A quoi sert d’évoquer le post capitalisme alors qu’on a tant à faire ? Affronter l’immédiat sans nous inscrire vers une autre société nous enferme dans une errance sans lendemain.
Nous avons intégré que la personne est dépendante des « réalités » économiques, des « réalités » des entreprises, des décisions prises par ceux qui sont là pour décider. Une personne « normale » doit « naturellement » s’adapter, se plier, à ce que l’on nous présente comme indiscutable. Mais qui définit ces « réalités » ?
Et si on provoquait un renversement copernicien des conceptions ? Si on pensait que c’est le fonctionnement de la société qui doit s’adapter aux personnes ? Pas sûr de l’uniformité : l’efficacité d’une équipe de rugby ou d’un plateau de chirurgie repose sur la mise en cohérence d’individualités fortement marquées.
Ce sont les personnes qui font vivre la société : travail, savoir, culture, sens des responsabilités, élever les enfants, convivialité, solidarités, désirs de paix …
Oui mais dit-on « on a besoin des investisseurs ». Pendant des années dans les représentations, tout semblait dépendre des « investisseurs ». Puis avec le covid on a découvert à quel point on avait besoin des soignants. Et lors de la grève des éboueurs, à quel point ceux-ci étaient indispensables. Quant aux « investisseurs », ils investissent de moins en moins dans l’utile pour mieux partir avec la caisse. Renault, la SNCF, EDF n’ont jamais été aussi efficaces que sans l’intervention du privé.
Aujourd’hui la qualité du travail, donc du service rendu, implique toute la personnalité de l’individu·e. Ce que le patronat appelle les « compétences » va au-delà de la formation professionnelle et implique les caractéristiques que chacun·e tire de toutes ses pratiques sociales. Le mot « loisir » est piégé : il rend superflus des moments importants de la formation de l’individu·e. Nombre de syndicalistes se sont vus attribué·es une licence de sociologie à partir de la reconnaissance des acquis issus de leur expérience. Que dirait-on d’un prof de lettres qui ne va jamais au théâtre ni ne lit jamais un roman ? La société dépend de l’accès des individus à tout ce qui fait société.
Si chacun·e a besoin des autres, répondre aux besoins de chacun·e devient le levier vers un type de société fondé sur le libre développement de chaque personne.
A chacun·e selon ses besoins dit l’adage communiste. Mais qui définit les besoins ? La pub ou la parole des un·es et des autres ? Voici la démocratie comme accès à la responsabilité. Faire une autre société implique de se mettre en tas pour articuler ce qui est ressenti comme besoins et les conditions de mise en œuvre y compris écologiques.
La démo-cratie c’est le pouvoir faire par le peuple : il n’y a pas d’un côté les indispensables, de l’autre les décideurs. Le peuple a-t-il toujours raison ? Une société n’est jamais achevée et la démocratie c’est de la confrontation. La démocratie c’est aussi pouvoir construire son avis sur ce qui est complexe. Est-ce illusoire ? Qui n’a pas un avis sur la situation du Moyen-Orient ? Et quand on y pense : actuellement, on nous demande à chaque élection de désigner qui sait mieux que nous ce que nous ne savons pas. Autant mettre des gamins de 6ème dans les jurys d’Agrégation. En matière de citoyenneté, il n’y a pas d’ignorant, il peut y avoir des personnes isolées, qui n’ont que leur seule réflexion pour réfléchir alors que la démocratie c’est la mise en confrontation des savoirs, sensibilités, expériences les plus divers. Contrairement aux clichés, la démocratie c’est la foule.
Tout cela suppose que travail, pouvoir d’achat, accès à la culture, démocratie fonctionnent comme un ensemble cohérent : chaque avancée tend vers une nouvelle civilisation où la personne en est le tenant et l’aboutissant. Cela suppose une mise en cause de tout rapport de soumission et d’aliénation. Insupportable pour le capital. Est-ce que cela implique un tout ou rien ? Non, chaque avancée débouchant sur de nouvelles questions, il s’agit de mouvements jamais finis. Et à chaque fois interrogeons : est-ce ce que nous demandons va dans ce sens ou peut-on être plus exigeants ?
Pierre Zarka
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