La Montagne, géologiquement parlant, est un soulèvement de la terre, un entrechoc entre plaques tectoniques, une mer en pleine altitude, une rebelle à toutes classifications géomorphologiques, une pure densité face aux étoiles.
La Montagne, géopolitiquement parlant, est une négation des volontés d’appropriation. Elle est dite barrière mais livre passage. Tantôt savoyarde, suisse, autrichienne, napoléonienne, garibaldienne ou mussolinienne, puis françaises ou autres, finalement européenne et mondiale. Elle n’autorise à la fréquenter que des rebelle : alpinistes, colporteurs de vivres et de poésie, maquisards, no border. Ceux et celles qui vivent là, ont l’héroïsme quotidien. Le paysage lui doit son existence. Elle ne donne pas, elle prête : personne ne peut l’emprisonner.
La Montagne, économiquement parlant, est broyée par l’industrie, celle-ci réfugiée aux creux des vallées, pour produire de la mécanique de précision, de la chimie et de l’électricité, subit les aléas de l’économie de plein fouet. Contre le changement climatique, elle proteste activement et dangereusement : disparition bien entamée des glaciers, éboulements, crues mortelles et destructives des épisodes méditerranéens (Roya, Vésubie, Tinée), ses cris de colère dévastent la fragilité humaine. La montagne d’hiver est en train de quitter l’industrie de ski, des stations de moyenne montagne sont mortes ou vont mourir. Plus haut, le cynisme règne : sa palme revient à Tignes qui veut installer une passerelle pour que les touristes admirent son glacier de la Grande Motte en train de dépérir : tourisme de mort.
La Montagne, humainement parlant, est un condensé de luttes. Lutte sur les frontières qui tuent et pourtant ouvrent à la vie ! A Montgenèvre, plus la PAF militarise les passages, plus les migrant·es arrivent dans les divers Refuges : paradoxe imprévisible que des centaines de maraudeu·ses expérimentent. Un fait anecdotique et sympathiques est livré dans ce petit texte : « Tiens du thé, tiens une pomme, retente ta chance, tu vas y arriver, pas ce soir, mais tu vas y arriver, lui dit le policier ». Générations Identitaires, ce groupe « fasciste », a fait son coup d’éclat au col de l’Échelle, mal lui en a pris, il fût dissout ! Les 7 de Briançon, condamné·es à Gap, innocenté·es et indemnisé·es en appel, incarnent la rébellion victorieuse. La montagne est terrible pour l’inhumanité, elle ne valorise que l’humanité fraternelle. Les luttes sont partout, contre les prix impossibles des loyers dans les grandes stations, plus chers que dans le XVIe, contre la privatisation des barrages sous le slogan « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout », contre la dégradation des lignes de chemins de fer dites secondaires, contre le projet antiécologique de présenter PACA pour obtenir les JO d’Hiver en 2034, contre le tunnel entre Lyon et Turin, les No TAV, italiens et français sont là…
La Montagne, politiquement parlant, est dangereuse, intersection des luttes, elle donne sens à ce qui nous est commun : la pure densité humaine sous les étoiles d’une terre qui se soulève contre toute l’inhumanité qui veut la rendre invivable.
Jean-Paul Leroux,
19 juin 2023
. Lætitia Cuvelier, Comme je coupe les oignons, Éditions Gros textes, Châteauroux-les-Alpes, 2023, p.60.
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