Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

La gratuité d’accès aux musées au service de la démocratisation ?

Pourquoi seulement les arts plastiques ?

A en croire cette mesure déjà ancienne décidée par l’État, les arts plastiques seraient un vecteur plus efficace que le théâtre, la musique, la danse, le cirque … pour faciliter et favoriser l’accès à la culture.

Cette question aurait pourtant nécessité une argumentation. Des considérations logistiques (il est plus aisé de gérer un flux au musée que dans une salle numérotée) restent trop sommaires au regard des enjeux.

Gratuit ou payant ? Des débats depuis plus de 150 ans

Même si la gratuité peut être théoriquement plébiscitée – conformément à l’idéal originel des musées[1] – la culture a un coût et les tarifs pratiqués ne correspondent déjà pas à son coût réel, une minorité de visiteurs motive leur visite par le prix[2], la gratuité profite davantage aux visiteurs déjà acquis qui multiplient leurs venues.

Autant d’arguments incitant à une perplexité.

Depuis la circulaire ministérielle de 1881 qui instaura la gratuité d’accès aux musées au même titre que l’instruction, les débats n’ont cessé d’être vifs et le rapport de force a basculé en faveur de 1ères tarifications en 1922, essentiellement pour des raisons économiques.

En 1996, le ministre Philippe Douste-Blazy, pensant que la gratuité allait favoriser l’accès à la culture des publics « éloignés » et participer à une restauration du lien social, – confondant ainsi fréquentation quantitative et qualitative – lance (contre l’avis de certains professionnels[3]) une expérimentation de gratuité d’accès aux collections permanentes du musée du Louvre, le 1er dimanche de chaque mois. La fréquentation double[4].

En 1999, la mesure est généralisée dans les 35 musées nationaux (dont la moitié est à Paris).

En 2001, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, fait « mieux » en décidant de la gratuité d’accès dans les collections des musées de la Ville de Paris pour tous et tous les jours de la semaine.

La Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France émet elle-même de sérieux doutes sur la pertinence de la mesure au regard des objectifs de démocratisation culturelle ; la gratuité a attiré peu de nouveaux publics.

La Ville de Paris, ne pouvant pas revenir en arrière (plus facile politiquement de passer du payant au gratuit que l’inverse), met finalement en place un « Pay what you can » pour, a minima, remplir un peu les caisses.

Certaines Villes (Caen, Bordeaux), reviennent sur la gratuité qu’elles avaient instaurée, et le Louvre limite dans le temps le principe du dimanche gratuit.

Quels sont donc les principaux effets de la gratuité ?

– un effet volume à court terme indéniable qui cache un faible effet sur la diversification   sociale des publics

Une aubaine pour les visiteurs déjà acquis et les touristes (les guides touristiques sont mieux informés de la gratuité que les visiteurs locaux) mais les primo visiteurs locaux sont peu au rendez-vous.

Le profil des visiteurs est stable avec une faible proportion de jeunes et de personnes à revenus modestes.

– des conditions de visites perturbées par l’afflux ponctuel

L’augmentation quantitative créée de l’attente et des insatisfactions quant au confort de visite. Le temps de parcours se raccourcit.

Les conditions de travail des professionnels sont modifiées ; la gestion des flux, la sécurité des visiteurs et des œuvres devient prioritaire, au détriment de la médiation.

– une perte de recettes conduisant à augmenter significativement le tarif des expositions temporaires (450 % d’augmentation en 30 ans).

La même tendance est observée en Grande-Bretagne.

La gratuité est-elle une juste mesure ?

La levée du frein tarifaire ne résout les limites ni de l’éducation artistique, ni de l’environnement familial et d’habitus, ni de la distance spatiale.

En revanche, elle nécessite une réflexion sur les tarifs et surtout sur les modalités d’accompagnement de l’accès au musée, condition indispensable à l’élargissement qualitatif de la fréquentation.

Et si les mesures de gratuité étaient modulées en fonction des publics que l’on veut attirer puis largement communiquées ?

Et si, à la place de l’entrée, les activités d’accompagnement culturel étaient gratuites, au lieu de l’inverse ?

Martine Lévy
Ex responsable culturelle dans des établissements culturels nationaux

 

[1]. Les collections publiques appartiennent à la Nation tout entière. Le peuple n’a pas à payer pour contempler des collections qui lui appartiennent et qu’il a déjà payées pour les acquérir.
[2]. Le bien culturel est perçu dans un cadre de référence unique, celui d’un système marchand.
[3]. Certains professionnels, s’appuyant sur un vaste corpus d’études, défendent l’idée que les freins d’accès à la culture ne sont pas que économiques, mais aussi et surtout culturels et géographiques. Ils interagissent entre eux. Il convient donc d’agir sur les trois simultanément.
[4] . La fréquentation au Louvre passe de 30 000 à 60 000 par dimanche. Et les institutions sont évaluées à l’aune de leur fréquentation quantitative et non qualitative…

Cet article fait partie du dossier :

Horizons d'émancipation

Le continent des gratuités

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