Cet article fait partie du dossier “Démocratie VS guerre sociale”. Les autres éléments de ce dossier sont à lire sur ce site :
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Le Liban est entré en « révolution » depuis le 17 octobre 2019. Un arc social extraordinairement large a pris la rue pour porter de fortes revendications sociales, féministes, écologiques et politiques, contre la corruption généralisée du pouvoir et le système confessionnel qui régit le pays.
Le cœur de la contestation se situe dans la remise en cause du système qui répartit sur des critères d’appartenance confessionnelle les responsabilités politiques régaliennes, les postes dans l’administration et régit le droit des personnes (nationalité, état civil, mariage, héritage).
Hérité de l’empire ottoman et du millet*, le système confessionnel a été consacré sous le mandat français (1926) et a résisté aux guerres et aux occupations. Au contraire de sa fragilité apparente, il s’est révélé d’une solidité exceptionnelle et a conduit le pays à un désastre social, politique, économique, sociétal, écologique et moral. Le Liban est en passe de devenir un enfer terrestre, que les plus chanceux cherchent à fuir à tout prix.
Jamais, cependant, le système confessionnel n’avait été à ce point ébranlé. Avant le mouvement du 17 octobre, personne ne mesurait à quel point la jeunesse libanaise rejetait le confessionnalisme ; peu pensaient voir resurgir aussi brutalement la question sociale et ses revendications sur les services publics, les salaires, l’emploi, la sécurité sociale et les retraites, la question des droits des femmes, exclues de la transmission de la nationalité, empêchées de garder leurs enfants lorsqu’elles divorcent, ou encore les questions environnementales dans un pays archi pollué et dévasté.
« Tous, vraiment tous ! »
Cette révolution-là est déjà faite dans les esprits. Pour la plupart des jeunes qui sont le cœur du mouvement en cours : il ne saurait y avoir de retour en arrière.
Toutefois, le pouvoir confessionnel dispose encore de nombreuses forces et il s’accrochera, coûte que coûte. Après quelques jours d’incompréhension puis de sidération, il a tenté de réagir en faisant jouer les vieux ressorts communautaires, en ressassant les accusations complotistes ou en tentant de dresser les citoyens les uns contre les autres. A la revendication sociale, il répond par des considérations géopolitiques, accusant les manifestants d’être des « agents des ambassades ». Le début du mois de décembre connaît un net raidissement du pouvoir et des interventions de plus en plus musclées des milices et des forces de l’ordre.
Mais il est devenu clair que le régime sur lequel repose ce pouvoir est, à un terme plus ou moins proche, condamné.
La contestation rejette, à juste titre, au Liban comme ailleurs, des partis politiques déconsidérés. Elle réclame le départ de « tous, vraiment tous ! ». Elle devra, cependant, trouver les formes d’organisation démocratiques qui lui permettront d’accélérer le mouvement de décomposition d’un système séculaire qui étouffe le pays et qui tourne au profit des intérêts particuliers d’un groupe restreint de leaders confessionnels qui s’opposent entre eux en apparence et que tout unit sur le fond.
Karl Ghazi
*ensemble institutionnel autonome, déterminé par la religion de ses membres, doté d’un dirigeant agréé par le Sultan, de droits différenciés, de tribunaux autonomes et d’un système fiscal spécifique.
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