Propos recueillis par Pierre Zarka
Le cadre d’intervention des visiteurs interviewés est le Centre pénitentiaire (CP) de Varennes Le Grand en Saône et Loire. Cet établissement a une capacité d’accueil de près de 400 détenus, exclusivement des hommes.
En janvier 2024, on dénombre dans les prisons françaises près de 76 000 personnes détenues pour 61 767 places.
Les visiteurs rencontrés adhèrent à l’Association Nationale des Visiteurs de Personnes sous main de justice. Celle-ci se décline en sections départementales au sein desquelles sont proposées formations et échanges d’expériences aux 1200 visiteurs.
Josette, Jean, Marie-Pierre, Bernadette, Pierre, Philippe, Catherine nous apportent leurs témoignages.
Quel regard portez-vous sur les détenus ?
Les réponses fusent et convergent toutes dans le sens de contribuer à une resocialisation des détenus, une humanisation de la prison.
Pour Josette « Le détenu est une personne ».
Pierre : « On ne peut pas réduire une personne à un de ses actes, quel que soit la gravité de cet acte ».
Catherine : « Un jeune détenu chinois m’a déclaré un jour : les humains ont tous un cœur. Beaucoup nous font sentir qu’ils ne sont pas ce qu’ils ont fait, même si tout les y ramène ».
Les uns et les autres soulignent que tout en étant sans complaisance aucune pour l’acte commis, il faut noter que l’incarcération est une cascade de moments difficiles à vivre pour l’inculpé : le jugement, l’annonce de la peine, la privation de liberté…
Bernadette : « Les détenus ont très souvent des vies bien cabossées dès la petite enfance et cumulent un manque d’affection, des ruptures familiales, professionnelles, sociales, aggravées par la prise d’alcool, de drogues qui atteint leur santé ».
Il ne s’agit ni d’excuser, ni de juger mais de prendre en compte leurs parcours pour les aider à retrouver une certaine confiance en eux, et en quelque sorte, contribuer à préparer leur sortie et limiter les risques de récidive.
Marie-Pierre : « Nous cherchons à pallier la solitude du détenu. Nous tentons d’être pour lui une petite fenêtre sur la vie ».
Jean : « L’incarcération entraine la perte des repères sociaux mais pas seulement : une question revient : quel jour on est ? ».
Pierre : « Ils perdent même les réflexes devant une porte : comment l’ouvrir ou la fermer ? Leur dire à la semaine prochaine aide à retrouver le rythme de la vie ».
Philippe : « Ne devrait-on pas se poser les questions suivantes : pourquoi certains en sont arrivés là ? Que font certains d’entre eux dans ces murs pour de si courtes peines ? Y a-t-il donc si peu d’alternatives à l’incarcération… ».
En résumé, n’est- il pas trop demandé à l’institution carcérale au vu des moyens mis en œuvre ?
Comment s’organise la première rencontre ?
Sur proposition du service pénitentiaire, des détenus nouvellement incarcérés sont rencontrés par Jean au Quartier des arrivants, qui les informe du rôle du visiteur. Le plus souvent les détenus intéressés sont ceux qui ne recevront que peu ou pas de visites de leurs familles, d’amis… C’est dans ce contexte que les visites hebdomadaires s’installent pour des durées variables : quelques semaines, mois, années… L’interlocuteur privilégié du visiteur au sein du CP est le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP). Josette assure la coordination au sein de l’équipe de visiteurs et les relations avec l’institution.
Quel regard sur votre activité ? Qu’est-ce qui se passe ?
Philippe : « Il n’est pas rare d’entendre cette question : Mais pourquoi venez-vous nous voir ? À laquelle je réponds : je souhaite maintenir le lien social avec l’extérieur et tenter d’envisager ensemble un avenir ».
Josette : « On se découvre mutuellement au fil du temps, lui et nous. Il sait que ce qu’il nous dit restera entre nous. Avec la confidentialité vient une certaine confiance. Parfois il arrive que quelque chose s’inverse : l’autre jour le détenu a commencé : oh vous n’avez pas l’air en forme… ».
Pierre : « Ce que vient de raconter Josette est important : habituellement les détenus sont autocentrés. S’ils demandent de nos nouvelles c’est une manière de se dépasser en se préoccupant d’un autre ».
Jean : « Il faut considérer que la violence est un langage quand on ne parvient pas à avoir recours aux mots. Nos rencontres cherchent à apprendre à réutiliser les mots ».
Bernadette : « Au départ, nous ignorons pourquoi ils sont ici. Au fil des rencontres ce sont eux qui se racontent ». Les détenus sont souvent dans le déni de la réalité de leurs actes ou les banalisent. Nous tentons de leur faire reconnaître cette réalité, indispensable pour amorcer une remise en question, donner du sens à leur peine, faire un travail sur soi, participer notamment à des groupes de paroles avec un psy, se soigner etc… ».
Marie-Pierre : « Pour eux la détention, c’est abuser mais je pense à cet ex chef de gang condamné à 11 ans qui a repris des études, a réfléchi sur son comportement et affirme que la prison l’a changé positivement.
Pierre prolonge : « Leur tendance à minimiser la gravité de leur acte est lié à une quête de dignité. Nous cherchons à ce qu’il la trouve autrement ».
Jean : « En effet, dire Monsieur, serrer la main participe à restituer une certaine dignité ».
Tout ce qui contribue à valoriser les capacités des détenus est important pour leur avenir et les aide à retrouver leur dignité : travail, formations, lecture, sports,… Faire en sorte qu’ils ne perdent pas leur temps et leurs vies en prison et qu’ils aient une meilleure image d’eux-mêmes, les préparant au retour dans la société. Leur avenir dépend d’eux et d’eux seuls.
Néanmoins, l’accès au travail reste insuffisant. En 2023, des dispositifs incitatifs ont vu le joursous forme de contrats avec des entreprises pour créer davantage de postes de travail au sein des prisons. Aujourd’hui, en France, seulement 30% des détenus travaillent, c’était 50% en 2000.
Quid des évolutions constatées ?
En abaissant les facteurs de tension, les visiteurs contribuent à l’apaisement au sein de la prison. L’écoute est un rempart contre l’agressivité et la folie que peut engendrer l’enfermement.
La venue des visiteurs devient vite une soupape de décompression. Il arrive assez souvent que des détenus les remercient.
Si la prison à ses effets néfastes : alcool, drogues, violences, paradoxalement pour certains elle leur apporte un accès aux soins physiques et/ou psychologiques.
Et à vous qu’est-ce que ça vous apporte?
D’emblée tous :
« Etre utile à d’autres qui en ont besoin.
Sortir de notre propre horizon. Aborder un autre univers qu’est le milieu carcéral et le faire connaître pour le rendre moins effrayant, plus humain.
Echanger nos approches sur des sujets divers : ça nous apporte, nous apprend, nous nourrit.
Partager des grands moments d’humanité, des émotions, des pleurs, des sourires…
Croire apporter une petite contribution, être un petit maillon de la chaine d’accompagnement »…
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