533 milliards de dollars, c’était le chiffre d’affaires des logiciels informatiques en 2021. Une marchandise particulière car son acheteur n’en a pas la pleine propriété puisqu’il ne peut pas le donner à quelqu’un d’autre, ni le modifier par exemple.
Contre cette « rétention informatique », dès le début des années 1980 apparaissent les logiciels libres et gratuits, avec la Fondation logiciel libre qui entend briser la loi du capital sur les outils informatiques. Elle se fixe comme but « Premièrement, la liberté de copier un programme et de le redistribuer à vos voisins, qu’ils puissent ainsi l’utiliser aussi bien que vous. Deuxièmement, la liberté de modifier un programme, afin que vous puissiez le contrôler plutôt qu’il vous contrôle ». Une forme de démarchandisation des logiciels qui écrase la valeur d’échange au profit de sa seule valeur d’usage partagée.
Depuis 1980, des milliers de programmeurs créent des logiciels et les mettent en téléchargement libre et gratuit. La Quadrature du Net qui souhaite « œuvrer pour un Internet libre, décentralisé et émancipateur » évoque la construction d’une « République numérique » où « cette forme de gratuité coopérative basée sur la contribution et le partage rassemble de nombreuses communautés d’échange et crée une nouvelle forme de richesse, aussi bien économique que sociale. C’est elle qui donne au domaine commun informationnel son caractère vivant et dynamique. La création d’un domaine commun volontaire garantit une protection effective contre les réappropriations ».
Pour Hervé Le Crosnier dans un article « Leçons d’émancipation : l’exemple du mouvement des logiciels libres » publié par ATTAC, « le mouvement des logiciels libre représente une expérience sociale de grande ampleur, qui a profondément bouleversé le monde de l’informatique ». L’existence sociale de facto des logiciels libres relève selon lui « pas seulement de “faire pression” sur les décideurs politiques, mais d’imposer à la société politique la prise en compte de biens communs déjà établis et développés. Une forme de « déjà là » qui s’impose dans la sphère sociale … et économique. Et l’auteur d’enfoncer le clou : « Cette symbiose entre le mouvement, son radicalisme (c’est quand même un des rares mouvements sociaux qui a produit et gagné une révolution dans les trente dernières années) et les évolutions du capital montrent qu’il existe une autre voie d’émancipation que “la prise du Palais d’Hiver”, surtout dans un monde globalisé et multipolaire, dans lequel le “quartier général” n’existe plus » …
Pour cela, les pratiques, les réflexions et les succès sur le terrain du mouvement des logiciels libres sont à la fois un encouragement et une première pierre d’une réflexion par l’action. Ici et maintenant. Une invitation à la gauche émancipatrice à changer de … logiciels.
Patrick Le Tréhondat
Les secrets et les non-dits du PIB
Le produit intérieur brut est la somme des valeurs ajoutées brutes dans une économie. Les valeurs ajoutées brutes sont la somme de toutes les activités monétaires, une fois déduites les consommations intermédiaires de matières premières et d’énergie. Le PIB comprend donc les activités monétaires marchandes et non marchandes, les secondes s’ajoutant aux premières et non pas retranchées à celles-ci. Les premières sont évaluées aux prix de marché, incluant salaires, profits et amortissement des équipements, les secondes, par convention, ne donnant aucun profit, ne contiennent que les salaires et l’amortissement publics. En 2023, le PIB français était de 2800 milliards d’euros, dont près de 20 % de produit non marchand. Cet indicateur est indispensable pour mesurer la totalité des revenus monétaires engendrés et distribués dans une économie, ainsi que le partage global entre salaires et profits.
Évidemment, la croissance du PIB ne dit rien de sa structure et de la qualité de la production, ni de la répartition individuelle des revenus. Vouloir sa croissance perpétuelle est une illusion dans un monde limité, mais le capitalisme a besoin d’elle pour nourrir sa dynamique d’accumulation sans fin. Aussi la critique du PIB la plus souvent entendue manque-t-elle sa cible : ce n’est pas le PIB qui est responsable de la crise écologique, ce n’est pas lui qui est l’objectif final du capitalisme ni son critère de décision. Celui-ci est le taux de profit escompté, qui, aujourd’hui, est menacé par une double crise : la productivité du travail ne progresse plus et la nature est épuisée. D’où l’avidité du capital à tout s’approprier et marchandiser. L’extension du champ non marchand et de la gratuité vise au contraire à contraindre la logique du profit et de l’accumulation.
Enfin, dans la perspective d’un après le capitalisme, nous aurons besoin d’une pluralité d’indicateurs mettant au premier plan la qualité des productions et des conditions de travail, la réduction des inégalités et de l’emprise écologique. Ces indicateurs qualitatifs, dont certains existent déjà, ne se substituent pas aux indicateurs monétaires, ils leur donnent un autre sens
Pour compléter, J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, LLL, 2013, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/ouvrages/livre-richesse-entier.pdf ;
En quête de valeur(s), Éd. Du Croquant, 2024, https://editions-croquant.org/livres/998-en-quete-de-valeurs.html.
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