Dossier “Territoires et alternatives démocratiques”
“L’organisation actuelle des territoires masque la mise en place de nouveaux pouvoirs plus difficiles à identifier et de plus en plus à l’abri des exigences des citoyens…” (lire ici la suite du Prologue au dossier “Territoires et alternatives démocratiques”)
Un lieu n’est pas un espace abstrait, réceptacle de nos existences et support de nos activités. C’est une part concrète de nos vies, une sédimentation de longue durée de notre manière de faire monde, partie intégrante et singulière d’un territoire. Ce dernier est un « produit », naturel et un artéfact, une œuvre humaine, traces et tracés matérielles et physiques de notre coévolution naturelle et culturelle. Chaque communauté, société, civilisation a façonné, avec plus ou moins de justesse et de bonheur, un territoire spécifique facteur jusque là, à travers ses transformations mêmes inégalitaires, d’un sens commun durable.
Le territoire est l’objet de tensions explosives.
Mais le territoire a été longtemps négligé par des courants révolutionnaires obnubilés par le productivisme et le modernisme mythifié, ratant même le devenir urbain du monde malgré certains apports décisifs (par exemple d’un Henri Lefebvre Le droit à la ville, La révolution urbaine, La production de l’espace…il y a plus de 50 ans déjà) ! Aujourd’hui il est l’objet de tensions explosives.
D’un côté, il est au cœur du néolibéralisme triomphant et de sa course effrénée au profit : acharnements constructivistes, frénésies marchandes, financiarisations massives… De l’autre, il se trouve au cœur des urgences sociales, des impératifs écologiques et de tous les enjeux d’un nouveau monde à inventer. Mais l’ordo-libéralisme, cette mobilisation étatique au service du capital et de ses logiques mortifères de concurrence impose de force et à l’échelle de la planète des réformes législatives destructrices : privatisations et expulsions, sur-densifications et spéculations urbaines, ségrégations et relégations sociales, dévalorisations et désertifications rurales, déforestations et artificialisation des sols…
En France, les lois MAPTAM, NOTRE, ELAN… renforcent une logique de métropole à marche forcée et, surtout, une opacification et un éloignement des lieux de décision dessaisissant toujours davantage les citoyens d’une maîtrise réelle de leur habiter, pourtant l’un de nos fondements anthropologiques.
Campagnes, agricultures, villes, logements, transports, santé, éducation… modes de décision, de gestion et d’organisation politiques… depuis un moment déjà ces questions irriguent les forums sociaux mondiaux, des mobilisations et des luttes acharnées (des sans-terres aux ZAD….) sources de succès inestimables contre des projets écologiquement et socialement désastreux, tout particulièrement des grands projets inutiles (Notre Dame des Landes, Europacity…).
Des expériences alternatives de formes et d’échelles les plus diverses essaiment (ESS, permacultures, Sels, coopératives…), une réflexion critique vivace se déploie chez les universitaires et les professionnels, une nouvelle vitalité associative s’empare des thématiques les plus diverses, et des mouvements sociaux inédits se font durables, (Indignés, Gilets Jaunes, jeunesse pour le climat, Alternatiba…) dont les revendications et propositions sont au cœur de l’enjeu territorial.
Si ces résistances ne suffisent pas encore à rompre avec un capitalisme proprement catastrophique à l’échelle locale comme à l’échelle globale, qui annihile les rôles protecteurs et régulateurs des puissances publiques, en les asservissant, par adhésion, aveuglement ou impuissance, dans un rôle de zélateurs et gardiens de son (dés)ordre, elles en démontrent la caducité historique et nous placent devant le choix : démocratie ou barbarie.
Cerises apporte une première salve à cette réflexion par un bouquet de contributions diverses, un patchwork de connaissances et d’expériences en acte, éclairant des acteurs, des situations et des problématiques différents.
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