Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

 Chemins d’émancipation : dépasser les contradictions

Depuis au moins une quinzaine d’années, de nouvelles générations militantes émergent en se politisant tout particulièrement autour de la question des oppressions : le sexisme, les LGBTphobies, le racisme, l’écologie, etc. Très souvent, cette politisation se fait en premier lieu à une échelle individuelle, à partir de sa propre expérience, en prenant conscience des discriminations qu’on a soi-même subi ou fait subir. La notion de « privilèges » permet ainsi de prendre conscience de façon efficace de l’existence de positions sociales inégalitaires : certains/nes ont ainsi des possibilités que d’autres n’ont pas du fait de leurs assignations sociales. De la même façon, un certain nombre des débouchés à ce type de politisation consistent à essayer de modifier le langage et les comportements à une échelle individuelle ou inter-individuelle. Il va s’agir de déconstruire au maximum son langage et ses pratiques pour ne pas reproduire la domination, ou exercer une pression sur le langage et les pratiques des autres, et dans les cas extrêmes, utiliser le « call-out », la dénonciation publique.

Face à ce type de politisation à l’échelle individuelle, il me semble qu’il faut éviter deux écueils. Le premier serait de n’y voir que la manifestation des tendances néolibérales à l’individualisation qui viendrait toucher y compris la sphère politique, et par là balayer ces voies d’émancipation d’un revers de la main. Il n’est probablement pas indifférent que ces types de politisation aient lieu précisément à un moment d’atomisation et d’individualisation extrême, néanmoins ces vecteurs de politisation sont efficaces et ouvrent la voie à des engagements pérennes. Le second écueil serait de ne pas pointer du doigt certaines limites de ce type de politisation, avec l’idée qu’il n’y aurait rien à en redire. Or, lorsque la politique en reste à l’échelle (inter)-individuelle, et perd de vue la lutte collective contre les structures qui par ailleurs produisent et reproduisent en permanence les dominations, ce qu’on constate par l’expérience c’est le découragement des individus, la tension dans les groupes à l’extrême, et finalement l’implosion des collectifs militants qui s’étaient mis en place sur ces bases. Cela a par exemple été le cas du collectif féministe dans lequel j’ai milité au début des années 2010.

Il faut donc un dépassement qui ne nie pas les enjeux de cette échelle (inter)-individuelle (bien sûr que lorsqu’on milite on essaye de changer notre langage et nos pratiques dès ici et maintenant), tout en constatant que tant que nous vivrons sous le capitalisme (compris comme étant également un patriarcat, un système raciste, etc.), il sera impossible d’arriver à un état de perfection et de pureté militante absolue. L’exemple de l’écologie est parlant à ce titre : même si on essaye d’avoir les pratiques les plus écologistes possibles, il est tout simplement impossible de l’être totalement dans une société comme la nôtre. Il faut donc en définitive reposer la question du pouvoir. Est-ce que le pouvoir se situe du côté des individus, ou du côté de la classe qui détient le pouvoir politique et économique, et donc le pouvoir de décider pour tous/tes les autres ? Cela implique également de voir que même si nous avons des intérêts immédiats qui parfois divergent (il est indéniable, dans le cas du féminisme qu’il y a un avantage pour les hommes à ne pas avoir à effectuer le travail reproductif par exemple), les intérêts de fond des différents/tes opprimés/es et exploités/es sont largement convergents : nous avons tous/tes plus à gagner qu’à perdre à changer cette société.

 Aurore Koechlin

Image : ©https://mencoboni.com

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Horizons d'émancipation

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