Pour vivre ma retraite après soixante-dix ans de vie, et de militantisme, en banlieue parisienne dans le 93, je me suis installé dans le bassin de vie et d’emploi dominé par Genève, le « Grand Genevois », après le « Grand Paris », au bord du lac Léman, et sous les montagnes douces du Chablais.
C’est une zone attractive qui connaît un accroissement démographique rapide, marqué par le tourisme, d’hiver et d’été, et le travail transfrontalier avec la Suisse voisine. Le bâti est concentré sur le littoral du lac, mais le goût pour la maison individuelle, le coût du foncier, favorise l’étalement urbain : les villages se renforcent et les migrations pendulaires sont un problème croissant. Les ruraux, majoritairement, travaillent en urbain.
Au fond, dans un contexte libéral et conservateur (pas de gauche au conseil départemental), les choix sont de court terme : on se bat pour obtenir un passage du tour de France, on maintient le ski grâce à des canons à neige, on construit des autoroutes pour faciliter l’accès à la Suisse et aux stations… On détruit les terres agricoles de façon discrète.
Les savoyards tiennent à leur montagne, à leur tranquillité, leurs paysages et les habitants venus d’ailleurs (de la RP ou d’Angleterre, des Pays bas) y sont venus pour cet environnement. Certains se sont éloignés trente ans (comme ma compagne) et font un retour tardif… Le paradoxe de la « dernière maison au bout du village » est comparable aux excroissances de l’Oise et du Val d’Oise… L’économie locale est passé d’une agriculture et d’une petite industrie de précision au tourisme et au travail transfrontalier. Pas ou peu de réflexion sur le développement endogène.
Quand on dit qu’on vient du 93, les gens nous regardent de façon consternée. Comment peut-on vivre là-bas ?
Pourtant les phénomènes et les tendances sont comparables : le départ des usines, la disparition des ouvriers paysans, de la couronne maraîchère (la spécialisation dans le fromage), la désertification médicale, l’augmentation du prix du foncier, la faiblesse en nombre du logement social, une activité diversifiée a disparu au bénéfice du tertiaire, des services et des secteurs du bâtiment.
Dans ma ville d’origine, les vieux stanois ou les vieux albertivillariens exprimaient souvent leur nostalgie de Stains ou d’Aubervilliers « d’avant ». Les vieux savoyards tiennent des propos apparemment équivalents. Le changement va trop vite. Ils tentent de construire des remparts illusoires : la belle vallée d’Abondance vote à plus de 50% pour l’extrême droite.
Nous étions devant les lycées d’Évian et de Thonon pour distribuer un tract des élus de gauche du Conseil régional. Certes, la vision quotidienne du lac ou de la dent d’Oche (vous la connaissez tous, c’est l’image de l’étiquette des bouteille d’Évian) est préférable aux friches devant le lycée de Stains. Pour leur avenir, les lycéens se projettent sur Lyon, Grenoble ou la Suisse, soit on s’oriente vers le tourisme ou l’artisanat pour rester « au pays ». Il existe cependant des créations d’activité originales ou alternative, centrés sur l’économie solidaire et écologique (qu’on appelle assez peu de cette manière ici) mais souvent créées par les nouveaux savoyards.
Au fond les habitants du Chablais, grâce à la Suisse et au tourisme, connaissent un quasi plein emploi et protègent leur qualité de vie. La taille des villes et la proximité des montagnes font la fierté des savoyards… Mais on peut se demander si ce n’est pas tendanciellement un « beau décor ». Comme dans les Cévennes la forêt progresse sur les alpages.
Quand je reviens à Stains ou la Courneuve, je suis maintenant effrayé par les densités, le cloisonnement social (quand on passe de Paris à la banlieue) et je comprends la crainte que le Grand Genève soit progressivement ressemblant au grand Paris. Pour autant je suis réticent à un discours ambiant ultra-conservateur et peu ouvert à un développement local équilibré. Comment transformer les « grandes peurs » en projets alternatifs ? Tant qu’on continue à suivre une logique de profits à court terme, les sociétés s’enfoncent dans l’impasse.
Francis Morin
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