Cet article fait partie d’un dossier que nous consacrons à la pandémie et à ses conséquences, voir les autres éléments de ce dossier URGENCES SANITAIRES, SOCIALES ET POLITIQUES:
- Les profits ou la vie ! (de Sylvie Larue, Henri Mermé, Danielle Montel, Josiane Zarka)
- Élections municipales et coronavirus, de Christian Mahieux
- À propos de démocratie sanitaire, de Marcelle Fébreau
- Pandémie et Mondialisation, de Gus Massiah
- Une urgence : changer de société, de Pierre Zarka
- Le distinguo entreprise/société de capitaux : un enjeu de la lutte des classes, de Benoit Borrits
- Le jour d’après : un enjeu politique fondamental, de Makan Rafatdjou
- Guadeloupe, entre Covid 19, colonialité, et situation hospitalière catastrophique, une interview d’Élie Domota
Sans oublier deux articles publiés fin mars :
- “Covid-19 : un virus très politique” de Patrick Silberstein
- “Sauver l’économie capitaliste ou sauver la planète” de Benoit Borrits
« L’État compte les sous, on va compter les morts » disait une banderole en décembre 2019. Nous y sommes. La menace virale se combine à la faillite des politiques néolibérales et l’évidence du caractère dévastateur du capitalisme financier. Un tiers de l’humanité est aujourd’hui en confinement. Nous attendions les effets du réchauffement climatique. Le capitalocène nous a réservé une surprise de taille.
Cette pandémie n’est pas encore la plus meurtrière du siècle. La grippe de 1918 aurait tué de 20 à 50 millions de personnes. Les victimes de celles de 1956 et de 1968-1970 se comptent en millions. Ce n’est pas le premier coronavirus meurtrier. Son cousin, le SRAS a tué en 2002-2003 dans 25 pays seulement car le trafic aérien a été drastiquement réduit. Mais nous sommes entrés dans un autre monde. Depuis 20 ans ce trafic a été multiplié par 3, démultipliant la porosité sanitaire et sa rapidité. Le bouleversement des écosystèmes a favorisé l’émergence de virus nouveaux. Les cartes des épidémies sont des crises de la biodiversité. Enfin, la pandémie est une pandémie de métropoles : Il y a corrélation entre la propagation du covid-19 et la densité de particules fines.
Le retour de la corporalité du monde
Depuis plus de vingt ans, les gouvernements ont mis en lois les exigences du capitalisme financier qui n’a eu qu’un credo : la planète entière, sa vie, ses ressources, ses habitantes et habitants, leur travail, leurs rêves, leur pauvreté, leurs maladies, tout, absolument tout, pouvait être transformé en produit financier. La « dématérialisation » numérique en a été l’outil. Nous ne sommes plus qu’une ligne de crédit ou de débit sur un écran, le paramètre d’un logiciel de livraison, une statistique d’emploi. Rêvant d’usines sans ouvrier, de caisses sans caissière, de médecine sans soignant, de taxis sans chauffeur, d’école sans enseignant, d’humanisme sans humain, le capital voulait « quoi qu’il en coûte » se débarrasser des corps.
Dans ces conditions, les systèmes de santé sont pensés comme des coûts insupportables Nous en payons le prix. En France, le nombre de lits en soin intensif a été réduit de 30% de 1998 à 2018, suivant une tendance européenne. Avec 3.1 lits pour 1000 habitants, la France, est derrière l’Allemagne (6), la Corée du Sud (7.1) et le Japon (7.8). Le stock de 724 millions de masques FFP2 constitué en 2009 a été dilapidé.
Mais les corps se vengent. La corporalité du monde revient comme un boomerang planétaire mettre en danger la virtualité de la finance. Il n’y a pas de vie sans corps. Il n’y a même pas de profit sans corps. Et c’est toujours le corps qui a le dernier mot, pour le meilleur et pour le pire. La crise de 2008 était une crise financière. Celle-ci touche la matérialité économique.
Sauver des vies ou sauver les profits ?
Sauver les vies ou sauver l’économie et le profit ? Trump et Bolsonaro affirment clairement leur choix. Des allocutions de Macron à la mi-mars à la loi d’urgence sanitaire, le gouvernement français, apparemment moins cynique, semble néanmoins plus préoccupé de protéger l’économie que de répondre à l’urgence sanitaire.
Sur ce plan, dans le monde, les retards succèdent aux retards. Seuls les pays voisins de la Chine ont contrôlé le trafic aérien en janvier. Sous pressions chinoises, le 27 janvier, l’OMS « déconseille d’appliquer à la Chine des restrictions au transport international. » La décision de décréter l’«urgence de santé publique de portée internationale » n’intervient que le 30. Quand la Chine confine 45 millions de personnes, la France n’a d’autre priorité que de rapatrier ses ressortissants. Quand l’Italie du Nord flambe, aucune mesure n’est prise aux frontières. Le match Olympique Lyonnais – Juventus est maintenu à Lyon le 26 février.
En France, quand les services d’urgence sont saturés, la réquisition du secteur privé se fait attendre. Pendant des semaines on nous parle de la recherche d’un vaccin, mais il faut attendre la mi-mars pour que soit lancée une expérimentation sur des médicaments à usage immédiat. Agnès Buzyn annonce le 26 janvier un stock de 145 millions de masques dont aucun FFP2. On attend des semaines pour qu’une nouvelle commande soit passée.
Dans l’urgence, les gouvernements mobilisent la seule compétence politique qui reste : le contrôle policier de la population. Au Chili, Pinera, déclare pour 90 jours « l’état d’exception constitutionnel pour catastrophe ». La Chine renforce la géolocalisation des personnes.
Mais la façon de lutter contre la pandémie façonne déjà la sortie de crise. La loi sur l’ « urgence sanitaire » votée le 22 mars est surtout une nouvelle loi d’exception sur le droit du travail dont les effets perdureront au-delà de la période de confinement.
Le « capitalisme du désastre » comme le nomme Naomi Klein sait utiliser des catastrophes pour étendre son emprise sur la vie. Que verrons-nous en premier ? La fin du monde ou la fin du capitalisme ? Le drame que nous vivons aujourd’hui nous donne quelques signaux alarmants sur le sujet.
Alain Bertho
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