La stupéfiante criminalisation du soutien aux Palestiniens interroge sur la vigueur de la culture coloniale dans notre pays, ce coin séculaire enfoncé dans notre vie démocratique. L’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme, le refus de reconnaissance du génocide en cours, la qualification comme apologie du terrorisme de tout lien fait entre les violences coloniales antérieures au 7 octobre et les crimes de guerre du Hamas, le refus de reconnaissance de la colonisation au cœur de la politique israélienne depuis 1948, tout cela est admis au-delà des militants de « l’arc-républicain » en construction autour du trio Renaissance/LR/RN. Que cet « arc républicain » lui-même ait pu se constituer est le symptôme de la popularité de ces thématiques dont le dénominateur commun est : colonialisme. La démocratie repose sur l’égalité des personnes et des peuples que nient le colonialisme et le sionisme. Le soutien de la classe dirigeante française au gouvernement Netanyahou accompagne la montée en puissance du RN en réactivant son fonds de commerce, une culture coloniale très ancienne. S’attaquer à cette culture est un élément important de la bataille pour la démocratie.
A quoi sert la culture coloniale ? La production capitaliste aliène les travailleurs, tandis que sa mondialisation entraîne leur insécurité croissante par la délocalisation des productions dans des pays à faibles droits sociaux, par la soumission à la concurrence internationale des productions nationales comme l’alimentation, par l’instrumentation de travailleurs à faibles droits (les migrants en particulier) pour les productions non délocalisables comme les travaux publics ou le soin aux personnes. Pour faire face aux craintes et colères qu’entraînent cette impuissance des travailleurs sur le contenu du travail et cette guerre aux conquis sociaux et à l’emploi, la classe dirigeante organise un exutoire : le refus des immigrés. Un refus nourri de deux siècles de disqualification coloniale des « arabes », des « noirs », des « musulmans », des personnes indéfiniment « issues de l’immigration ». Et dont les luttes pour l’égalité sont condamnées comme « wokisme », « séparatisme », « diversion » de la lutte de classes.
N’espérons pas stopper la montée de l’extrême-droite sans une radicale égalisation des droits sociaux et politiques de tous les résidents sur le territoire national d’une part, et sans la conquête du droit politique au salaire comme fondement de la souveraineté sur le travail d’autre part.
Être souverain sur le travail, décider de la production à tous les niveaux nécessaires, micro-économique dans l’entreprise ou le service public, local dans la décision d’investissement, national dans la création monétaire ou les accords internationaux, suppose que les ressources de chacun ne dépendent plus de son emploi ou de sa performance sur le marché des biens et services, mais soient un attribut de sa personne. Cette libération du chantage à l’emploi ou au marché sera aussi celle du chantage au crédit, car les salaires, devenus droit politique de toute personne majeure, constitueront la seule avance monétaire de la production à la place de l’avance en capital. Cet enrichissement de la citoyenneté doit s’accompagner de la fin du lien entre citoyenneté et nationalité et de la claire affirmation du droit de circulation des personnes. Toute personne doit pouvoir résider sur le territoire national, et, majeure, y jouir de la citoyenneté complète, enfin étendue à la production.
Bernard Friot
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