De numéro en numéro Cerises la coopérative explore le champ de la transformation de la société, argumente une rupture radicale et irrigue nos réflexions des luttes, des mouvements, souvent un peu désordonnés et sectoriels.
L’épuisement de la social-démocratie, évident aujourd’hui en France comme dans nombre de pays, marque aussi l’anémie d’une politique de redistribution qui n’a plus les moyens coloniaux de se financer et que l’effondrement de perspectives politiques radicalement à gauche renvoie dans les limbes du néolibéralisme.
A l’instar de bien des velléités de grève générale reconductible, les luttes ne produisent pas spontanément des idées et l’élaboration d’une construction politique largement partagée tarde.
Osons deux suggestions.
- Le recul défensif du progressisme, ces dernières décennies, n’a pu se conjurer par des exercices critiques certes du passé, un peu de nostalgie parfois, mais surtout par des copiés/collés toilettant d’anciennes recettes, ravivant au mieux des démarches sympathiques mais datées. Les bouleversements de l’emploi, du climat, de la mondialisation, de la dématérialisation du capital comme du travail, etc… n’appellent-ils pas une remise en chantier général, non des valeurs humaines, révolutionnaires, d’égalité et de respect des personnes, de droits des peuples… mais du logiciel qui peut leur permettre de faire mouvement, masse et Peuple(s) ?
- Face au capitalisme mondialisé et à des États de plus en plus souvent autoritaires voire totalitaires, peut-on faire l’économie d’une dynamique « par le bas », partant des besoins et de leur ressenti, faisant confiance aux intelligences collectives, qui ne s’en remette pas aux institutions (quelles qu’elles soient) mais « au pire » se servant de leurs moyens par subversion de leurs rôles ?
Dans un monde où les clivages se multiplient, où les « moyens termes » se diluent, où la déraison enkyste la pensée, peut-on éviter d’inventer collectivement des idées neuves, renouant avec l’envie de rêver la vie et la société ? Cela suppose qu’on casse d’entrée le « sentiment » qu’un ensemble d’idées, une « idéologie » c’est un carcan, une brimade individuelle, une prison mentale contre le faire. Cachez cette pensée que je ne saurais faire !
Au contre-pied du mépris des sciences sociales, et d’une dictature de l’immédiateté qui s’exonère de toute réflexion, ne pouvons-nous donner envie de dire, d’envisager, sans entrave, sans tabou ?
Sans viser le hit-parade d’entrée, sans vouloir les masses triomphantes de suite, partant de chaque bout de vie populaire comme on tricote du jacquard avec des laines et des canettes diverses, aurions-nous le désir et le courage d’inventer depuis le déjà-là de nos résistances, des jours d’avenir qui donneront le cœur à chanter ?
Patrick Vassallo
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