Dans la bataille engagée pour les services publics, nous sommes depuis une vingtaine d’années dans une défense, nécessaire mais pas suffisante. Il faut bien-sûr défendre l’hôpital public et les maternités mais cela suffit-il à réinventer un système solide et juste de santé publique ? Oui, la régie des eaux est une réponse politiquement et économiquement justifiée, mais cela règle-t-il la question de l’eau, son accès, sa qualité, son écosystème, localement comme sur l’ensemble de la planète ? Ces deux exemples montrent la limite de nos luttes actuelles. Au-delà de ces mobilisations, peut-on échapper à poser globalement et précisément la question des besoins fondamentaux ?
Si nous considérons que l’eau, l’air, la santé, l’accompagnement du 1r et du 4e Age, les transports publics du quotidien, l’accès numérique, l’enseignement, etc. sont des besoins fondamentaux, il n’y a pas d’autre solution que de les sortir du marché, d’en organiser un accès universel, dans des conditions qui ne profitent pas aux plus gros consommateurs et n’encouragent pas le gaspillage. Comment pourrait-on considérer que la société ne peut, ne doit pas assurer à chacun.e de ses membres la réponse à ses besoins fondamentaux ?
De ce point de vue, les politiques menées par les collectivités locales restent à interroger. Le recours à des privatisations masquées, type délégation de service public, doit-il être remplacé par une mise en régie systématique ? Les sociétés publiques locales (successeurs des sociétés d’économie mixte) apparaissent comme une solution qui permet d’associer différents partenaires. Elles semblent un outil utile mais pas forcément adaptable partout en tout. Et qui peut rester « au milieu du gué » dans certaines situations. Les sociétés civiles d’intérêt collectif (SCIC) élargissent le champ des gestions partagées et ont comme principal intérêt d’allier dans une démarche coopérativiste les autorités et collectivités locales à des acteurs de la « société civile », usagers comme salariés.
La question de fond posée renvoie à l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques partagées. Ceci renvoie aussi à notre conception de la démocratie, représentative et/ou directe. Il s’agit de considérer qu’élu.e.s et services locaux peuvent et doivent, avec la population et les usager.e.s construire ensemble une action publique, son évaluation et son déploiement.
Une telle démarche peut-elle se limiter au seul plan local ?
Plus globalement, la réponse aux besoins fondamentaux appelle une autogestion, un communisme vivant qui ouvre à la réappropriation de la propriété collective, pas seulement économiquement ou juridiquement mais dans une redéfinition des biens communs, du commun, de ce qui fait société et assure égalité et justice.
Le mode de « gestion » des services publics ne peut exonérer d’une transformation profonde non seulement de la production et de leur distribution mais aussi de leur utilisation. Est-il nécessaire d’utiliser de l’eau potable pour nettoyer la rue ou arroser son jardin ? Les mobilités doivent-elles toujours permettre d’aller plus vite ? Ne peut-on penser les constructions et les habitations de façon bien plus économes et écologiques que le bâtiment zéro carbone ? A-t-on besoin d’une machine à laver par foyer ? Faut-il cloisonner toute activité sociale (crèche, garderie, soins de suite, cantine publique, personnes âgées, …) chacun son pré-carré, dans son coin ? Ou imaginer dans des pratiques tout aussi efficaces un développement d’activités intergénérationnelles ? Et redonner à la communauté locale, avec les professionnel·le·s une vraie responsabilité dans ces actions ?
Et pour finir, le développement de la démocratie sociale et citoyenne, fer de lance de la démarche autogestionnaire, dans le monde du travail comme sur les territoires, est central dans une démarche alternative au capitalisme. Cela amène naturellement à s’approprier les valeurs des communs et à mettre en œuvre un système de prise de décisions le plus horizontal possible. La démarche coopérative et associative est ainsi une expérimentation qui peut permettre de reconstruire des services publics, dans lesquels tous les acteurs et actrices, usagers comme salariés, ont leur mot à dire dans les décisions à prendre. Un arbitrage, étage par étage, de la commune à l’État, en passant par la région et le département, doit permettre de garantir l’égalité entre les territoires.
On peut dans notre bataille pour les services publics aujourd’hui inséminer des grains de communisme et d’autogestion qui transforment notre usage de la planète tout en répondant avec égalité et justice aux nécessités quotidiennes…et à la nécessaire transition écologique et sociale.
François Longérinas, Patrick Vassallo
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