Je suis membre de l’Association Nationale des Centres d’interruption de grossesse et de Contraception (ANCIC) depuis plus 30 ans, je ne suis ni médecin, ni infirmier, ni maïeuticien, ni avorteur, je ne participe plus à des avortements depuis 1975, date de la loi autorisant les interruptions de grossesse légale grâce à la loi Veil, que je préfère appeler la loi des luttes du MLAC. Un des moyens de lutte concret à l’époque, c’était d’accompagner les femmes à l’occasion d’avortements clandestins et dans ce cadre, je m’occupais des enfants pendant l’intervention. Plus récemment j’ai réalisé un documentaire avec Alima Arouali : laissez les avorter tranquilles, film 50 ans après la loi autorisant l’avortement en France, ce film tente de montrer le travail réalisé au quotidien dans le centre d’orthogénie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (94) pour permettre aux femmes d’être accueillies dans les meilleures conditions possibles. Travailler dans un centre d’orthogénie n’est pas un métier comme les autres. Héritiers du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et la contraception ) les professionnel·le·s regroupé·e·s dans l’Association Nationale des Centres d’Interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) restent mobilisé·e·s pour défendre un droit sans cesse remis en cause, au moment ou plus de 150 centres d’interruption de grossesse ont été fermés en 10 ans et ou les prières de rue des anti-ivg ont cessé , il y a peu de temps devant l’hôpital Tenon à Paris. Infirmier(e)s, médecins, sage femmes, assistantes sociales, psychologues, conseillères conjugales, toutes et tous restent des militant·e·s pour permettre aux femmes d’avorter en paix, pour que l’on cesse de leur rebattre les oreilles avec la contraception dès qu’il est question d’avortement, pour faire
comprendre que le fœtus dépend du projet parental et non de ceux des États ou des Églises.
« C’était l’époque où on voyait encore les perforations, les comprimés de permanganate dans le vagin etc… et nous on les voyait, elles se faisaient maltraiter ces femmes, c’est pas de la littérature que de dire qu’elles se faisaient maltraiter. En tous cas, aux urgences de Nantes en 1960 elles se faisaient maltraiter ça c’est clair. » dit Joëlle Brunerie dans le film.
« Si le patron était quelqu’un d’humain il faisait endormir les femmes qu’il curetait, si le patron voulait donner des leçons aux femmes pour qu’elles ne recommencent pas il les faisait cureter à vif. » Annie Bureau (présidente de l’ANCIC , décédée en 2014)
« Certains disent que l’avortement doit être un acte médical comme les autres et ne pas faire l’objet de mesures stigmatisantes comme le bulletin statistique par exemple ou la clause de conscience.
Mais il suffit d’entendre ce qu’il s’est dit, à propos de Tenon par exemple et à propos des anti-IVG, mais aussi de regarder dans les fictions, à la télé, au cinéma, où quand une femme qui est enceinte semble avoir voulu, décide en fin de compte de garder sa grossesse il y a quand même une espèce de ouf en général, donc il y a une vraie idéologie dominante à ce sujet, quand même, et cette idéologie dominante elle ne peut être combattue à mon avis, que par des structures dédiées et donc une activité protégée par des gens qui sont vraiment inscrits dans une démarche par rapport au droit des femmes, à la contraception et à l’avortement ». Jean Claude Magnier co-créateur du CIVG de Bicêtre.
Le titre de cet article est emprunté à un article écrit par le docteur Philippe Faucher en octobre 2024 , président du réseau de santé régional dont l’objectif principal est de rendre accessible l’IVG en Ile-de-France REVHO
Dans cet article il explique comment chaque année au mois d’Octobre, le nombre d’IVG pratiquées en France l’année précédente a été rendu public. En 2023, on a compté 243 600 IVG soit une augmentation de 3.7% par rapport à 2022. Et comme l’année dernière, les expert.e.s en orthogénie sont assailli.e.s par des journalistes qui cherchent à trouver des explications à cette augmentation du nombre d’IVG, comme si l’IVG était une maladie ou une épidémie. On ne compte pas non plus les journalistes intéressés par la « récidive » des IVG, en utilisant un vocabulaire policier complètement inapproprié concernant un sujet de la santé reproductive. Après avoir largement applaudi à la constitutionnalisation de l’IVG en mars 2024, on s’étonnerait donc qu’un certain nombre de femmes puissent exercer en toute sécurité ce droit dans notre pays ? S’intéresse-t-on avec autant de précision au nombre de personnes qui ont le droit de se nourrir ou de se loger ? Existe-t-il un nombre « normal » d’IVG que les françaises auraient le droit de pratiquer chaque année ? Que les femmes puissent avorter en France quel que soit leur nombre est une bonne nouvelle surtout quand on regarde ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier les USA où on voit déjà la mortalité maternelle et infantile augmenter dans les états ou l’avortement est prohibé. Cette obsession sur le chiffre des IVG masque en fait une panique morale sur le fait qu’on n’a pas laissé vivre un certain nombre d’embryons et de fœtus. Mais comme la seule alternative serait d’obliger les femmes à continuer leur grossesse et accoucher d’un enfant non désiré – et que cette alternative n’est ni dicible ni acceptable – on préfère se focaliser sur la dynamique du nombre d’IVG chaque année pour rappeler au public qu’il y a « quand même un problème ». Or il faut répéter que l’IVG n’est pas un problème mais une solution à une grossesse non prévue. S’il y a un problème de santé publique, il s‘agit des grossesses non prévues et pas des avortements.
C’est le rôle des professionnels de santé de donner les moyens aux femmes de choisir si elles veulent ou non avoir un enfant. C’est le rôle de la contraception d’éviter aux femmes d’être enceintes quand elles ne le souhaitent pas. Cette contraception peut être médicalisée ou pas ; elle peut être très efficace ou peu efficace. Peu importe, c’est aux femmes de choisir le type de contraception qu’elles veulent et pas au professionnel de santé d’imposer la contraception qu’il juge la plus appropriée ou la plus nécessaire car nous savons que cela ne fonctionne pas. Nous sommes pourtant nombreux à nous désoler de l’« hormonophobie » qui règne chez beaucoup de nos patientes, influencées par des livres à charge et des discours médiatiques fallacieux. Mais avant d’affirmer que cette « hormonophobie » est responsable d’une diminution de l’utilisation des contraceptifs œstroprogestatifs avec comme conséquence une augmentation des grossesses non prévues, nous avons besoin d’études précises. En attendant ces études et plutôt que de clouer au pilori ces femmes qui «ne veulent pas d’hormones», il faut au contraire les accompagner dans les méthodes qu’elles choisissent en prescrivant des préservatifs remboursés, en rappelant l’utilisation de la contraception d’urgence et en informant correctement sur la contraception vaginale et sur les méthodes dites « naturelles ». Il faudrait ainsi éviter de vilipender les applications de suivi menstruel que de plus en plus de femmes utilisent aussi pour « calculer » leur période de fertilité. Ces applications représentent un outil potentiel pour dispenser aux femmes des informations précieuses sur leur santé sexuelle et reproductive : informations sur les maladies sexuellement transmissibles, stratégie pour un projet parental, accès à la PMA, à l’IVG, prise en charge en cas de violences conjugales etc. On ne peut que déplorer l’absence de procédures de contrôle sur la qualité des applications pour éclairer les consommatrices. Par ailleurs les femmes doivent obtenir une contraception permanente (ligature de trompes, salpingectomie bilatérale) sans entraves et sans jugement moral de la part des professionnels. Les hommes devraient s’impliquer de plus en plus dans la contraception que ce soit par la vasectomie, par l’utilisation des méthodes de contraception thermique (même si ces méthodes sont contraignantes et non officiellement approuvées) voire espérons dans un proche avenir par l’utilisation d’une contraception hormonale. Enfin il faut obtenir des pouvoirs publics la mise à disposition sans ordonnance de la contraception progestative comme c’est déjà le cas au Royaume Uni.
Il y a donc beaucoup de pain sur la planche afin d’obtenir une baisse du nombre des grossesses non prévues dans notre pays. Il n’en reste pas moins que confrontées à une grossesse non prévue les femmes risquent de choisir de l’interrompre de plus en plus souvent en raison de l’avenir angoissant que nous réserve les guerres et le réchauffement climatique.
Dr Philippe Faucher – Octobre 2024
Vous pouvez retrouver cet article et l’actualité de l’IVG sur notre blog : laissez les avorter tranquille
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