Cerises de juillet invitait à la lecture de « Soi-même comme un roi », le livre d’Élisabeth Roudinesco ne me convainc pas. L’autrice, appuyée sur un panel extrêmement vaste d’auteurs du XVIIIe siècle à nos jours examine les combats d’aujourd’hui relatifs au genre, au racisme, au féminisme, aux identités d’une manière générale. Elle s’efforce de mettre au jour le phénomène d’assignation identitaire qui aurait remplacé les combats émancipateurs du siècle dernier. Elle a su convoquer entre autres Sartre Beauvoir Lacan Césaire Fanon Foucault Deleuze Derrida pour appuyer sa thèse : les combats relatifs aux questions de race, de genre, d’identité sexuelle, sont de sérieux dangers de dérives identitaires. Elle ne manque pas de relever le retour tonitruant de la notion d’identité nationale dans le discours de droite et d’extrême droite.
Humblement, je m’en tiendrai à la part de l’ouvrage réservé aux questions du racisme. Les citations abondantes de Césaire, Senghor, Glissant ou encore Fanon ne parviennent pas à masquer l’observation insuffisante des combats antiracistes d’aujourd’hui. Des changements radicaux sont intervenus qui sont prometteurs. Ainsi d’un siècle à l’autre nous sommes passés d’un combat antiraciste sous surveillance, habilement circonscrit par la social-démocratie à l’aide de la petite main jaune qui menaçait : « touche pas à mon pote » …
Ce qui a fondamentalement changé, et qu’Élisabeth Roudinesco n’interpelle pas, c’est que la petite main confisquait, au moins momentanément, la construction d’un combat antiraciste autonome. Cette interrogation manquée empêche l’autrice de repérer que désormais, pour leurs combats émancipateurs l’atout des dominés n’est plus d’avoir un pote, c’est d’avoir conquis la conduite de leurs luttes.
Conduite autonome, et de surcroît avec les mots qui leur vont bien ?
Ainsi, au cours de la promotion de son ouvrage Élisabeth Roudinesco s’offusque, après bien d’autres, de l’usage du mot « racisé ». Pourquoi, s’interroge-t-elle dans son livre, « les victimes de discrimination accepteraient-elles d’obéir à l’injonction de soumission les invitant à rejoindre l’enfer de la dépendance clanique qu’elle soit genrée, racisée… ».
Alors : « victime du racisme » c’est ainsi qu’il faudrait dire plutôt que racisés.es ? Derrière la bataille des mots, il y a ici encore le passage d’une époque à une autre. Et, les racisés.es d’aujourd’hui n’entendent plus être victimes, ils et elles sont d’abord au combat, un combat qui n’a rien de clanique. Ainsi c’est une jeunesse de toutes les couleurs de peau, pratiquante de toute confession ou de pas de confession du tout, qui s’est rassemblée exigeant justice et vérité pour Adama.
Dépendance clanique genrée ? Justement ! Elles auraient dû raconter leur histoire à Élisabeth Roudinesco. Ce sont les 20 femmes de chambre de l’hôtel Ibis. Elles sont noires ou blanches, elles portent boubou ou bien jean et pull collant. Elles croient en Dieu ou n’y croient pas. Elles font un signe de croix ou bien s’agenouillent tournées vers la Mecque… Elles ont derrière elles 22 mois de lutte dont 8 de grève ! Quasiment deux ans qu’elles réclamaient de meilleures conditions de travail. Les 20 femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles à Paris dans le XVIIe arrondissement ont signé un accord avec leur employeur ce mardi 25 mai dernier qui leur accorde tout ce qu’elles réclamaient. Et même plus.
Racisme, discrimination, genre… évidemment qu’une hirondelle ne fait pas le printemps alors il faut donner un coup de main au printemps !
Catherine Destom-Bottin
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