Facebook. 16 octobre 2024. Scroll, la tête dans le coton. Pêle-mêle défilent publications d’amis, photos de chatons, morts en méditerranée, articles de journaux à 90% payants, publications sponsorisées au gré de mes précédents clics ou des états d’âme de l’algorithme. Chronique des réseaux sociaux.
« Mais moi, je suis un vrai féministe » clame le sous-titre d’une vidéo de Quotidien.
Effet « What the Fuck » immédiat. La journaliste est en train d’interroger un des accusés de l’affaire des viols de Gisèle Pelicot. Mais c’est quoi, cette argumentation ?
Qu’est-ce qui autorise ce monsieur à penser qu’affirmer sans broncher être féministe, au mépris évident de toute logique, est un argument acceptable non seulement dans son environnement proche – où peut-être, son épouse pourrait acquiescer « C’est vrai, il est féministe, il fait la vaisselle à la maison » – mais au micro d’une émission de télévision populaire ?
Pour comprendre, il faut déconstruire. C’est ce que m’ont appris mes études de sciences du langage. Ce que nous apprend aussi Clément Viktorovitch.
« Je suis un vrai féministe, moi. » dit notre accusé de Mazan. « Je ne suis pas un criminel. Je suis un soignant. Moi, je n’ai jamais été un problème dans la société, j’ai toujours été la solution. » Ben voyons. Sur un malentendu, ça pourrait peut-être passer… Et à bien y réfléchir, le procédé a l’air de fonctionner en politique depuis un moment.
Dire une contre-vérité sans sourciller, c’est un procédé rhétorique très en vogue actuellement et caractéristique de ce qu’on appelle la « post-vérité »[1]: une anticatastase. Il ne s’agit pas seulement de vider les mots de leur sens, de dévoyer les concepts[2]. Pas seulement de mentir, non plus, car « un mensonge se doit par définition d’être discret. » L’effet : la sidération. On glisse insidieusement dans une forme d’indifférence au vrai. Chaque chose devient son contraire, et on ne sait même plus comment contester.
Si un Darmanin, ministre de l’intérieur, peut sans complexe affirmer impunément en conférence de presse que : « Non, les gendarmes n’ont pas lancé de LBD en quad. Non, aucune arme de guerre n’a été utilisée à Sainte Soline. Non, les forces de l’ordre n’ont pas empêché les secours d’intervenir » alors même que les enquêtes de terrain, les images et les rapports affirment le contraire ; si nos dirigeants peuvent prôner la communication en passant en force à coup de 49.3 ; si on peut affirmer que les masques sont inefficaces et indispensables, que les immigrés mangent des chatons, ou qu’on « n’a jamais eu de sympathie ou de proximité vis-à-vis des régimes anti-démocratiques, pour aucun régime fasciste compris. » (Octobre 2022) tout en affirmant « en même temps » que « Mussolini était un bon politicien » quand on s’appelle Giorgia Meloni, alors qu’est-ce qui empêche un homme lambda de se reconnaître violeur féministe ?
Cette dérive rhétorique, elle ne joue pas seulement avec le langage. Elle risque de saper « jusqu’au fondement de notre société politique ». Car, dit Clément Viktorovitch, « s’il est possible de tout dire sans avoir à payer le prix de se voir contredire, alors tout peut se produire, y compris le pire. » C’est une ouverture vers la loi du plus fort, où gagneront ceux qui pensent pouvoir violer en toute impunité une femme ou un peuple endormis, en se posant comme LA solution.
Cette phrase n’a rien d’une simple anecdote. Elle se réclame de l’exemple de nos dirigeants comme d’un argument d’autorité. « Si nous n’y prenons pas garde, l’ère de la post-vérité pourrait bien devenir celle de la post-démocratie ». Et cela n’augure rien de bon.
Alexandra Pichardie
[1] Terme utilisé par Myriam Revault d’Allonnes, La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun, le Seuil, 2018, cité par Clément Viktorovitch.
[2] Ma réflexion s’inspire du livre de Clément Viktorovitch et Ferdinand Barbet, L’art de ne pas dire, Éditions du Seuil, 2024, dont sont tirées les citations.
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