Le débat sur la dette publique n’est pas nouveau. Il revient de façon récurrente et parfois violente, comme lors de la présidentielle 2017, et sera à coup sûr au centre des débats pour celle de 2022.
Le sujet de la dette publique a pris une tournure nouvelle fin 2020 entre économistes, y compris au sein des économistes hétérodoxes. Explorons ensemble les enjeux du débat pour essayer d’y voir plus clair et de se construire une opinion, car les choix économiques sont l’affaire de toutes et tous, et pas seulement des spécialistes.
Après les déclarations tonitruantes du Président de la République sur les aides sociales qui « coûtent un pognon de dingue (12/06/2018) » avec l’idée qu’il n’y a pas assez de moyens pour les plus pauvres, la pandémie a obligé l’État et les pays de l’Union Européenne à revoir, partiellement, le financement des politiques publiques et la BCE à revoir sa politique monétaire, en prévoyant une aide très importante aux entreprises et aux banques. Comme le rappelle Fabien Escalona (Médiapart 14/01/2021), « depuis 2015 la BCE a racheté massivement des dettes émises par les États de la zone euro ce qui a permis aux États de s’endetter à des taux historiquement bas ». Alors la question se pose : l’État vient au secours des entreprises et des ménages (prise en charge du chômage partiel, soutien à l’activité économique etc…) en oubliant au passage les salariés qui ont été le plus mis à contribution pour limiter les effets dramatiques du confinement (une partie des personnels hospitaliers n’a pas reçu la prime de 1500 € et J.M. Blanquer a versé une aumône aux enseignants alors que la moyenne de perte de pouvoir d’achat, depuis 2010, s’élève entre 150 et 270 € par mois, le versement proposé représente des queues de cerises ! Mais beaucoup se demandent au final qui va payer l’ardoise ? Pouvons-nous laisser filer la dette publique sans que les retombées incombent principalement aux ménages et aux PME avec, comme corollaire, la montée du chômage et une période de récession économique qui une fois de plus favoriserait les 5% les plus riches, l’Argentine en a été un bon exemple ?
Précisons que la dette publique correspond à l’ensemble des engagements financiers pris sous forme d’emprunts par l’État, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement comme la protection sociale. Depuis le début de l’année 2020 la dette publique ne cesse d’augmenter pour avoisiner, en janvier 2021, les 120% du PIB. En septembre 2020 cela représentait 2 674,3 milliards € alors que les critères du traité de Maastricht, critères rappelons-le fixés arbitrairement, prévoyaient que la dette des États ne devait pas dépasser 60% du PIB et le déficit public 3%. Fin 2020 le déficit public s’élève à 178 milliards € alors qu’il était prévu pour 2020 autour de 90 milliards €.
Rappelons aussi que l’État a lancé en avril 2020 un plan de relance de 100 milliards d’euros sur 2 ans et a accordé une garantie des prêts aux entreprises et aux banques de 300 milliards jusqu’au 30 juin 2021[1].
On a donc trouvé les moyens financiers pour que l’économie ne s’écroule pas malgré la grave pandémie qui a mis tout le système quasiment à l’arrêt pour 2 mois. Beaucoup de nos concitoyens se demandent comment on peut trouver des sommes aussi importantes alors que pendant des années les personnels hospitaliers, les enseignants ou d’autres catégories de salariés, réclamaient des moyens importants pour un service public de qualité et, la seule réponse faite par les gouvernements dirigés par Hollande ou Macron étaient que le montant de la dette publique était trop important et que l’État n’avait pas les moyens de répondre à ces exigences.
L’idée très répandue dans les cercles néolibéraux veut que la dette publique soit un fardeau pour les générations futures, argument déguisé pour casser les services publics et accroître les politiques d’austérité. Cette idée est fallacieuse car la dette c’est un passif et un actif. Cela signifie que les emprunts (dépenses) servent à construire des infrastructures utiles comme les hôpitaux, des établissements scolaires, des routes, des théâtres etc… Dépenses qui vont constituer un patrimoine utile pour les jeunes générations. Contrairement à l’idée répandue, « l’État ne se gère pas comme un ménage, » lorsqu’il dépense c’est pour constituer du patrimoine utile. Heureusement qu’au début du 20ème siècle il s’est lourdement endetté pour construire le métro parisien.
Deuxième idée : lorsque l’État s’endette il a deux choix : bâtir une fiscalité qui mette tous les agents économiques à contribution à hauteur de leurs moyens ou emprunter sur les marchés financiers, c’est-à-dire à ceux qui possèdent le plus de richesse.
Or aujourd’hui les choix faits par le gouvernement visent à alléger les 5% les plus riches (suppression de l’impôt sur la fortune = manque à gagner autour de 5 milliards €) et réduire l’impôt sur les sociétés[2] ce qui favorisent essentiellement les multinationales.
Donc la dette de l’État n’est pas en soi un problème car d’une part les taux d’intérêt sont très bas, voire négatifs, ce qui veut dire que le problème serait la charge d’intérêt si les taux augmentaient dans une politique plutôt déflationniste. Aujourd’hui par exemple le Japon a une dette publique qui avoisine les 240% de son PIB, mais elle est détenue faiblement par les marchés financiers. Nous pourrions opter pour une nouvelle politique fiscale qui serve l’intérêt général, la qualité des services publics, en obligeant les grandes banques et les compagnies d’assurance à détenir une partie des créances. D’autre part, n’oublions pas que l’évasion fiscale représente une perte d’environ 80 milliards €/an pour les finances publiques.
Le fait que le gouvernement emprunte sur les marchés financiers nous lie aux créanciers qui ont un pouvoir sur les choix du gouvernement. Autre chose une fois de plus le gouvernement s’en remet à une commission sur la dette uniquement composée d’économistes néolibéraux au lieu de permettre au parlement et aux citoyens d’avoir un vrai débat national sur le sujet.
Aujourd’hui la France a les moyens d’assurer des dépenses publiques hardies sans mettre en péril notre avenir. Dans le débat, des économistes suggèrent même une annulation partielle[3] de la dette.
Enfin il faut que la BCE prenne sa part pour favoriser une politique monétaire audacieuse. Des économistes[4] proposent qu’une partie des créances détenues par la BCE serve à financer des investissements pour le climat. Ça permettrait de créer des milliers d’emplois et de s’engager résolument dans la transition écologique.
[2] Voir à ce propos le livre d’Attac « Toujours plus pour les riches »
[3] Médiapart, annulation de la dette
[4] Une tribune refusée par Le Monde et par Les Echos, signée par E. Jeffers, F. Morin, D. Plihon et J.M Harribey dans Mediapart
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