Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Grand Soir ou processus de ruptures ? 

La situation politique est comme un iceberg : il y a ce qui émerge mais l’essentiel me paraît caché par la difficulté des intéressés à y mettre des mots porteurs des transformations nécessaires. Pouvoir vivre de son travail, les superprofits, l’affaire Total… ont mis en lumière la nocivité du capital et une amorce de (re)découverte de la lutte des classes. Cela participe du rapport de forces. A condition qu’on l’explicite et qu’on le prolonge. Les manifs contre les violences sexistes et sur le climat intègrent explicitement les autres combats : contre toutes les précarités pour les unes et fin du mois fin du monde même combat. Chacun·e commence à prendre conscience que son engagement se heurte au même système que les autres. Cela peut permettre de passer de la protestation à la capacité de se fixer pour objectif de prendre l’argent où il est, et de se doter du pouvoir d’imposer sans tout attendre d’en haut. 

Mais la conception traditionnelle de la politique fait obstacle. Les gauches restent indexées sur la pointe visible de l’iceberg et s’enferment dans l’espace institutionnel. Elles demandent au peuple de les suivre au lieu d’explorer ensemble des solutions qui affronteraient les logiques du capitalisme. Dès lors, chacun/e reste sur son périmètre. Alors que les femmes réclament l’égalité salariale, il faut bien que l’on interroge où prendre l’argent et comment, et de comprendre que les combats contre les discriminations de genre ou racistes pourraient permettre d’explorer un type de démocratie qui s’appuie sur chacun·e.  

Si le rôle de la politique n’est pas de partir à l’aventure, il n’est pas non plus de répéter ce que chacun·e peut dire sans elle. Être contre la vie chère ? Oui, mais encore… Son rôle est de mettre en lumière ce que révèlent les demandes, et de favoriser le franchissement des obstacles dressés devant les moyens de les satisfaire.

Quand j’évoque la nocivité de l’actionnariat on me dit parfois que je rêve au Grand Soir et que le réalisme est d’avancer concrètement. Opposition entre concret et fondamental dommageable. 

 La Nupes propose en matière de démocratisation des médias qu’un milliardaire ne puisse pas posséder plus de 20% d’un média ; donc à trois, des milliardaires pourraient posséder 60% d’un média… est-ce que ça change vraiment ?

Est-ce le tout ou rien ? Le Grand Soir ? Le contraire de l’illusion du Grand Soir n’est pas l’illusion inverse : avancer sans horizon, sans cap, on le fait depuis plus de 40 ans face à un système qui lui, a une visée. Processus ne veut pas dire errer ou s’en tenir à la dénonciation. Processus signifie avoir un cap, une intention d’aller vers… qui rejaillit sur ce qu’on réclame maintenant. De connaître la marge qu’offrent les dividendes versés me permet de dire que la protection sociale, l’augmentation des salaires, les services publics, n’aggravent pas la dette de l’État. Ce qui grandit déjà dans nombre de têtes permet d’ouvrir des pistes nouvelles : quelles garanties la société doit à chacun·e de ses membres ? où est l’argent ? Comment se dote-t-on du pouvoir de faire les choix ? 

Cela change la conception que les forces de gauche et les syndicats devraient avoir d’eux-mêmes. Pour le moment, ils considèrent qu’ils doivent guider le tout-venant et ne reconnaissent que ce qu’ils contrôlent. De ce fait, pour eux, la marge du possible se situe en deçà des leviers nécessaires.  

Mais, même s’il y a loin de la coupe aux lèvres, commencer à changer où se situe le centre de gravité des controverses et affrontements peut amener des fissures dans le système, des premières victoires qui seraient autant de nouveaux points de départ pour la suite. 

Pierre Zarka 

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