J’ai eu la chance de grandir dans le 93, albertivillarienne et donc séquano dionysienne de naissance, j’ai aujourd’hui l’âge de partir en retraite. Je n’oublie pas que j’ai bénéficié d’un maillage d’acteurs gouvernés par des équipes municipales ambitieuses. C’était l’enthousiasme d’après-guerre et d’anciens déportés étaient aux manettes, le sens du commun et des responsabilités les guidait. Ma mère a fait partie à 3 reprises de ces équipes militantes qui formaient avec les techniciens un microcosme solidaire qui agissait dans le sens de l’intérêt général. Ils aimaient les défis et les métissages, avaient de l’ambition pour ce territoire et pour sa jeunesse.
Le théâtre de la Commune avec Gabriel Garant a ouvert les portes de la représentation à cette jeunesse éclectique, au travers des matchs d’improvisation la frontière était franchissable. Au travers des dynamiques collectives qui existaient nous avons consolidé nos acquis, nos perceptions, nos questionnements. La Francophonie rayonnait, une audace portée par une époque « black, blanc, beur » qui créait des ponts, nous permettait de nous exprimer avec audace. Autour de nous, on croyait en ce potentiel métissé avec enthousiasme ! On a voyagé pour consolider cette expérience d’éducation populaire qui s’est enrichie : le Québec, l’Allemagne… Auber Band Comédie, cette compagnie qui existe toujours est née autour de Catherine Boskowitz avec une trentaine de personnalités déterminées. Il y a eu « éclats d’airs » une première création collective qui a fait plusieurs fois salle comble au théâtre de la Commune…Puis le questionnement sur une légitimité qui pourrait se transformer en métier, on en rêvait tous !… Une seconde création, de nouveaux défis autour de Shakespeare, avec de jeunes professionnelles qui façonnaient notre créativité brute, habitée… beaucoup d’apports différents, d’échanges avec une autrice, une costumière, un ingénieur du son ! Des cheminements pour rester dans la lumière, nous avions une soif de vivre autrement, quelques-uns en ont fait leur métier, mais chacun a été augmenté par ces expériences.
J’ai pris des cours, fondé une compagnie à Aubervilliers « Etincelles » qui transmet encore aujourd’hui, autrement. J’ai fait partie des apôtres, ou des salopards qui ont créé le collectif 12 à Mantes la Jolie en 1998 avec Catherine et d’autres artistes politisés. Nous avons défriché in situ des propositions collectives comme « Mantes roule des mécaniques », c’est important parfois de s’exporter… Puis un retour aux sources avec une mission politique de la ville aux Courtilières, construire des ponts entre le temps scolaire et une maison de quartier qui s’ouvrait, on construisait avec les voisins collaboratifs, des modèles transmetteurs comme Zingaro, Banlieue bleue…
Mais c’est sur l’espace public que ça se joue vraiment avec la Carnavalcade, la RN2000, les arts de la rue permettent de pousser les portes, de communier avec les idées de chacun, dans souvent une joie jubilatoire de se dépasser ensemble, loin des salles fermées qui concentre souvent l’entre-soit, en recherchant une autre sacralisation plus frondeuse ! À Aubervilliers avec les Grandes Personnes on a construit la Villa, des compagnies de rue ont sillonné le monde pour chercher d’autres formes de solidarités et de transmissions. Avec le festival Aubercail, on s’est réunis mensuellement pour concocter un festival de joyeux bénévoles, on y a reçu des auteurs compositeurs interprètes pendant 17 ans. Les plus frêles s’appuyant sur l’expérience collective, on se retrouvait, on échangeait, on s’engueulait…
Je voudrais citer ici le foisonnement, souvent nostalgique par ceux qui en sont partis, de possibles sans nécessairement beaucoup de moyen qui s’offrent dans ce microcosme fertile. Les origamis du Trésor Municipal Mondiales des Souffleurs, les lanternes des Poussières, il y a eu tant de moments de grâce… Le fond d’archives vidéo du CICA en a souvent capté les éclats ! Tout est bon aujourd’hui pour utiliser ces expériences collectives créatives pour construire un monde plus résiliant et ouvert à chaque singularité.
Ce dialogue entre générations est issu du maillage de confiance avec des paires qui vous cautionnent, vous encouragent, vous corrigent quand ça dérive…Une époque fertile qui me donne envie de remercier, aujourd’hui et de me lever contre le bruit des bottes, pour une planète habitable pour tous, sur laquelle la créativité de chacun sert de base à l’évolution collective !
Nathalie Incorvaïa
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