Vous les voyez peut-être parfois l’été en vous baladant le long des cimes, accompagné∙es d’un ou de toute une tripotée de chiens de conduite, au cul d’un troupeau de brebis ou de vaches. Vous les apercevez peut-être parfois de près ou de loin, ces salarié∙es aux traits souvent tirés, crevé∙es par des jours à rallonge, crapahutant sur les pacages d’altitude. Les jours de grand soleil, tandis que la troupe rumine paisiblement, on ne s’imagine pas vraiment ce que représente le boulot d’une bergère, ni ce qu’est son statut. Ainsi, les questions fusent, approximativement les mêmes. Suivant l’humeur et la fatigue, les pâtres s’avèrent plus ou moins loquaces. C’est à vous, ce troupeau ? Vous avez combien de bêtes ? Vous ne vous ennuyez pas toute seule ? Berger, c’est vraiment un métier ? Mais on vous paie pour faire ça ? Etc.
Loin de l’image bucolique qu’il ou elle inspire, le ou la pâtre est assez souvent salarié∙e, saisonnier∙ère, embauché∙e par un, une ou plusieurs éleveur∙ses, sur une période plus ou moins courte. Les postes sont le plus souvent subventionnés, dans le cadre de la lutte contre la prédation des troupeaux. Des conventions collectives agricoles régissent, tant bien que mal, les spécificités du métier. Plus mal que bien, d’ailleurs. Le pâtre est, selon sa zone de travail, un travailleur assez isolé et potentiellement soumis aux mauvais traitements. Il ou elle garde plusieurs troupeaux, gère la ressource fourragère sur ses différents quartiers, conduit ou traque les animaux à sa charge, repère et soigne les blessures, entretient clôtures, parcs et filets de contention, nourrit les chiens de protection, dort à proximité du troupeau si prédation sur l’estive, se réveille la nuit en cas d’attaque. Un dur labeur, auquel s’ajoute tout un tas d’autres imprévus, lorsque les conditions salariales et d’hébergement ne sont pas maximales. Bien que la situation tende à s’améliorer depuis peu, encore bien des cabanes ne sont pas aux normes, voire insalubres. Absence de ramonage des conduits de cheminée, installations électriques et gaz défectueuses, défauts d’étanchéité, courants d’air, absence d’espace sanitaire, etc. Le ou la pâtre bénéficie généralement d’un jour de repos par semaine. Toutefois, en cas de non-remplacement par l’un ou l’une de ses patrons, il ou elle se trouve souvent forcé∙e de rester. Les chiens de conduite exigent un travail de dressage à l’année et représentent un lourd budget, notamment en matière de soins vétérinaires et de frais de nourriture. Pourtant, aucune assurance ni contrepartie durant l’estive ne permet de pallier ces coûts. Rajoutons à cela les difficultés d’accès à la formation continue, la non-reconnaissance de l’astreinte et des nuits travaillées, des attitudes sexistes à l’égard des gardiennes de troupeaux, salariées isolées et donc plus vulnérables, le mutisme et la cécité des institutions pastorales, etc.
Vous les verrez donc peut-être cet été, ces pâtres certes précaires mais organisé∙es et désireux∙ses d’améliorer leurs conditions de travail. Depuis quelques années, des syndicats fleurissent ici et là, dans les Pyrénées et les Alpes, regroupant nombre de saisonnier∙es en lutte et solidaires. En Haute-Garonne, SUD Pâtres, membre de l’Union locale Solidaires Comminges, veille au grain sur le plan pratique et juridique, favorisant l’entraide et à la solidarité entre les salarié∙es de ce petit milieu.
Ramon Perez, pâtre.
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