Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Une bascule dans les relations internationales

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Jean-Paul Bruckert

  • Les protagonistes.

On assiste à une partie de poker menteur entre Trump, un maquignon madré féru de propositions transactionnelles montant aux extrêmes quitte à rétrograder et un joueur d’échecs, Poutine qui sait depuis toujours où il veut aller. Plus avant, il faut prendre conscience du rôle majeur joué par l’entourage de Trump, un entourage de milliardaires libertariens dont les figures de prou sont le foldingue nazi Elon Musk et l’idéologue Vance. Ces milliardaires sont aussi des idéologues car ils incarnent le courant libertaire radical – « libertarien » – axé sur les possibilités offertes par la révolution numérique, dont l’idéologie et le projet sont mis en lumière dans le livre de l’historien canadien Quinn Slobodian « Le Capitalisme de l’apocalypse – Ou le rêve d’un monde sans démocratie ». Le titre original en anglais était « le capitalisme de fracture ». Avec l’impassible Xi Jinping en fond de scène qui sait que ce qui se passe ne le fragilise en rien. À bas bruit jusque-là, mais à grand bruit désormais, le capitalisme high tech 2.0 a construit son utopie néo-fasciste :  un monde débarrassé de la démocratie, de la citoyenneté et de l’État, libéré de la loi, du droit du travail, des taxes ou des réglementations, disséminé sur une multitude de petits territoires reliés par la mobilité du capital et des élites. Bref, une « archipélisation » du capitalisme. Non seulement ils ont l’intention de fonder ce capitalisme mafieux mais ils ont aussi l’ambition d’imposer ces idées de liberté sans limites (cf. discours de Vance à Munich).

  • Un Far West planétaire

Une conception des relations internationales faisant litière des accords et les transformant en une sorte de « Far West planétaire » (Pascal Boniface). Un unilatéralisme qui prend d’abord l’allure d’attaques contre les États, même si ce sont des alliés (Panama (le canal), Groenland (Danemark), Canada). Attaques aussi contre l’humanitaire : suppression de l’USAID (42% de l’humanitaire dans le monde et ce n’est pas anodin dont près de 90% pour l’Ukraine dans les 3 dernières années. Retrait programmé de l’OMS (20% de son budget) alors que Washington finance à lui seuil 26% des organisations internationales (Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI) et Fonds mondial. Action ensuite contre le droit international. Avec la dénonciation de la Cour pénale internationale, alors que les États-Unis, étaient les initiateurs du cadre juridique créé en 1945. La motivation est claire, la CPI est accusée d’avoir engagé des actions illégales et sans fondements contre les États-Unis (enquête sur l’Afghanistan) et leur proche allié Israël (Netanyahou et Gaza). Constat : un double standard :   Washington peut soutenir la CPI lorsqu’elle inculpe Vladimir Poutine ou des dirigeants africains, mais la sanctionner si elle inculpe Benyamin Netanyahou ! Ajouter la Dénonciation de l’Accord de Paris sur le climat car Trump considère le dérèglement climatique comme un « canular ». Et de alors que la crise climatique est aujourd’hui l’une des menaces les plus omniprésentes pour les droits humains car elle entraîne des famines, des crises de réfugiés et autres crises humanitaires, la pauvreté et le sans-abrisme à travers le monde. Recours à un protectionnisme échevelé enfin – ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire des États-Unis, au contraire – qui prend l’allure d’une véritable guerre commerciale. Elle était déjà lancée contre la Chine, mais c’est désormais au reste du monde que Trump déclare la guerre commerciale en dressant des barrières douanières comme son premier mandat n’en avait pas connues et ce en ne respectant aucunement leurs engagements pris dans le cadre de l’OMC (éviter les discriminations, tenir compte des niveaux de développement des partenaires), en ciblant, au nom du principe « œil pour œil », tant des pays émergents (Brésil, Mexique) que les pays développés (Canada, UE). Et ce, non sans reculs avec annonce de négociations (Canada, Mexique, Inde), qui sont bien à la mesure du caractère erratique du personnage. Offensive anti-immigration avec la remise en cause du droit d’asile et du droit du sol (protégé par le 14ème amendement), proclamation de l’état d’urgence à la frontière du Mexique. On ne peut s’interroger, sur fond de lâchage des classes populaires par les démocrates, sur le degré de proximité de Trump avec le fascisme des leaders de l’extrême droite européennesans analyser les mécanismes qui font de la xénophobie une arme électoralement payante entre leurs mains.

L’Ukraine, une trahison annoncée

Aux prises depuis 2014, mais surtout depuis l’invasion de 2022, avec l’agression impérialiste de la Russie, le peuple ukrainien se défend avec un courage, une inventivité, une auto-organisation qui a forcé l’admiration. Le drame a été que dans ce combat dissymétrique contre une puissance d’envergure mondiale il devait se battre avec des armes fournies par d’autres, les Américains et les Européens, organisés dans l’OTAN. Mais ils l’ont fait de manière mesurée car ils n’ont pas voulu mobiliser les moyens qui auraient rendu possible une victoire ukrainienne, par crainte des conséquences d’une défaite russe. Si Biden soutenait les Ukrainiens, Trump et les Républicains avaient déjà manifesté leurs désaccords – blocage pendant 6 mois des crédits alloués à l’Ukraine – et Trump avait déjà même indiqué qu’il se situait comme un homme d’affaires trouvant que cela coûtait cher.

Pas vraiment de surprise donc à sa volonté de mettre fin au conflit – au moment où la Russie est en difficulté ! – mais la sidération est venue de la célérité avec laquelle la diplomatie américaine a mis les bouchées doubles sur le dossier ukrainien. Ce qui se dessine à grands traits, c’est un rapprochement entre les deux puissances, une marginalisation de l’Europe. Partage de l’Europe, comme différentes prises de position russes tendraient à le montrer, ou au moins partage des influences ? Qu’en sera-t-il du projet de cessez-le feu auquel il semble être parvenu ?

Trahison des Ukrainiens donc au prix d’un deal avec Poutine avec un objectif illusoire, découpler la Russie et la Chine ? Poutine déviera-t-il de sa ligne de mire, désoccidentaliser le monde, dédollariser l’économie mondiale, agir en complicité avec l’Iran, la Corée du Nord et la Chine, instrumentaliser les BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud], tels sont les axes stratégiques de Moscou pour mettre fin à l’«hégémonie » des États-Unis, suivis de manière limpide et constante. On peut en douter ! Dans ce jeu à deux le plus madré – et de loin – n’est pas celui qui occupe le devant de la scène !

Un partage de l’Europe ?

Cela touche d’abord les questions de défense. La défense de l’Europe est depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale indissolublement liée aux États-Unis par le Traité de l’Atlantique Nord (OTAN, avril 1949). Après la chute du Mur de Berlin (1989) et surtout la désintégration de l’Union Soviétique (1991) l’OTAN s’est, malgré une promesse verbale adressée à la Russie, déplacé vers l’Est à la demande, naturellement volontiers acceptée, des pays concernés. Un mouvement qui s’est accentué avec l’agression de l’impérialisme poutinien en Ukraine (adhésions de la Suède et de la Finlande).

La question des contributions de chacun s’est dès lors posée, en termes de % du PIB consacrés aux dépenses militaires. C’est dans ce contexte de diminution drastique de ces dépenses par les pays européens (« les dividendes de la paix ») que se placent les menaces de Trump. Si, depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie de Poutine, tous les pays européens ont entrepris de réarmer et de porter leurs dépenses d’armement à 2% du PIB et même plus pour certains (Pologne, Pays baltes, Suède, Finlande) mais cela n’a pas empêché qu’en tant que Président il déclare que tous les pays devraient « atteindre 5% de leur PIB » alors que les États-Unis eux-mêmes n’en sont qu’à 3% ! En fait cela souligne que Trump est dans une perspective transactionnelle (annonces fortes pour négocier en position de force). Ou pour le dire crûment, une politique de chantage !

Cette politique européenne de Trump peut, d’après « l’European Union Institute for Secturity Studies », déboucher sur deux scénarios. Soit une politique du donnant donnant, faisant une différence entre ceux qui paient et les autres. Soit, autre terme de l’alternative, un scénario privilégiant un retrait d’Europe et une priorisation d’autres théâtres (Pacifique en premier lieu), ce qui reviendrait à choisir, en cas de conflit armé, entre une guerre navale et une guerre terrestre, que l’Europe devrait assumer seule. L’Europe (l’UE) doit se préparer aux deux scénarios.

Un réarmement perçu comme une nécessité 

Dans l’immédiat ce choc détermine en Europe une révision drastique des priorités budgétaires avec mise au premier plan sur le plan européen et au plan national de la question du réarmement. Avec l’objectif de suppléer dans l’immédiat le défaut étatsunien en Ukraine et de faire face à une éventuelle agression de la Russie contre les pays baltes ou la Pologne ou encore la Roumanie. Ce qui prend à revers les militants pour la paix et pour le désarmement que nous sommes en posant en des termes nouveaux – rien à voir avec 1914 mais davantage avec 1938 – la redoutable question de l’attitude face à une guerre déjà là et à une guerre susceptible de nous arriver.

Une rivalité avec l’Union européenne ?

Mais l’Union européenne n’échapperait non plus pas à la « règle » en matière de commerce ! Avec une riposte prévisible de l’UE. Aussi bien pour Trump que pour Poutine l’Union européenne est un obstacle qu’il faut faire sauter. Pour le premier, même s’il s’agit d’une Europe capitaliste, c’est une union qui représente une certaine régulation dans un univers que lui et le gang de la High Tech 2.0 souhaitent sans entraves. Pour le second, l’objectif est, pour le moins, de dominer les anciens pays qui appartenaient à l’URSS. Au prix d’un éventuel partage en zones d’influence.

Renforcement de l’armement israélien

L’administration de l’ancien président démocrate Joe Biden avait suspendu l’année dernière les livraisons à Israël de 1.800 bombes de 2.000 livres (907 kg). Biden avait averti que l’utilisation de ce type de bombe à très grande capacité destructrice à Gaza serait une tragédie humaine. Et Bernie Sanders avait de plus plaidé pour une fin de ces ventes d’armes : « Les États-Unis sont complices de toutes ces atrocités. Nous finançons ces atrocités et cette complicité doit cesser ». Le 25 janvier, l’administration Trump approuvait la vente de bombes, munitions et missiles d’une valeur totale de 7,4 milliards de dollars à Israël. Cette vente « améliore la capacité d’Israël à faire face aux menaces actuelles et futures, renforce sa défense et sert de moyen de dissuasion face aux menaces régionales », avait alors indiqué l’Agence américaine de coopération en matière de sécurité de défense (DSCA). Confirmation du fait qu’Israël est la pointe avancée de l’impérialisme américain au Moye,-Orient !

Mais il y a plus, un soutien réaffirmé à la politique suprémaciste

On connaissait depuis son premier mandat le soutien de Trump à la politique d’Israël et de Netanyahou en particulier (6 décembre 2017, reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël), ce qui fait que la première mesure significative, la révocation du décret de Biden disposant de sanctions pour les colons responsables de violences à l’égard des Palestiniens (20 janvier), n’a guère surpris les observateurs !

Mais le comble de l’infamie a été atteint le 4 février lors d’une conférence de presse conjointe avec Netanyahou où il a tenu des propos à la fois à la fois délirants et cohérents avec les visées des suprémacistes au pouvoir à Tel-Aviv, propos qualifiés de « révolutionnaires » par Netanyahou – propos réitérés depuis à plusieurs reprises – une potentielle prise de contrôle de la bande de Gaza pour la transformer en nouvelle « Riviera » et en expulser les quelque 2 millions de personnes qui y survivent aujourd’hui dans des circonstances épouvantables symbolisent de manière spectaculaire une approche qui consacre la primauté de la force sur le droit…

Cynisme insupportable à l’égard d’un peuple qui survit dans des conditions épouvantables compte tenu du massacre de masse (« guerre génocidaire » ou « génocide » selon les appréciations) dont il a été victime de la part d’un gouvernement israélien aux mains des suprémacistes. Bilan probablement provisoire plus de 60 000 morts dont beaucoup de femmes et d’enfants, des survivants au bord de la famine, destruction de plus de 70% du bâti…  Cela porterait, si réalisée, un nom effroyable, celui de déportation, et une qualification évidente, celle de crime contre l’humanité.

Au-delà des sympathies pro-israéliennes d’un large courant religieux et politique – la « Christian Coalition » tendance essentielle du lobby sioniste – et du côté affairistede la chose, cette approche interventionniste offensive de l’administration états-unienne montre que malgré la priorité donnée à la Chine, le Moyen-Orient, à commencer par un soutien indéfectible à Israël, reste une zone privilégiée de l’impérialisme américain.

En dehors de tout autre considération, il reste malgré tout qu’il s’agit principalement de soutenir Israël jusques et y compris dans son évolution suprémaciste qui vise, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, à éliminer la présence palestinienne sur sa propre terre. D’autant que le président états-unien a comparé, lors de ladite conférence du 4 février dernier, le « petit territoire » d’Israël au Moyen-Orient à la taille d’un stylo sur son bureau, estimant qu’il n’était pas bon qu’Israël dispose d’un si « petit morceau de terre ». Soutien implicite à une expansion de l’État israélien. D’autant que le 17 août 2024, Donald Trump affirmait qu’Israël était un « tout petit point » sur la carte et se demandait s’il n’y avait pas « moyen d’en obtenir plus » (sic). Idée déjà suggérée en mars 2024, si l’on en croit le gendre du président Trump, Jared Kushner, qui faisait l’éloge du potentiel « très précieux » des « propriétés en bord de mer », suggérant qu’Israël déplace les civils pour « nettoyer » la bande (re-sic).

Au-delà du caractère difficilement réalisable de ce plan sans une complicité des États arabes – mais ils refusent tous d’en être complices – ou sans une extrême violence, comble du cynisme à l’égard d’un peuple jeté aux orties au nom des intérêts croisés du soutien à Israël et de préoccupations mercantiles. Cette volonté de fouler aux pieds le droit international et les institutions qui l’incarnent, vire, en ce qui concerne la Palestine, au cauchemar éveillé.

Ruptures ou continuités, il semble bien que comparées aux continuités (l’obsession chinoise ou le soutien à Israël même s’il est désormais radicalisé), les ruptures l’emportent (le monde transformé à tous points de vue en « Far West planétaire », la primauté de l’America First, la primauté de la force sur le multilatéral, la trahison de l’Ukraine, l’alliance avec Poutine, la distance à par rapport à l’Europe).

S’il faut synthétiser l’accent mis désormais sur la force et le mépris pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’autodétermination, il est clair que la position de Trump sur le conflit israélo-palestinien (la radicalisation d’une attitude américaine constante) et surtout sur la guerre d’agression de Poutine en Ukraine (un retournement) en sont les symboles. Ce dernier point représentant dans toutes ses dimensions le véritable pivot de la bascule internationale ou le nœud d’un ancien ordre international qu’il s’agit de trancher. Bref, une approche trumpiste qui correspond à l’idéologie libertarienne (cf. supra), un retour à un état de nature où seuls les forts l’emportent car du fait de leur puissance ils peuvent se dégager des contraintes que pourraient leur imposer un ordre international fondé sur le droit.

Jean-Paul BRUCKERT, le 15.03.2025

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