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Entre cérémonie d’ouverture réussie et évènement capitalistique

Alors que le top départ des épreuves des Jeux olympiques a été lancé en grande pompe, la dichotomie posée entre les messages d’espoir portés hier et la réalité des valeurs perpétuelle appliquées dans l’organisation olympique questionne.

Depuis hier soir je suis perplexe. Comme Istanbul tiraillée entre deux rives, je suis tiraillé entre celle de communier, ou de résister.

Un succès d’abord
La cérémonie d’ouverture est un succès scénique et artistique indéniable qui laisse une place signifiante à toutes les diversités : plusieurs statues de femmes importantes de l’histoire (rappelons que Paris a 260 statues d’hommes pour seulement 40 de femmes), aux personnes LGBTQIA+ et personnes racisé·es. C’est un monde de la culture riche, divers et moderne loin des stéréotypes que nous retrouvons ici.

Douze tableaux, 3 000 danseurs et performeurs, 10 500 athlètes sur 85 embarcations pour 122 millions d’euros mis en scène par Thomas Jolly, les chiffres et le travail donnent le tournis. Les prestations qui me marquent restent : le tableau « Révolution » du groupe métal français Gojira associé à la chanteuse lyrique Marina Viotti, une première lors d’une cérémonie olympique mettant en avant ce courant musical ; l’interprétation de la Marseillaise par la chanteuse lyrique guadeloupéenne Axelle Saint-Cirel ; l’interprétation entre Aya Nakamura et la Garde républicaine devant l’Institut de France ; la prestation émotionnellement forte et poignante de Cécile Dion ; mais également la réinterprétation de « La Cène » de Léonard de Vinci par la scène drag, féministe et LGBTQIA+ avec notamment Nicky Doll et Barbara Butch.

Ce huitième tableau est significatif de cette volonté de célébrer la diversité de la France et du monde, de la liberté de s’aimer quand 69 États répriment encore les LGBTQI+, de célébrer l’art drag longtemps méprisé et toujours attaqué par les réactionnaires. Ce tableau ne veut pas être un usage malintentionné du blasphème dans une volonté de blesser, mais plutôt une représentation porteuse d’espoir pour le monde et pour les croyant·es quelque soit leurs religions. Il adoube la question du corps comme un engagement, et à travers ses artistes mélange le masculin et le féminin, transforme les représentations genrées convenues. Il produit de l’utopie où image et son se jouent des normes dépassant toutes les binarités qui emprisonnent le corps, étreignent les esprits, et dont l’Église catholique en fut l’une des artisanes en Europe tout comme d’autres institutions religieuses et groupes humains durant des siècles ailleurs. Léonard de Vinci en a d’ailleurs lui-même fait les frais, emprisonné quelques jours pour « sodomie active » en 1476. Ce qui dérange au fond les réactionnaires, ce n’est pas la réinterprétation de La Cène, c’est que ce soit des personnes queers qui réinterprètent cette scène pourtant 1000 fois reprise.

Cette cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et ses choix tant scéniques qu’artistiques sont une victoire idéologique pour l’inclusion, la diversité et plus largement la gauche. Il est donc important de s’en réjouir et de s’emparer politiquement plutôt que de s’y inscrire à rebours.

véhiculant des Jeux Olympiques au narratif capitalistique ensuite.
Dans le même temps, et tout en saluant cette cérémonie sur bon nombre de plans, j’ai relu en partie La société du spectacle (1967) de Guy Debord, qui met en avant les « forces du spectacle » comme des acteurs de la société accumulant les « spectacles » pour perpétuer les conditions modernes de production. Ces forces ayant pour objectif de disperser toute capacité à contester, de faire émerger un storytelling, de maîtriser les séquences et le temps pour adouber un système capitaliste : les Jeux Olympiques et Paralympiques s’inscrivent totalement dans cet objectif.

Ce matin dans plusieurs médias, fort de la cérémonie riche d’hier, j’ai de nouveau ressenti cet effet de répudiation de la contestation portée par les collectifs, du négatif de la parole portée par les citoyen·es afin de marginaliser la pensée « JO-critique » et installer cette « permanence », ce « présent perpétuel » où les JOP véhiculeraient des valeurs de partage en surface quand elles consolideraient actuellement et au fond des valeurs utiles au capital : l’esprit de compétition, le nationalisme, le progrès infini des records et la brutalisation des corps. Les injonctions à la silenciation sont vives quant au sort des personnes immigrées, des sans-papiers exploités sur les chantiers JOP, des étudiant·es précaires déplacés pour héberger des policier·es, des travailleur·euses du sexe empêché·es, et autres dénis démocratiques et écologiques locaux. 12 545 personnes expulsées entre mai 2023 et avril 2024, 5 224 personnes sans-abris déplacées d’Île-de-France, accélération des évictions « sèches » des petits campements de personnes « grande précaires », derrière les chiffres, un nettoyage social de destins et d’êtres humains qu’aucune grande cérémonie ne pourra effacer.
Dès lors que faire ? Il est difficile de sortir des stratégies de communication tant le rouleau compresseur est dopé aux ressources financières et moyens divers. A la fois réussite artistique hier, mais aussi force s’accaparant des cultures -aujourd’hui queer- pour exister depuis toujours, la ligne de crête est précaire.

Pour reprendre ma comparaison initiale, entre communier ou résister, entre les deux rives du détroit du Bosphore, la réponse est peut-être entre les deux : Marmara. Cette mer, qui sépare pourtant Istanbul en deux, est aussi celle qui les lient. Signifiant en grec un marbre tantôt « blanc » -celui de la communion-, tantôt veiné de « bleu » -celui de la résistance-, la réponse est là : apprécier les victoires idéologiques que transmet cette cérémonie et ses équipes artistiques en matière de richesses culturelles et de diversité ; tout en continuant à créer, dénoncer, lutter avec les classes populaires et les minorités victimes d’une organisation étatique et olympique jusqu’ici défaillante, inégalitaire et violente.
Auteur : Alexandre Schon

Enseignant et docteur en Géographie des télécommunications et de l’innovation européenne (ED 60). Voir tous les articles par Alexandre Schon

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