Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Un enjeu crucial dans la période : la composition stratégique 

J’aimerais commencer par revenir sur la séquence dont nous sortons à peine : une séquence d’investissement important de la question électorale. Investissement d’un relatif espoir dans la candidature Mélenchon et la coalition Nupes, espoir qui aurait semblé difficilement concevable quand la gauche politique dans son ensemble paraissait complètement marginalisée quelques mois plus tôt. Cette séquence n’est pas encore refermée, en raison de la fragilité du camp macroniste, impliquant un recours répété au 49-3 et la menace de dissolution de l’Assemblée nationale qui maintient en alerte un potentiel d’énergie militante « électoraliste ».  

Dans la période, les multiples luttes sociales dont les plus visibles se concentrent sur les questions du salaire (direct ou continué), du péril écologique et climatique, des oppressions sexistes et patriarcales, se rapportent à la question du pouvoir politique de manière doublement contrariée. D’abord, la séquence électorale leur a donné une relative visibilité et, avec la perspective d’une possible victoire de la gauche, a à nouveau rendu envisageable un changement, une alternative par la voie institutionnelle. Cependant, avec la défaite, cette perspective s’est dissipée à court terme, sans disparaître complètement, comme on l’a vu. 

Ensuite, depuis la rentrée, les luttes sociales, sans obtenir de victoire véritable, ont conquis une visibilité médiatique persistante, nourrie notamment par le maintien d’une inflation élevée, par la poursuite du « me too politique », et par l’accélération du changement climatique. Cette visibilité contribue à l’obtention de victoires partielles, et s’en nourrit : hausses limitées de salaire, avancées écologiques ponctuelles, appropriation de certains thèmes féministes par une partie de l’opinion publique. Pour autant, si ces avancées montrent que lutter n’est pas inutile, la distance avec ce qui serait une véritable réorientation du cours des choses est telle que des victoires partielles ne sont pas incompatibles avec l’impression d’une défaite d’ensemble et le sentiment d’une dégradation globale du rapport de forces. Les luttes à ce jour ne sont pas en capacité de s’auto-constituer en alternative de pouvoir, hormis dans un certain discours anti-électoraliste qui reste pour le moment hors-sol.  

Penser la question de la rupture avec le capitalisme du point de vue des luttes implique donc aujourd’hui d’accepter de penser de manière apparemment contradictoire. De mener jusqu’au bout le combat pour l’autonomie du mouvement social vis-à-vis des organisations politiques « électoralistes », c’est à dire de construire depuis les collectifs et les luttes elles-mêmes une capacité à penser et poser la question du pouvoir populaire (assemblées, communes, conseils…), et de la transition éco socialiste, radicalement en dehors des espaces institutionnels oligarchiques et des échéances électorales. Et, simultanément, en reconnaissant le rôle que peuvent jouer les mobilisations électorales pour relancer la perspective du changement, ainsi que le lien existant entre crise du capitalisme, instabilité institutionnelle et réémergence de l’enjeu électoral, de construire des porosités, des alliances entre les acteurs-trices des luttes et les organisations politiques, y compris « électoralistes », non sous la forme d’une subordination, mais d’une coopération, impliquant la reconnaissance de leur autonomie relative comme de leur nature également politique. 

Ainsi, les deux stratégies de transformation radicale de la société, la voie électorale et institutionnelle, et la voie des luttes, la voie révolutionnaire, pourraient être moins envisagées selon une grille de lecture qui identifierait entre elles une ligne de fracture, que d’une manière  dialectique (instituer en destituant, destituer en instituant), pour laquelle l’enjeu est toujours de réinscrire l’horizon de la rupture avec le néolibéralisme et si possible avec le capitalisme lui-même comme un enjeu actuel, englobant et systématisant toutes les mesures partielles, aussi souhaitables sont-elles de limitation des inégalités et de destructions des mondes vivants.  

Laurent Zwaenepoel, militant syndical et membre de la Coordination Anticapitaliste Rennaise

Partager sur :         
Retour en haut