui nous intéresse, c’est de dire d’un côté nous produisons de l’art de la Culture et on ne la produit pas dans le vide on la produit pour vous et cette question posée, vous êtes revenus plusieurs fois sur la question du directeur de théâtre nommé par l’État, l’autogestion, le commun il faut remettre cette notion en avant lorsque vous occupez vos théâtres vous commencez à dire je conteste la propriété y compris la propriété étatique au nom de vos savoir-faire professionnels et on va essayer d’y associer les usagers. L’État est souvent notre plus grand ennemi, il y a pu y avoir des privatisations de service public parce qu’il y avait un état ,c’est parce qu’il y a un état qu’il y a une propriété et c’est ça le rapport communiste dont on parlait tout à l’heure, c’est une question de transcendance de la propriété, de dépassement de la propriété. Que faire de nos outils de production et le théâtre est un outil de production culturel ? Un commun inaliénable qui est autogéré à la fois par ces artistes et l’ensemble des producteurs et puis les usagers qui doivent définir ce que doit devenir l’art dans les années à venir.


Sylvie Larue

Membre de l’équipe de Cerises la Coopérative

Je pense que quand on commence à parler d’alternative, on a franchi une étape et cette alternative doit être construite par tout le monde. On peut continuer à discuter de salaire à vie, de revenu d’existence exetera ce qui est important c’est que ces débats doivent avoir lieu partout quand on mène des luttes. Il est nécessaire que cela soit une construction autogérée. Au départ je voulais rebondir sur l’intervention de Martine qui stimule notre réflexion et qui au départ de sa réflexion nous dit : pour qu’il y ait convergence des luttes il faut que chacun développe ses propres revendications sectorielles. Moi je le dirai autrement, j’entends ce que dit Martine je dirais que dans toutes les luttes, il y a un dénominateur commun, mais en fait Martine l’a dit après dans sa deuxième intervention, ce dénominateur commun c’est la confrontation à un même système capitaliste à une même logique à des rapports similaires de domination et de même concentration d’argent et par rapport à la culture ce que dit le capitalisme c’est extrêmement violent, il dit ce n’est pas essentiel ! En période de pandémie on peut se passer de culture. Sans la culture et sans les artistes qui nous disent des choses sur le monde tel qu’on le vit, et tel qu’on pourrait le transformer, il nous manque quelque chose d’essentiel dans notre vie de tous les jours.

Par rapport à cette question de l’autogestion comme une réponse alternative à ce système capitaliste, et cette autogestion qui commence tout de suite dans les luttes, c’est important qu’elle commence tout de suite dans les luttes, elle est portée de plus en plus dans les mouvements d’occupation. Quand il y a eu les occupations des raffineries, les salariés disaient les raffineries, elles sont à nous, les agents territoriaux qui ont occupé l’Hôtel de Ville de Paris ont scandé des slogans « l’hôtel de ville il est à qui ? il est à nous ! » et je trouve que c’est quelque chose qui monte très fort et on doit pouvoir s’appuyer sur ce déjà là, élargir cela partout dans toutes les luttes.

J’ai été très surprise et je rejoins l’intervention de Martine sur ce qu’a dit Laurent tout à l’heure : mon projet n’est pas d’être intermittent, mon projet n’est pas d’être salarié, même si je partage totalement cette idée-là moi en tant que prof mon projet n’est pas d’être fonctionnaire, mais par contre me libérer de la précarité c’est quand même une des conditions de l’émancipation donc il me semble que le salariat c’est une façon de se libérer de la précarité et de pouvoir se consacrer complètement à son propre projet de travail pour continuer sur cette idée d’autogestion. Cette fois-ci je ferai référence a qu’a dit Laurent Voiturin dans une des manifestations contre la réforme chômage à Rennes, il disait nous voulons gérer notre caisse d’assurance chômage et cela me paraît quelque chose d’important de revendiquer cela et il faudrait aussi revendiquer de décider des subventions et donc poser la question de qui décide, porter cette exigence que la décision ne doit pas revenir à quelques barons, marquis ou président général de la France.

J’ai aussi été très intéressée par l’histoire de la construction du régime de l’intermittence mais il me semble que ce n’est pas seulement capitaliste, c’est aussi le début de la continuité du salaire cette émergence du système de l’intermittence du spectacle, c’est aussi du déjà là, c’est-à-dire le travail ce n’est pas seul moment où on est en représentation, mais c’est aussi le moment où on prépare, on répète, on crée, comme pour nous les profs ce n’est pas seulement 20 heures de travail c’est-à-dire les heures de présence devant les élèves mais c’est aussi tout le temps de travail pour préparer les cours et c’est commencer à intervenir sur ce qui est travail ce qui n’est pas travail.


Florian Baron

Musicien, occupant du TNB à Rennes

 Cela me fait réfléchir depuis longtemps, ce rôle qu’on a en tant qu’artiste qu’est-ce que la culture. Moi j’ai un papa qui a eu une histoire de vie très compliquée qui a rencontré un musicien à l’âge de 20 ans et qui est devenu ensuite un très grand musicien alors qu’il était enfant de la DASS et cela lui a changé la vie et j’ai un oncle qui est actuellement directeur du Syndeac et qui n’est pas du tout dans la même vision de ce qui est essentiel dans la culture. Et je me pose beaucoup de questions sur qu’est-ce que c’est que cette culture, qu’est-ce que c’est ce côté un peu religieux qu’on entretient avec l’art, est-ce que la culture c’est éduquer les pauvres à apprécier la richesse du patrimoine culturel des riches ? Moi je joue de la musique, la musique c’est un art qui est très populaire, il y a peu de gens qui se passe de musique dans leur vie même s’ils ne rentrent pas dans un lieu de culture, et moi je me suis mis à faire des musiques de pays divers notamment des pays musulmans. Donc aujourd’hui je travaille avec  un musicien afghan qui est un musicien exceptionnel et qui ne peut absolument pas accéder à l’intermittence, il faudrait accepter de se mettre au chômage et s’il est au chômage il n’a plus le droit d’avoir des papiers, il a des papiers parce qu’il travaille. J’ai une autre amie philosophe d’origine iranienne qui ne peut pas postuler à l’agrégation en France parce qu’elle n’est pas européenne. Si une matière intellectuelle, une manière de se penser qui est très ethnocentré et qui nomme culture ce qui est notre culture, nos racines culturelles à nous, et j’avais envie de faire rentrer ce truc là je ne sais pas si c’est une question d’anticapitalisme ou pas en tout cas c’est une question qui me tient à cœur : qu’est-ce qu’on a comme culture et à quel point on regarde notre nombril quand on parle de culture.

J’ai beaucoup aimé d’un côté l’anticapitalisme de l’autre la cour de Versailles de Martine mais il y a aussi un autre Grand Théâtre Ouvert c’est celui de la rue, il y a quand même énormément d’artistes dans les rues et il y a aussi beaucoup d’art qui se pratique à la maison et c’est très important de se questionner sur le professionnalisme et l’amateurisme et de pas opposer les acteurs culturels et le public, j’ai bien aimé les interventions autour de l’éducation populaire même si cela prête à débat sur qui éduque qui et pourquoi et toutes ces structures de domination me pèsent énormément . Je me pose beaucoup la question de la légitimité qu’on a à occuper des scènes, les scènes sont des structures pyramidales et j’ai beaucoup aimé la proposition d’Olivier de dire qu’il faut absolument ouvrir les théâtres l’été il faut au moins qu’il y ait des périodes où les théâtres appartiennent aux gens et où on ouvre les scènes à des amateurs et en terme d’expérimentations concrètes dans les dernières années j’ai un copain qui a créé le bal de Bellevue à Nantes où il est passé voir toutes les personnes de son quartier qui connaissaient des danses, des chansons, et il leur a proposé un accompagnement, des professionnels qui se mettent à leur service et il y a eu aussi pendant le confinement une association qui a fait un genre de uber musical qui proposait à des artistes de se mettre sur leur site et ils ont organisé des sessions groupées et on pouvait venir jouer avec un bénévole qui venait de maison en maison et je me dis qu’on a plein de solutions concrètes à mettre en œuvre pour redynamiser un peu ce que c’est notre existence d’artiste dans ce monde-là, notre existence d’artiste à toutes et tous le terme de culture est lui-même à remettre en question si on veut remettre nos activités dans une perspective qui n’est plus capitaliste justement .


Janie Arneguy

Militante Ensemble! Gard

Pour ce qui concerne Nîmes le théâtre municipal a été fermé et bunkerisé c’est une scène de musiques actuelles qui a été occupée depuis le 16 mars, et même si le mouvement a changé, la direction accepte qu’on continue tous les deux jours notre assemblée générale, ce mouvement a fait découvrir ce qu’était l’intermittence, beaucoup de gens ont compris les difficultés, les problèmes que cela pose. Dans ce mouvement il y avait une grande diversité de participants des intermittents des gilets jaunes, des profs. Les intermittents nous ont proposé beaucoup d’interventions artistiques sur les marchés et cela a provoqué des discussions avec le public dans les marchés où on était en quelques sortes artistes. Dans tous nos tracts la question de la réforme chômage était posée. C’était très formateur. Des gens qui n’avaient jamais franchi la porte d’un théâtre ont pu le faire à l’occasion de ce mouvement.


Rémy Querbouet

Réseau AAAEF Nantes

 Ce qu’a dit Martine à propos du projet, moi je le vis actuellement, je n’ai pas de projet professionnel, j’ai 62 ans et on me le reproche. Cette politique du projet est insupportable. Je voulais revenir sur ce qu’a dit Daniel Rome il a parlé d’éducation populaire, on vient apporter la culture au bon peuple qui va la recevoir, mais pour moi l’éducation populaire ce n’est pas du tout cela, l’éducation populaire c’est des méthodes où la population elle-même s’approprie ses propres savoirs, cela n’a pas grand-chose à voir avec des sachants qui transmettent leur propre culture. On n’a pas assez abordé dans le débat la question de la culture populaire pour moi il n’y a pas d’éducation populaire sans valorisation des cultures populaires, il y a un certain nombre d’acteurs qui sont des acteurs bretons, en Bretagne c’est quelque chose qui est très très fort, la musique bretonne, théâtre en breton, mais la question de valoriser la culture populaire est quelque chose qui est très important. Au début du mouvement j’avais tendance à dire de manière un peu ironique pour moi la culture c’est quand ma grand-mère fait des crêpes, faire des crêpes c’est de la Culture…

Autre réflexion à quoi sert la culture pour les élus, je crois que la culture est piégée par un jeu, c’est un instrument de communication, pas un instrument d’émancipation des artistes, de la population, mais c’est le moyen de valoriser un territoire, c’est un piège énorme on fait des Festivals partout parce qu’il faut se tirer la bourre entre nous au niveau valorisation des territoires, et ça c’est très fort en Bretagne.

Le débat était très intéressant et il serait utile de créer un groupe de travail sur ces questions de culture comment concevoir la culture dans une perspective communiste et autogestionnaire.



Bruno Della Sudda

 Je voudrais faire le lien avec les débats que nous avons eus les mois précédents, nous avons eu deux débats sur les mobilisations, sur les luttes et sur ce qu’elles nous disent, les mobilisations de l’antiracisme, du féminisme, des gilets jaunes, de la santé, des quartiers populaires à Marseille. Ces échanges étaient riches et intéressants. Aujourd’hui nous avons beaucoup parlé de la dimension auto-organisation et autogestion dans le mouvement, cette dimension essentielle ne se limite pas aux mobilisations dont vous avez parlées ce soir, elle se retrouve dans de nombreux mouvements sociaux dans de nombreuses mobilisations citoyennes depuis plusieurs années en France mais ce n’est pas un phénomène français, c’est une tendance générale, qu’on retrouve à l’échelle de l’Europe et du monde. Quand vous reprenez la liste de tout ce qui s’est passé dans différentes régions du monde et c’est le travail d’Alain Bertho, depuis les révolutions arabes en 2010-2011 on retrouve dans tous ces mouvements très différents les uns des autres cette caractéristique commune fondamentale c’est-à-dire la dimension d’autogestion et d’auto organisation et vous retrouvez aussi dans ces sociétés, des éléments de déjà là, c’est-à-dire d’alternative embryonnaire et parfois même plus qu’embryonnaire, d’alternative anticapitaliste c’est un facteur d’optimisme dans un contexte par ailleurs difficile.

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